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La vente des terres agricoles louées

Agriculture. La vente de biens ruraux en cours de bail, pratique courante dans le paysage agricole français, soulève des questions spécifiques dont le notaire doit se saisir, en exerçant ses obligations de vérification et son devoir de conseil. L’article recense ces points de vigilance essentiels pour accompagner les propriétaires dans leur projet de vente.

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En 2020 dans l’hexagone, environ 65 % de la surface agricole utile (dont la totalité représente environ 29 millions d’hectares, soit 54 % du territoire national) est exploitée sous forme de fermage, c’est-à-dire louée par des agriculteurs qui n’en sont pas propriétaires. Cette proportion a très largement augmenté depuis les années 1980, où elle oscillait entre 40 % et 51 %. Cette tendance reflète une dynamique foncière complexe où se croisent les intérêts des bailleurs, des fermiers et des investisseurs. D’un côté, on perçoit la volonté des exploitants à concentrer leurs investissements sur leur outil de production - matériel, bâtiments, modernisation - plutôt qu’à l’acquisition de foncier dont la pression fiscale est souvent dissuasive. On en veut pour preuve le prix moyen des terres agricoles dont la valeur a été multipliée par 2 entre 1990 et aujourd’hui. Côté bailleur, on peut comprendre le souhait pour certains propriétaires de vouloir liquider leur capital foncier. La présence d’un fermier ne saurait les priver de leur droit de vendre. La vente d’un bien agricole loué n’est jamais une décision anodine. Elle impose une analyse fine et globale, prenant en compte :

La valorisation du foncier ;
La relation propriétaire/ preneur ;
Les incidences fiscales de l’opération.

La valorisation du foncier

La valorisation du bien vendu est un point crucial sur lequel les notaires sont quotidiennement consultés. Aucune certitude ne pourrait être avancée par le professionnel sans avoir au préalable décortiqué les caractéristiques du bien objet de la vente ainsi que les dynamiques du marché local.

Bien libre ou bien loué – Il est aisé de penser qu’une terre libre de toute location est mieux valorisée qu’une terre louée. Etonnement cela ne se vérifie pas toujours. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce phénomène : la sécurité du revenu locatif, les améliorations apportées par le locataire, maintien du potentiel de production, avantages fiscaux sur la transmission et l’IFI… De manière générale, la différence de valeur entre terres louées et non louées tend à se réduire. Cette évolution est portée par la demande croissante d’investisseurs cherchant à diversifier leur patrimoine face à la volatilité d’autres marchés.

Type de bail en place - Un bail à long terme de 18 ans ou un bail cessible hors cadre familial a peu de possibilités de reprise impacte la valorisation à la baisse et peut rendre exigible une indemnité de sortie.

A l’inverse, le bail de 25 ans permet une reprise sans condition à l’issue du préavis. La durée restant à courir sur le bail lors de la vente a également un impact sur la valeur du bien rural.

Nature de culture - Certaines cultures (pommes de terre, blé, betteraves ...) ou infrastructures spécifiques (serres, irrigation) pondèrent la valeur du foncier.

Perspectives d’avenir du foncier - il n’est pas interdit de songer aux éventuelles modifications des documents d’urbanisme applicables à la parcelle convoitée. Sont principalement visées les hypothèses de révisions des PLU (classement en zone constructible d’une parcelle agricole) et de révision des aires d’appellation (classement ou déclassement de l’AOC).

Dynamiques du marché local – Plusieurs outils de valorisation sont disponibles, chacun apportant une approche spécifique et complémentaire :

Barème indicatif annuel de la valeur vénale moyenne des terres agricoles :
Publié chaque année au Journal officiel, ce barème constitue une référence essentielle pour estimer la valeur moyenne des terres agricoles, qu’elles soient libres ou louées.

PrixdesTerres.fr :
Plateforme officielle qui compile les transactions foncières agricoles répertoriées par les SAFER. L’outil permet d’obtenir des prix moyens à l’hectare par type de terre et par secteur géographique.

Expert foncier :
Un professionnel agréé, souvent membre de la Compagnie nationale des experts fonciers (CNEFAF), capable de réaliser une expertise précise. L’expert foncier tient compte des caractéristiques physiques du bien (qualité des sols, accessibilité, irrigation), des baux en cours et du contexte local.

Base PERVAL (base de données notariale) :
Base de données gérée par les notaires de France, répertoriant les transactions immobilières, y compris agricoles. Elle permet d’obtenir des statistiques régionales fiables, basées sur les actes de vente régularisés.

