« L’avocat est le partenaire privilégié de l’entreprise »
Justice. Me Stéphanie van Oostende, est le nouveau Bâtonnier du Barreau de Reims, succédant à Me Pascal Guillaume. Médiation, accueil des jeunes, présence dans la cité, rôle économique... Présentation des objectifs du Barreau pour l’exercice 2024-2025.
Me Stéphanie van Oostende, vous êtes depuis le 1er janvier, le nouveau Bâtonnier du Barreau de Reims. Pourquoi avez-vous choisi de vous engager dans cette voie ?
J’avais accepté la proposition qui m’avait été faite par le bâtonnier Pascal Guillaume d’être son binôme lors du dernier mandat. J’ai découvert dans ces fonctions ordinales un terrain de jeu fantastique avec la possibilité de s’investir pour le collectif, mais deux ans, ça passe excessivement vite. J’ai la chance que Maître Stéphanie Kolmer-Ienny accepte ma proposition de m’accompagner en tant que vice-bâtonnière. Si la parité est de mise au Conseil de l’Ordre la parité n’est pas obligatoire pour le binôme Bâtonnier / Vice-Bâtonnier…
Quels sont vos projets pour ce mandat de deux ans ?
Notre slogan, c’est « un barreau qui pétille ». Reims, c’est surtout un barreau d’expertise. Je viens de Paris et je suis navrée de constater qu’un grand nombre d’acteurs économiques préfèrent se tourner vers le barreau de Paris. Alors que, je peux vous le certifier, nous avons des confrères qui sont de pures pépites, en droit judiciaire, en droit des affaires, en droit de l’environnement, en droit numérique...et pas seulement. Nous avons les compétences sur notre territoire. Je veux montrer aux acteurs et aux citoyens que non seulement nous sommes les défenseurs de l’Etat de droit, mais que nous sommes également les partenaires privilégiés de l’ensemble des acteurs économiques, quelle que soit la matière concernée. Nous avons une déontologie qui permet un grand nombre d’actions et si nécessaire, une assurance en responsabilité civile, véritablement, et cela garantit, notamment vis-à-vis de nos clients, un travail de qualité.
Que pensez-vous de l’incursion de l’Intelligence Artificielle dans les métiers du Droit, notamment ces applications qui promettent des accompagnements juridiques ?
Aujourd’hui, quand certains se présentent comme coaches ou conseillers, il s’agit potentiellement d’un exercice illégal de la profession. L’Intelligence Artificielle est un outil. Comme tout outil, c’est donc à l’intelligence humaine de l’utiliser. On peut imaginer la manière dont cela va potentiellement se développer. Je regretterais bien évidemment qu’un jour, que ce soit pour des journalistes, des architectes, des médecins ou des avocats, l’Intelligence Artificielle prenne totalement le pas sur l’humain. La Justice doit rester humaine, elle ne peut pas être rendue par une Intelligence Artificielle.
Pour pratiquer ce métier depuis plus de 20 ans dans des matières très diverses - même si aujourd’hui j’œuvre davantage en droit du travail - nous prenons, nous avocats, la pleine conscience et la pleine mesure de toute la difficulté et toute la complexité des décisions rendues par un juge indépendant. Chaque dossier est différent. Il n’y a pas d’automaticité même si la loi est la même pour tous. L’IA peut néanmoins être un outil pour nous permettre de gagner du temps en termes de recherche de jurisprudence, de recherche d’information par exemple.
Le barreau de Reims est-il attractif pour les jeunes avocats ?
Oui nous avons un barreau attractif et nous allons continuer à l’être. Nous sommes le plus important barreau auprès de la Cour d’appel de Reims. Nous ne sommes pas la banlieue de Paris, ni de Nancy et nous faisons partie d’un territoire légendaire. Nous avons cette chance là et c’est à nous de le faire savoir. Nous sommes en capacité de les accueillir de jeunes confrères qui seront l’avenir du barreau. Nous avons mis en place des tutorats qui permettent de créer des binômes pour accompagner ces jeunes collaborateurs où les avocats qui s’installent. L’union des jeunes avocats est également là pour favoriser les rencontres, les échanges et les passerelles.
La Justice évolue régulièrement. Le récent développement des procédures amiables en est un des exemples. Cela va-t-il dans le bon sens ?
Nous sommes de nombreux confrères au barreau de Reims à nous être formés à la médiation. Nous sommes une quarantaine maintenant. Nous avons créé une association de médiation, nous organisons des permanences pour informer les justiciables à l’intérêt d’entrer en médiation. Car c’est une autre façon d’aborder le conflit qui permet de traiter, hors cadre judiciaire, des situations souvent complexes et qui peut permettre d’aboutir à un accord que les médiés co-construisent.
