François Asselin : « La prise de risques est l’antidote à la crise »
Société. Réforme des retraites, crise énergétique, difficultés de recrutement, aides aux entreprises, radicalisation de la société, entrepreneuriat... François Asselin, Président de la CPME, a accepté de nous livrer en exclusivité, son opinion sur les principaux dossiers qui agitent la société.
Malgré le contexte anxiogène du moment, et arguant du principe qu’il en va de la survie même de notre système basé sur la répartition, le gouvernement vient de lancer une nouvelle, une énième réforme des retraites. Celle-ci semble vous convenir tout particulièrement. Pour quelles raisons ?
François Asselin : Travailler plus longtemps est indispensable pour sécuriser et équilibrer les finances de notre régime de retraites par répartition, dans la durée. Avec la baisse démographique que nous connaissons en France, c’est une mesure sociale pour s’assurer que les générations futures toucheront le même niveau de pension que la génération qui part aujourd’hui à la retraite. La réforme vise un retour à l’équilibre dès 2030, ce qui est satisfaisant même si, à la CPME, nous étions favorables à un retour à l’équilibre plus rapide en reportant l’âge légal de départ en retraite à 65 ans. Mais la réforme ne s’arrête pas là.
À la CPME, nous avons soutenu des dispositifs d’équité, qui ont été retenus dans le projet gouvernemental. Tout d’abord, les carrières longues, c’est-à-dire la possibilité de partir plus tôt pour ceux qui ont commencé à travailler très tôt. Pour ce qui est de l’usure professionnelle, l’approche qui a été retenue tout comme la possibilité pour les employeurs de mettre en place davantage d’actions de prévention, est très équilibrée.
Je me réjouis également que les femmes, qui peuvent avoir des carrières hachées, n’aient pas été oubliées. Il en va de même pour la fin de certaines iniquités par la suppression de la plupart des régimes spéciaux pour les nouveaux entrants.
Enfin, l’assurance d’un minimum de pension décent pour tout retraité, actuel ou futur, est une amélioration sociale que je ne peux qu’applaudir. Autre motif de satisfaction, le fait que l’allongement de la durée de cotisation ou l’augmentation des cotisations n’aient pas été retenus dans ce projet. Mais la réforme devrait aller plus loin. Nous allons par conséquent continuer de plaider pour des propositions qui vont dans le bon sens.
N’est-ce pas un vœu pieu que de vouloir absolument sauver la retraite par répartition ? Compte-tenu de l’évolution de notre société, ne serait-il pas plus pertinent de réfléchir à un autre modèle basé davantage sur la capitalisation ?
François Asselin :
À la CPME, nous militons depuis plusieurs années pour l’introduction d’une part de capitalisation dans le régime de retraite des salariés.
En effet, si nous maintenons le système actuel par répartition, avec la baisse de la démographie donc du nombre d’actifs cotisants par rapport aux retraités, l’équilibre à très long terme de l’actuel système de retraite ne peut être conservé que par une baisse des pensions pour les prochaines générations, et notamment celles des plus jeunes. Cela nous mènerait droit à un conflit entre générations !
Notre proposition est donc d’introduire un système de retraite supplémentaire qui permette à l’assuré de se constituer une rente ou un capital qui viendrait compléter utilement ses revenus au moment de la liquidation de sa retraite. Aujourd’hui, les seuls bénéficiaires d’un régime par capitalisation sont généralement les salariés des grands groupes ou les cadres supérieurs.
De plus, un tel système existe actuellement pour les fonctionnaires, de manière obligatoire : l’Établissement de retraite additionnelle de la Fonction Publique (ERAFP). Le régime supplémentaire par capitalisation serait ainsi calé sur ce qui existe actuellement dans la fonction publique.
Tout comme les précédentes, cette énième réforme des retraites suscite la colère des organisations syndicales et de certains partis politiques qui crient à l’injustice. Que lui manque-t-il pour qu’elle fasse l’unanimité, pour qu’elle concilie les intérêts de chacun si tant est que cela soit possible ? Les syndicats patronaux tels que la CPME sont-ils prêts à faire certaines concessions pour faciliter son adoption ?
François Asselin : La difficulté repose à mon sens sur une mauvaise communication de départ sur les raisons de la réforme. Les choses sont pourtant claires, le système des retraites est en danger en raison notamment de la baisse démographique. Le rapport du Conseil d’Orientation des Retraites (COR) est sans appel. Si le régime de retraite revient dans le vert en 2021-2022, le système connaîtrait dès 2023 une détérioration durable de sa situation financière. Ainsi, sur « les 25 prochaines années, le système de retraite serait en moyenne déficitaire quels que soient la convention et le scénario retenus ».
Pour la CPME, il est incompréhensible que certains responsables politiques et syndicaux remettent en cause ce qui est dit dans le rapport du COR. Il y a là de la malhonnêteté intellectuelle. L’autre difficulté réside dans l’attachement français aux acquis sociaux. C’est un effort demandé aux Français de travailler deux ans de plus même si cela s’accompagne de dérogations pour les métiers les plus usants et pour les personnes les plus fragiles.
Personne n’a envie de travailler plus longtemps, c’est une évidence, mais il faut être conscient que si les générations actuelles refusent toute réforme, ce sont les générations futures qui en pâtiront et risquent d’être poussées à prendre des décisions plus radicales ! Cela étant dit, la CPME prendra ses responsabilités pour que cette réforme s’accompagne d’une amélioration de l’emploi des seniors et d’une meilleure prévention de la santé au travail.