Déterminer la valorisation d’un bien agricole est le fruit d’une réflexion globale et complexe à laquelle les notaires sont sensibilisés. N’hésitez pas à les solliciter.

La relation propriétaire / preneur

Lors de la mise en vente de parcelles de terre louées, il y a lieu de tenir compte en premier lieu du droit de préemption du locataire en place, à peine de nullité de la vente conclue au mépris de ses droits. En effet, celui-ci peut être prioritaire pour se porter acquéreur du bien vendu. Le bailleur pourra toutefois souhaiter vendre ses terres à une tierce personne, sans vouloir les proposer au préalable à son preneur. Dans cette hypothèse, le notaire en charge de la vente devra « purger » le droit de préemption du locataire en place.

À réception de la notification, le locataire a le choix :

De préempter, c’est-à-dire d’acquérir les terres louées aux conditions et prix proposés. Le droit de préemption du preneur en place est une prérogative d’ordre public, permettant à tout preneur titulaire d’un bail rural verbal ou écrit, soumis au statut du fermage, d’acquérir une parcelle agricole en priorité par rapport à n’importe quel autre acquéreur intéressé.

Ce droit ne lui est ouvert que dans le cadre des mutations à titre onéreux (exclusion des donations) et à la condition que le tiers acquéreur ne soit pas parent ou allié jusqu’au 3è degré inclus du propriétaire (à moins que le preneur n’appartienne lui-même à ce groupe familial). Pour bénéficier de ce droit de préemption, le fermier doit exploiter personnellement le bien vendu, il doit avoir exercé pendant 3 ans au moins la profession agricole et il ne doit pas déjà être propriétaire de parcelles au-delà d’une certaine superficie. Le preneur devra en outre être en conformité avec la législation sur le contrôle des structures. Attention, le fermier qui préempte devra exploiter le bien pendant au moins neuf ans. La revente ou la location du bien dans ce délai sont donc exclues.

De ne pas préempter. Dans ce cas, la vente se réalise au profit du tiers acquéreur (il y aura lieu de tenir compte du droit de préemption de la SAFER).

Attention dans cette hypothèse, la vente du bien loué n’entraine pas la résiliation du bail, quand bien même celui-ci arriverait à échéance…

De saisir le tribunal paritaire des baux ruraux s’il conteste les conditions de la vente proposée, notamment le prix. Chaque partie sera libre ensuite d’accepter ou de refuser les conditions de la vente qu’aura ainsi déterminées le Juge.

La réponse du preneur doit parvenir au bailleur dans les deux mois suivant la réception de la notification. Son silence pendant deux mois équivaut à une renonciation.

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Le droit de préemption de la SAFER

En tout état de cause, la SAFER devra être informée du projet de vente, puisqu’elle dispose elle aussi d’un droit de préemption qu’elle pourra exercer en fonction des circonstances. La SAFER dispose d’un délai de 2 mois pour faire connaître sa décision à compter de la notification de la vente.

Le droit de préemption du preneur face à celui de la SAFER.

Aux termes de l’alinéa 2 de l’article L 143-6 du Code Rural : le droit de préemption de la SAFER ne peut s’exercer contre le preneur en place, son conjoint ou son descendant régulièrement subrogé dans les conditions prévues à l’article L 412-5 que si ce preneur exploite le bien concerné depuis moins de trois ans. Pour l’application du présent alinéa, la condition de durée d’exploitation exigée du preneur peut avoir été remplie par son conjoint ou par un ascendant de lui-même ou de son conjoint.

Dans l’hypothèse où ni le preneur en place, ni la SAFER ne préemptent, la vente des terres agricoles louées pourra être régularisée au profit du tiers acquéreur pressenti.

L’attention de ce dernier, qu’il s’agisse d’un investisseur ou d’un agriculteur souhaitant à terme récupérer le bien pour l’exploiter lui-même, devra toutefois être attirée sur un point important : le bail se poursuivra dans les mêmes conditions entre le nouveau propriétaire et l’exploitant agricole. L’acquéreur devient donc le nouveau bailleur et devra respecter les termes et conditions du bail rural en cours. Le locataire quant à lui conservera les droits qui lui sont accordés par le statut du fermage, notamment le droit au renouvellement automatique du bail tous les 9 ans.