C’est beaucoup plus pérenne, parce que c’est un accord qui est accepté par les deux parties. C’est donc une autre façon d’envisager cette notion de Justice. Lorsque vous avez un magistrat qui rend une décision, par définition, vous pouvez avoir une partie, voire les deux, qui seront non satisfaites de la décision rendue. Ici, un accord, c’est un accord.
C’est une autre façon d’entrevoir la Justice ?
Avocats et magistrats, nous sommes des auxiliaires de justice. Nous œuvrons pour que Justice soit faite. Mais qu’est-ce qu’on entend par Justice ? Qu’est-ce qui est juste ? Qu’est-ce qu’une décision juste ? Quand vous avez des parties, que ce soit des acteurs économiques ou des justiciables, qui sont en conflit armé, une partie peut gagner une bataille, mais la guerre, elle, perdure. Le développement de ces modes de règlements amiables, c’est peut être aussi une manière d’envisager d’une autre façon cette notion de conflit et de règlement de litiges : parler, communiquer, échanger, prendre le temps d’écouter l’autre parce que la voie judiciaire n’offre pas toujours ces possibilités. Mais il existe aussi des dossiers ou des situations qui ne peuvent pas être réglés de manière amiable. Dans ce cas, il faut absolument que le magistrat tranche.
Cette médiation a été poussée par le Garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, qui vient tout juste d’être reconduit à son poste au sein du gouvernement. Quel bilan tirez-vous des premières années de cet avocat de profession en tant que Ministre de la Justice ?
Tout d’abord je constate qu’il est encore en place. Il aurait pu être remercié, peut être plus rapidement, compte tenu de l’accueil qui lui a été fait par la magistrature, peut être même à juste titre, compte tenu de sa réputation et de sa qualité d’avocat mordant en audience. Force est de constater aussi qu’il a obtenu des moyens très importants pour la Justice et je pense qu’il a su attirer le respect au sein de ses équipes ministérielles.
Nous avons eu le plaisir de le recevoir à Reims pour évoquer l’ensemble de ces projets. Avocat un jour, avocat toujours. Son action est respectable. En sa qualité de ministre, il a su conserver son authenticité et il semble y mettre toute son énergie. Il défend son ministère, dans l’intérêt des magistrats en premier lieu, mais derrière, c’est aussi dans l’intérêt des justiciables. Encore une fois, la Justice ne peut pas se rendre dans la rue. Force ne fait pas loi, peur ne fait pas loi, menace, ne fait pas loi, violence ne fait pas loi. Nous sommes, nous serons la dernière digue. Nous, ce sont les avocats, les magistrats, les défenseurs de la loi, de l’état de droit, les politiques aussi. Il faut qu’on travaille ensemble et en local, il y a plein de choses à faire.
Quel est justement selon vous le rôle que doit jouer l’avocat dans le paysage socio-économique local ?
L’avocat dans la cité, ce n’est pas uniquement l’avocat au sein de son cabinet ou en plaidoirie. Pour moi, l’avocat c’est aussi donner des permanences gratuites pour permettre et développer l’accès à l’information. On peut déployer des actions au sein des établissements scolaires, des interventions en termes de harcèlement et de discrimination, et pas uniquement un jour dans l’année.
Bien sûr, nous ne sommes que 300 avocats et on ne peut pas tout faire. Mais il faut aller parler aux jeunes et au monde économique. Le monde économique, c’est justement mon cheval de bataille depuis de nombreuses années, puisque j’enseigne aussi, en parallèle de mon activité, notamment dans les écoles de commerce, mais aussi à la faculté.
L’avocat doit être le partenaire de l’entreprise, il doit être présent dès sa création et rester son partenaire privilégié tout au long de son développement. Intervenir en amont permet d’éviter bien des difficultés ultérieures. Il n’y a rien de plus frustrant que d’être sollicité quand, malheureusement, la situation est déjà catastrophique, juridiquement ou économiquement.
Quand je dis que l’avocat doit être le partenaire privilégié, c’est dans la rédaction des contrats, dans l’appréhension des risques, dans l’anticipation, dans le conseil, dans la projection. Il n’y a pas que les avocats d’affaires. Le judiciaire, le contentieux, le droit commercial, le droit numérique, le droit rural.. il y a tellement de matières. Le confrère qui connaît le contentieux, le conflit, est le plus à même pour, en amont, mettre en place les outils qui permettent soit d’éviter que jaillisse ce conflit, soit d’être en capacité de défendre au mieux les intérêts de son client si une difficulté surgit, puisque justement le nécessaire aura été fait en amont.
L’avocat est le partenaire privilégié de l’entreprise, j’en suis intimement persuadée. Les experts-comptables ont leur rôle à jouer aussi. Bien évidemment, ils ont pleinement, leur rôle, et je pense que nous avons des compétences distinctes. Complémentaires, mais distinctes.