Hommes et chiffres

« Il faut continuer à construire dans les zones où il y a des besoins »

Aménagement. L’Union nationale des Architectes, l’UNSFA, tient son Congrès du 24 au 26 octobre à Reims. Laure-Anne Geoffroy Duprez, présidente de la Fédération nationale et architecte rémoise, nous parle du métier d’architecte aujourd’hui mais aussi de ses enjeux.

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Photo de Laure-Anne Geoffroy-Duprez
Pour Laure-Anne Geoffroy-Duprez, le métier d’architecte est toujours attractif mais il faut intégrer plus d’apprentissage à la formation pour en avoir une vision réelle. (Crédit : Brigitte HASE)

Petites Affiches Matot Braine : À quoi ressemble aujourd’hui le métier d’architecte et à quelles évolutions est-il confronté ?

Laure-Anne Geoffroy-Duprez : Le métier évolue avec les besoins de la société puisque notre but est de répondre aux enjeux sociétaux. Nous travaillons depuis longtemps sur les aspects écologiques et d’aménagement du territoire : de l’urbanisme, jusqu’à la réalisation des bâtiments, avec, effectivement, une vision écologique de plus en plus prégnante de la décarbonation des bâtiments et du réemploi. On a aussi un impact des évolutions technologiques sur notre métier, aussi bien sur la partie conception que sur la partie réalisation, je pense notamment à l’utilisation grandissante de l’Intelligence Artificielle. C’est un outil comme un autre en réalité, de la même façon que nous sommes passé de la planche à dessin à l’ordinateur. Là, c’est pareil. C’est une évolution des outils que nous avons à disposition et qu’il faut s’approprier.

Face à l’urgence écologique, faut-il rénover plus et construire moins ?

C’est un vrai sujet aujourd’hui. En fait, il y a deux éléments : d’abord où se trouvent les besoins ? Concernant le logement et la crise actuelle, il y a des discours qui sous-tendent que nous avons un stock de logements en France qui est largement suffisant par rapport aux besoins. La réalité est tout autre, parce qu’en fait, il faut qu’on vive là où on travaille. Et aujourd’hui, on a des logements qui ne sont pas occupés dans des zones où les gens n’ont pas besoin d’aller habiter. Il faut donc continuer à construire dans les zones où il y a des besoins ; il faut aussi pouvoir construire en lieu et place de bâtiments qui ne sont pas adaptés, notamment au réchauffement climatique. Il existe des bâtiments qu’on ne saura pas rénover de manière écologique qui ont trop de déperdition d’énergie et que l’on ne pourra pas rendre efficace.

Ensuite, s’il y a une nécessité de construire, il y a effectivement aussi une nécessité de développer de manière rapide la rénovation, avec les propriétaires et les bailleurs sociaux. La question est également de ne pas raisonner uniquement en termes de rénovation purement énergétique mais bien de profiter de cette nécessité pour améliorer le bâti dans son ensemble. Les bailleurs qui rajoutent des balcons par exemple permettent de réinventer les choses et de gagner en qualité de vie pour les occupants. On profite d’une rénovation thermique pour faire une rénovation globale.

Mais justement, l’économie d’énergie n’est-elle pas devenue l’alpha et l’oméga de l’architecture ?

C’est un enjeu qui est devenu central c’est vrai, puisque de toutes façons les réglementations nous imposent maintenant de prendre systématiquement cet aspect en compte. Ceci dit, ce n’est pas cela qui définit l’architecture. Cela reste un objectif parmi les autres. Il faut autant réfléchir à la technique qu’aux usages.

Vous dites qu’il faut pouvoir construire là où les gens travaillent, mais la loi ZAN ne contraint-elle pas les nouveaux projets immobiliers dans les villes ?

Il faut tout d’abord avoir un regard sur la ville dans son ensemble. Repérer les zones qui peuvent être utilisées, les bâtiments qui peuvent être réutilisés pour d’autres usages et penser en termes de surélévation et de densification. Là aussi, on est obligé d’aller vers de la dentelle avec cette réglementation. Si on ne peut pas continuer à s’étendre dans les champs autour des villes, il faut aller chercher les opérations et les nouveaux logements par petites touches. Il faut aussi rendre désirable la densification, et ça, c’est un vrai sujet pour les usagers. On réfléchit en termes d’îlots et non en termes de bâtiment unique.

En France, il n’y a pas de norme globale sur la surélévation des bâtiments, il faut surtout rester cohérent avec l’existant. Dans le centre-ville, on peut monter plus haut que dans les faubourgs. L’accès à la lumière, c’est un peu cela l’enjeu. À Reims par exemple, quand on lève les yeux, on constate la surélévation sur d’anciens bâtiments à base de zinc foncé, c’est quelque chose qui se fait de plus en plus.

N’y-a-t-il pas le risque de dénaturer le visage d’une ville ?

Justement, c’est en cela que les architectes entrent en jeu. Il ne faut pas faire les choses n’importe comment. Il faut réfléchir au caractère de la ville, préserver la cohérence avec un ensemble. Mais on ne peut pas se priver de ces constructions parce que la réalité, c’est qu’on ne veut plus utiliser les voitures. Donc il faut être proche des centres vivants et pour cela, il faut que l’ensemble des activités, la vie sociale, le travail et l’habitation, soient assez concentrés.

Ce n’est pas en contradiction avec les aspirations de vouloir plus de nature, de qualité d’air ? Après le covid, beaucoup ont quitté les villes…

En effet, de nombreux Français ont voulu partir des villes, mais quatre ans après, beaucoup sont finalement revenus. Vivre loin de tout ce n’est pas forcément évident. Quand on parle de vieillissement de la population par exemple, aujourd’hui une personne âgée a besoin d’avoir accès aux services sans prendre son véhicule. Il y a vraiment toute une réflexion là-dessus, entre les aspirations que l’on rencontre mais aussi la possibilité d’offrir un logement bien pensé, bien ventilé, bien éclairé, avec potentiellement un accès facile à un espace extérieur. C’est sûrement vers là que l’on doit aller et cette réflexion doit se faire avec les collectivités. C’est une question d’aménagement du territoire dans sa globalité.