Indemnité d’éviction

Dans le cadre de la vente, propriétaire et locataire peuvent toutefois s’entendre pour résilier amiablement et par anticipation le bail en cours. Le fermier peut à cette occasion obtenir une indemnité. L’indemnité d’éviction doit compenser le préjudice subi par le fermier du fait de son éviction (perte de revenu, pertes de fumures et arrière-fumures…). Pour calculer cette indemnité, il faut se référer aux protocoles négociés au niveau départemental et disponibles auprès des Chambres d’agriculture.

Pour toutes ces étapes, il conviendra de vous faire accompagner par votre Notaire, expert du droit rural.

Les incidences fiscales de l’opération

Hypothèse Impôts sur la plus-value (vendeur) Droits d’enregistrement (acheteur) Particularité
1ère : Vente au locataire Taxation selon durée de détention (exonération possible) 0,715% si le locataire exploite depuis plus de deux ans et qu’il s’engage à exploiter le bien pendant 5 ans après après l’achat (A défaut 5,81%) Le locataire peut être prioritaire pour acheter
2ème : Vente de biens loués à un tiers Idem 1ère hypothèse 5,81% Tiers ne peut pas exploiter immédiatement les terres louées

1ere HYPOTHÈSE : Vente des terres agricoles au locataire en place

Lorsqu’un locataire achète les terres qu’il exploite, il bénéficie d’un régime fiscal plus favorable, le vendeur est quant à lui imposé à l’impôt sur les plus-values, sous certaines conditions

Impôt sur la plus-value pour le vendeur
Le vendeur est soumis à l’impôt sur la plus-value des particuliers s’il n’est pas exploitant (Exonérations possibles si détention de plus de 30 ans).

Droits d’enregistrement pour l’acheteur – locataire.

Taux réduit de 0,715 % (au lieu de 5,81 %) sous conditions :
1. L’acheteur doit être locataire fermier en place depuis au moins deux ans.
2. Il doit s’engager à exploiter personnellement les terres pendant au moins 5 ans après l’achat.

Ce taux réduit est un avantage important qui encourage les agriculteurs à devenir propriétaires des terres qu’ils exploitent.

2e HYPOTHÈSE : Vente des terres louées à un tiers (non-locataire)

Si un tiers achète les terres alors qu’elles sont encore louées, la fiscalité est différente de la première hypothèse :

Impôt sur la plus-value pour le vendeur
L’imposition sur la plus-value suit les mêmes règles que dans la première hypothèse.

Droits d’enregistrement pour l’acheteur

L’acheteur paie 5,81 % (*) du prix d’achat en droits d’enregistrement.
Il ne peut pas exploiter immédiatement les terres puisqu’elles sont louées, sauf s’il obtient la résiliation du bail (cas très limité).

(*) La loi de Finances pour 2025, adoptée le 14 février 2025, donne la possibilité aux départements d’augmenter de 0,5 point les droits de mutation à titre onéreux sur les achats immobiliers à partir du 1er avril 2025.

L’achat du foncier agricole reste malgré tout un investissement intéressant

L’achat de foncier agricole peut présenter un avantage non négligeable pour l’investisseur principalement lors de la transmission à titre gratuit car un abattement fiscal important est appliqué sur les ¾ de la valeur du foncier transmis.

Cet avantage non négligeable vient d’être amplifié par la Loi de finances pour 2025 qui introduit une modification importante pour les donations de foncier agricole.

Désormais, les abattements fiscaux sur les droits de donation et de succession pour les biens ruraux loués par bail à long terme sont significativement augmentés.

Les nouveaux seuils applicables pour tous les biens loués par bail rural à long terme sont les suivants :

Exonération de 75 % : applicable sur la valeur des biens jusqu’à 600 000 € (contre 300 000 € précédemment), à condition que le bénéficiaire conserve les biens pendant au moins 5 ans.

Exonération de 75 % : applicable sur la tranche de valeur des biens comprise entre 600 000 € et 20 000 000 € avec une obligation de conservation des biens pendant 18 ans.

Au-delà de ces plafonds l’exonération fiscale sera encore de ½ !

Cette disposition a été confirmée par le ministère des Finances après bien des hésitations.

Désormais, il ne fait plus aucun doute que l’abattement plafonné à 20M€ s’applique à tous les baux quelle que soit leur ancienneté. Mais les conditions propres à la personne du locataire peuvent conduire à écarter le bénéfice de l’abattement.

Ces mesures visent à alléger la charge fiscale lors des transmissions, notamment dans les régions où la valeur du foncier est élevée, comme les zones viticoles. Elles compensent la faible rentabilité des locations rurales et l’indisponibilité quasi-totale pour le bailleur de ses terres pendant toute la durée de la location.