« Globalement, le Covid aurait plutôt permis aux entreprises françaises de se renforcer »
Entretien. Retour sur le congrès annuel organisé au début de l’été autour d’une thématique riche, transversale et porteuse de sens : la résilience. Questions à Frédéric Abitbol, président du Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires.
Pourquoi avoir choisi ce thème de la résilience comme pivot des débats ?
Parce qu’il y a une vraie sinistrose ambiante, récurrente, alors que sur le terrain, nous constatons qu’il y a un très gros écart entre ce climat général un peu pesant et la réalité, avec des entreprises qui résistent, et qui font même mieux que résister pour certaines. Beaucoup se développent et gagnent des parts de marché, les immatriculations continuent (350 000 sur 2022 hors auto-entrepreneurs, c’est beaucoup...).
Dans vos missions, observez-vous de grandes tendances ?
Massivement, les difficultés se concentrent sur les petites et les jeunes entreprises. 93% de nos dossiers concernent des structures de moins de 10 salariés. Les « gros » dossiers sont souvent traités sous l’angle de la prévention. S’ils sont moins nombreux, ça n’est pas à mettre au crédit de la bonne santé économique du pays, mais plutôt parce que l’anticipation des difficultés est enfin entrée dans les mœurs.
Nous avons développé le mandat ad hoc et la conciliation il y a quarante ans déjà, des procédures totalement confidentielles, volontaires et consensuelles, via l’assistance d’un tiers qui n’a aucun pouvoir décisionnel mais qui amène les parties prenantes (banques, actionnaires, fournisseurs, clients...) à négocier pour enclencher une reconstruction de l’entreprise.
À 80 %, c’est un succès. L’an dernier, 7000 procédures dites de prévention ont été ouvertes, sur un total de 50 000, et aujourd’hui les PME et TPE les utilisent aussi. Avocats, experts-comptables ou chefs d’entreprise sont mieux informés, c’est une excellente évolution au vu des taux de sorties positives.
Des secteurs d’activité moins résilients que d’autres ?
Tous les secteurs ont passé la période Covid sans trop d’encombres, avec un « quoiqu’il en coûte » de 240 Mds€ pour les entreprises. Pour comparaison, le plan de relance de Nicolas
Sarkozy en 2008 toisait les 30Mds€... C’est énorme. Il y a eu 700 000 prêts garantis par l’État (30 000€ en moyenne). Une partie de cet argent a servi à couvrir les besoins immédiats, certes, mais une part s’est dirigée vers l’investissement, et ça, c’est intéressant pour créer de la richesse. C’est le côté opportun de la crise... Globalement, le Covid aurait plutôt permis aux entreprises de se renforcer. En majorité, elles sont sorties de la période plus fortes que lorsqu’elles y sont entrées. Parfois, les surprises peuvent être bonnes.
Les grandes transitions en cours, obstacles ou opportunités ?
Nous vivons une transformation numérique absolument fondamentale, l’intelligence artificielle, la fin du moteur thermique, d’une certaine manière la fin de la mondialisation avec des essais de relocalisation, le monde se transforme et là, il ne s’agit pas de passer une crise, mais de s’adapter. Le changement est (presque) toujours une difficulté pour les entreprises, il révèle les fragilités, les forces aussi. Tout se jouera dans notre capacité globale à passer ces caps, avec pour l’heure quelques handicaps : nous ne sommes pas autosuffisants en matière énergétique. Comme dans d’autres secteurs, il faut reconquérir notre autonomie, et c’est beaucoup plus facile à dire qu’à faire.
Des inquiétudes particulières à court terme ?
L’immobilier à l’évidence va rencontrer quelques difficultés, la filière automobile bien sûr, bousculée par la fin du thermique, des usines vont fermer. La question, c’est de créer d’autres usines, bâties sur de nouveaux modèles.
Et la réponse, c’est la réindustrialisation. Il y a clairement une volonté politique, et une certaine stabilité, avec deux mandats présidentiels qui suivent la même vision, celle d’une politique de l’offre et de cette réindustrialisation nécessaire. Mais entre la stratégie et la mise en œuvre, il y a -et il y aura- toujours de la résistance.
« Notre métier, c’est la crise »
600 inscrits, pour 450 professionnels officiels, administrateurs et mandataires mêlés, mais appel avait été lancé aux collaborateurs, aux présidents des tribunaux de commerce spécialisés, aux parquetiers dédiés, et bien sûr aux instances de tutelle, Chancellerie ou ministère de l’Economie. En axant les débats sur la résilience, le Conseil national se voulait proactif dans ses échanges.
De l’avis général des intervenants, de l’économiste Christian Saint-Etienne au Général de Lapresle en passant par le président Abitbol, la France ne se réforme que dans des crises existentielles, et malgré les signaux forts envoyés par les conflits et les transitions numérique et énergétique, la perception globale s’arrêterait plutôt à la réforme des retraites...
« Ce ne sont pas ces débats-là qui vont redresser le pays », souligne Frédéric Abitbol, qui à La Colle-sur-Loup, souhaitait élever d’un cran les ambitions nationales. Sans omettre un focus traditionnel sur une profession « qui elle-aussi se transforme, rajeunit, se féminise et surtout monte en gamme. » Administrateurs et mandataires se numérisent, recrutent, forts de missions « qui ont du sens », un atout aujourd’hui. Sauver des boites et des emplois, accompagner et trouver des solutions, le métier est attractif et son indépendance a su séduire. Et si quelques problèmes de recrutement subsistent, c’est que la profession se veut exigeante.