Après avoir été confrontées à la Covid, ce qui a incité bon nombre d’entre-elles à adopter de nouvelles pratiques, les entreprises sont aujourd’hui confrontées à une autre problématique, la hausse du coût des énergies, ce qui pourrait s’avérer dramatique pour beaucoup. Les aides mises en place par l’État sont-elles, selon vous, à la hauteur des enjeux ? À défaut, que faudrait-il mettre en place pour éviter un tsunami de défaillances ? Plus globalement, quelles sont les attentes des petites et des moyennes entreprises vis-à-vis du Gouvernement ?
François Asselin : Étant donné que les aides adaptées aux besoins des TPE-PME ne sont applicables que depuis le 1er janvier, il est encore trop tôt pour juger si ces aides sont efficaces. En effet, l’année dernière, des mesures de soutien existaient mais les critères d’éligibilité étaient tels que ces mesures étaient peu mobilisables par les PME. Aujourd’hui, le gouvernement a écouté une partie de nos revendications et a réagi en déployant plusieurs mécanismes comme la prolongation et l’extension du bouclier tarifaire à certaines TPE, la création de l’amortisseur électricité ou plus récemment l’installation d’un tarif garanti pour les TPE.
Néanmoins, le tissu des petites entreprises a été fragilisé par les conséquences de la crise sanitaire. L’absorption d’une partie de la flambée des prix de l’énergie devra se faire par une nouvelle baisse de leur marge et de leur trésorerie, or elles ne sont pas toutes en capacité de se le permettre. En dépit des aides gouvernementales, certaines TPE-PME vont être mises à l’arrêt. Face à cela, il faut pousser les entreprises à agir vite en remplissant leur attestation et en la retournant à leur fournisseur.
Elles doivent également se servir des outils mis en place pour rebondir. Et ce, d’autant plus que les chiffres de la Banque de France traduisent une remontée des défaillances d’entreprises en 2022, notamment pour les TPE. Dans cette situation critique, ce qui répondrait aux attentes des PME serait une action forte du gouvernement pour que la baisse des prix de l’électricité constatée actuellement, soit répercutée jusqu’à elles. Plus globalement, il faut changer l’organisation actuelle du marché, qui génère de la volatilité, l’indexation de l’électricité sur le gaz étant la cause de prix très élevés qui viennent percuter l’activité des entreprises.
Quel que soit leur secteur d’activité, la plupart des entreprises connaissent des difficultés de recrutement, ce qui pénalise leur développement. Comment en sommes-nous arrivés à cette situation ? Quelles solutions prône la CPME pour y mettre fin ?
François Asselin :
D’après le dernier sondage de la CPME de novembre 2022, 53 % des dirigeants de PME cherchent actuellement à recruter et 91 % d’entre-eux rencontrent des difficultés à recruter le bon profil.
La première raison avancée par les chefs d’entreprise est le nombre insuffisant de candidats (79 %), suivie de l’inadéquation du profil des candidats (69 %).
Évidemment, ces difficultés ont un lourd impact sur l’activité des entreprises puisque un tiers des dirigeants refusent des commandes en raison du manque de salariés. Les causes de ces difficultés sont multiples. Elles sont principalement dues à des mouvements de reconversion massifs liés à la période Covid qui ont amené un changement d’état d’esprit en termes d’organisation du temps de travail, de conciliation des temps de vie et de rémunération. Face à cette problématique, la CPME encourage les chefs d’entreprises à s’emparer des diverses mesures à leur main pour fidéliser les salariés et rester attractifs.
Celles-ci vont dépendre de l’entreprise, de sa trésorerie, de sa localisation ou de son activité. Autre piste pour raccrocher les demandeurs d’emploi au travail, lors de la concertation de la réforme de l’assurance-chômage, la CPME a porté la « contracyclicité » qui consiste à mieux indemniser les demandeurs d’emploi en cas de chômage élevé et rendre l’indemnisation plus incitative à retrouver un emploi en cas de période de plein emploi. La loi « marché du travail » a décliné ce principe pour les demandeurs d’emplois inscrits à compter du 1er février 2023 avec une durée d’indemnisation qui sera réduite. Le bilan de cette mesure et ses résultats sont attendus dès cet été.
Autre solution, dans les territoires, nous sommes très attentifs aux freins périphériques à l’emploi tels que les difficultés de mobilité ou de gardes d’enfants, et nous y travaillons avec les pouvoirs publics.
Notre société tend à se radicaliser. Les extrêmes gagnent du terrain sur l’échiquier politique et les comportements individualistes l’emportent de plus en plus sur l’intérêt général. Dans ce monde qui tend à se diviser, où la réussite est aujourd’hui encore suspecte et paradoxalement, l’échec stigmatisé, quelles valeurs ajoutées la CPME peut-elle apporter à ses adhérents ?
François Asselin : La première valeur c’est justement celle du collectif. À la CPME, nous formons une communauté solidaire, soudée, qui réfléchit collectivement à des solutions, qui s’entraide. Pendant la crise Covid, dans tous les territoires, nous nous sommes retroussé les manches pour être aux côtés des entrepreneurs 7 jours sur 7, et ce travail a permis d’apporter un soutien efficace.
On retrouve ce sens de la proximité dans les PME où les entrepreneurs sont en contact direct avec leurs salariés et ça change tout ! Autre valeur clé que nous portons et qui est inhérente à tout entrepreneur : la prise de risques. Pour moi, c’est l’antidote à la crise morale que nous traversons actuellement : au lieu de stigmatiser l’échec, lancez-vous, osez, mouillez votre chemise ! Bien sûr que l’échec est une possibilité quand on crée son entreprise, d’autant plus menaçant que l’on y investit son patrimoine personnel ! Mais quelle aventure, quel apprentissage humain, professionnel ! L’entreprise est un bien commun. Le vrai remède contre les pensées les plus radicales, c’est l’action au service de l’emploi, et donc de notre pays.