Les normes ne sont-elles pas un point bloquant à cette vision de la ville de demain ?

C’est vrai que l’on a parfois l’impression qu’il y a une accumulation de normes catastrophiques. Il faut faire le tri entre celles qui sont utiles et celles qui ne le sont pas. Celles qui nous poussent à plus de qualité sont efficaces, même si elles peuvent sembler contraignantes. C’est un choix collectif. Aller vers plus d’économie d’énergie va dans le bon sens, on ne va pas revenir en arrière même si en France on est les plus exigeants au niveau des réglementations. Mais ce serait dommage de rétrograder. Avec l’UNSFA, nous travaillons beaucoup, auprès du gouvernement, sur les normes qui vont amener de la difficulté et empêcher d’avancer, comme l’instruction des permis de construire où nous sommes aujourd’hui dans des complexités administratives sans fin.

Aujourd’hui, les mises en chantier sont vraiment au plus bas, il n’y a même plus de demandes de permis parce qu’on a un stock de projets qui n’ont pas encore été lancés. Donc, avant d’en faire de nouveaux, on va déjà essayer de réaliser ceux qui sont dans les cartons. Il va donc bien falloir compter deux ou trois ans avant que l’activité des entreprises du bâtiment ne reprenne réellement. En attendant, ce sont des licenciements et des logements qui ne sortent pas. Aujourd’hui, on est à plus de 2 millions de demandes de logements sociaux en France qui ne sont pas satisfaites car quand on parle de la promotion immobilière, quasiment la moitié de ce qui est construit est destiné aux bailleurs.

Avec l’UNSFA, vous faites partie de l’Alliance du logement qui regroupe 10 partenaires. Née il y a un an, elle alertait justement sur cette crise. Que faut-il faire pour débloquer la situation ?

Des mesures comme revenir au PTZ à 40% partout, pour les maisons comme pour les appartements, dans le neuf et dans l’ancien, et réactualiser les barèmes pour prendre en compte l’inflation notamment ; assouplir véritablement les règles du Haut Conseil de Stabilité Financière, alors que la sinistralité sur le crédit immobilier demeure à des bas niveaux (prendre en compte le « reste à vivre »), voire suspendre pendant un délai d’un an, ces règles qui ne sont plus utiles dans le contexte actuel ; exonérer partiellement des droits de mutation à titre gratuit la première transmission de logements neufs acquis en VEFA sur une courte période (16 mois) ainsi que les donations numéraires, de terrains et d’immeubles destinés à être démolis dès lors qu’elles bénéficient à la construction ou l’acquisition d’un logement neuf destiné à la résidence principale du donataire ; mettre en place un statut du bailleur privé (dispositif pérenne d’amortissement).

La fin du Pinel pour les investisseurs particuliers ne peut être envisagée sans alternative compte-tenu de la chute de la production neuve. Dans les projets allant au-delà des seuils indiqués dans le cadre de la RE 2020, nous souhaitons la mise en place de mesures dérogatoires au PLU permettant la réalisation de surépaisseur et la surélévation des bâtiments.

Depuis les années 70 et le fort besoin de logements, l’utilitaire a souvent supplanté l’esthétique. Le beau a-t-il encore une place en architecture ? N’est-il réservé qu’à une catégorie privilégiée ?

J’ai envie de dire non. J’aimerais que non évidemment. Il y a la question du budget qui implique que l’on ne choisit pas les mêmes modes constructifs, les mêmes matériaux, mais finalement, le « beau » est très difficilement définissable. En réalité, il n’y a pas que la question des moyens financiers qui entre en compte. Il y a aussi, et c’est très important, le temps de réflexion et le volonté politique. Le temps passé sur un projet doit être valorisé.

C’est la matière grise qui est mise dans un projet de construction, et derrière, la rémunération de cette matière. Je parle des architectes mais aussi des bureaux d’études pour faire au mieux. Effectivement, aujourd’hui, pour faire un bâtiment décarboné avec du réemploi, pour bien l’inscrire dans son environnement, dans son territoire, tout ça, cela nécessite de la réflexion. Et si on ne donne pas les moyens de cette réflexion, on fait moins bien.

Quels autres sujets portez-vous avec l’UNSFA ?

Celui de la préservation de l’indépendance des architectes. Aujourd’hui, la profession est réglementée. Une agence d’architecture est nécessairement détenue à plus de 51% par un architecte inscrit à l’Ordre et qui prête serment. Ce que l’on promet, c’est de ne servir que le bien de la société. On est au service de ce bien public et par cela, on maintient le fait qu’il faut que l’on puisse avoir cette indépendance financière et le choix de positionnement professionnel afin de ne pas répondre à des enjeux financiers qui ne seraient pas en cohérence avec notre mission.

Nous sommes donc très attentifs à ce que cela soit maintenu. Si un architecte venait à travailler comme salarié d’un major de la construction par exemple, à ce moment-là, on peut imaginer que les enjeux financiers puissent prendre le dessus sur l’intérêt public…

Nous militons aussi pour un véritable conseil national de la construction et de la rénovation, c’est à dire un organe intégré par le gouvernement comme cela existe pour l’industrie par exemple. On travaille déjà avec l’ensemble de la filière pour proposer des solutions mais on souhaiterait quelque chose qui soit cadré et qui nous permettrait d’avancer avec les gouvernements successifs de manière plus fluide et régulière.