Patrick Martin, en campagne dans les territoires, lieux d’exercice de 90% de l’industrie française
Patronat. Ses priorités : les compétences et la formation, une croissance raisonnée au service de l’emploi, du pouvoir d’achat et du respect de l’environnement.
Vous êtes le Président délégué du Medef, donc le bras droit du Président sortant, à ce titre signez-vous pleinement le bilan de la mandature qui s’achèvera au mois de juillet prochain ?
« Oui, je signe ce bilan puisque j’ai été, durant ces cinq années, en première ligne aux côtés de Geoffroy Roux de Bézieux, avec des résultats spectaculaires dans une période difficile. Ce bilan peut se prévaloir des 18 milliards de réduction d’impôts de production, à un moment où les entreprises allaient mal, de la réforme de l’assurance chômage et du sauvetage d’un bon nombre d’emplois au moment de la crise Covid. »
Faut-il inclure dans ce bilan la réforme des retraites ?
« Nous avons été très en soutien de cette réforme et j’insiste parce que cela n’a pas été assez souligné. Cette réforme va permettre la pérennisation du régime de retraite par répartition et c’est une bonne chose. Cependant, les entreprises n’ont pas d’intérêt direct dans cette réforme, sauf sur certains points comme celui de l’emploi des seniors. Il fallait faire cette réforme, mais ce n’est pas la réforme du Medef. Nous sommes, par exemple, opposés aux sanctions qui accompagnent le non-respect de l’indice seniors. Les entreprises ne sont pas comparables en taille et en nature de production. Allez chercher des seniors dans les start-ups ? Certaines entreprises ne peuvent pas avoir structurellement des seniors dans leurs effectifs. »
Quand on parle de partenaires sociaux, on évoque plutôt les syndicats de salariés et très peu les syndicats patronaux. Cela vous choque-t-il ?
« Détrompez-vous. L’image de l’entreprise n’a jamais été aussi bonne, avec 77% d’opinion publique favorable dans un très récent sondage. Un score en progression de près de 20 points depuis une vingtaine d’années. Le Medef contribue largement à cette image. Le Medef n’a jamais cessé d’agir dans le dialogue social. Pour preuve, la récente signature des accords sur le partage de la valeur dans l’entreprise. »
Cependant, la loi sur la réforme des retraites actée vous a fait dire que le bébé est mal né. Comment jugez-vous aujourd’hui cette loi ?
« On a apporté beaucoup de changements au texte initial, sur le fond et sur la forme, comme si les objectifs du Gouvernement avaient évolué, avec pas mal d’erreurs de communication. »
Un de vos arguments de campagne à la Présidence du Medef, consiste à dire que vous êtes un provincial et que lorsqu’on parle de fracture territoriale, vous vivez cette situation dans votre chair. Cela signifie quoi ?
« Ce n’est pas un titre de gloire et cependant, pour la première fois dans l’histoire du Medef, un candidat à la Présidence est issu de la province, là où travaille notre industrie à 90%. Notre pays souffre d’un fort centralisme d’Etat. Je revendique mon identité d’entrepreneur de province. »
Vous dirigez une entreprise industrielle de 3 000 salariés, une dimension qui légitime votre candidature ?
« Je n’ai absolument rien contre les petites entreprises. Au-delà des idées et des discours, je pense que la fonction de Président du Medef demande de l’expérience dans la pratique du concret. Négocier avec les délégués syndicaux, parler de fiscalisation, faire la différence sous tous les angles entre un camion électrique et un moteur thermique, mettre les mains dans le cambouis, faire grandir une entreprise jusqu’à une position de leader … Je sais faire. »
Certains observateurs du Medef affirment que vous cochez toutes les cases nécessaires pour être Président. C’est votre sentiment ?
« Je me garde bien de considérer que cette élection est acquise. Je suis peut-être celui qui en ce moment est le plus présent sur le terrain, afin de savoir si mes analyses collent aux attentes des entreprises avec lesquelles je dialogue. Le Président du Medef est d’abord le porte-parole de 190 000 entreprises, il se doit d’être à l’écoute des métiers, des filières et des délégations patronales des différents territoires. Nos adhérents apprécient qu’on les connaisse et que l’on mesure leurs problèmes. C’est dans cet état d’esprit que je suis le 9 Mai à Nancy. »
Si vous êtes élu, à quelle différence de gouvernance entre Geoffroy Roux de Bézieux et vous peut-on s’attendre ?
« Je suis très complice de Geoffroy Roux de Bézieux et je le répète j’assume complétement son bilan. Cependant depuis 2018, les circonstances se sont durcis, notamment en matière de concurrence internationale, ne serait-ce qu’entre les USA et l’Union Européenne, ou encore en matière d’exigence environnementale. Je souhaite ainsi un Medef encore plus présent dans le débat d’idées, avec une grande ambition pour la France et une défense accrue de la croissance raisonnable. Le débat du pouvoir d’achat est dans la croissance économique. La décarbonation à un coût et la croissance doit permettre de faire face à ce coût. »
Si vous êtes élu, dans les priorités de votre mandat, vous évoquez l’alerte sur la situation du logement et donc sur la construction. En quelques mots, votre constat et vos pistes sur ce sujet pour l’avenir ?
« C’est une de mes priorités, mais les emplois et les compétences sont dans ma priorité absolue. Je travaille sur ce sujet depuis cinq ans et je pense en permanence à tout ce qui touche à l’apprentissage et aux 92% d’apprentis présents dans les entreprises privées. Evidemment, la filière construction fait également partie de mes préoccupations en n’oubliant surtout pas que l’on parle ici de 10% du Produit Intérieur Brut national.
Nous avons en France une approche trop restrictive de cet enjeu qu’est le logement. Il s’agit du pouvoir d’achat des Français, lesquels y consacrent en moyenne 40% de leurs dépenses contraintes. La pénurie de logement va encore peser un peu plus dans l’accession. De plus, la construction est un enjeu majeur en matière d’emploi. »
Autre alerte, la formation. A ce propos votre opinion sur la rémunération des stages des élèves des lycées professionnels, annoncée par l’Elysée ? Est-ce une bonne piste dans l’ensemble du spectre de la formation ?
« L’attractivité des lycées professionnels est un sujet majeur dans l’orientation et la formation des jeunes. La fréquentation et l’efficacité de ces établissements tiennent aussi à ce genre de décision. »
Bien des dirigeants et des observateurs, entre développement économique et exigences écologiques, parlent de croissance raisonnée, vous-même venez de l’évoquer. Que mettez-vous derrière cette notion ?
« Agir ensemble pour une croissance raisonnable est bien dans les gènes du Medef. Nous sommes tous conscients du péril qui menace l’environnement et de la nécessité de produire écologique. Il faut réconcilier écologie et croissance. La décarbonation de l’économie va coûter 40 milliards d’euros par an de dépenses supplémentaires pour les entreprises. Il va falloir faciliter des transferts de savoir-faire, notamment dans les énergies renouvelables. Tout cela coûte et doit être fait. »
Le Medef, version Europe ?
« L’essentiel de nos réglementations vient de l’Union Européenne. Nous allons renforcer nos moyens à Bruxelles pour éclairer les décisions politiques européennes. »