« Il faut décloisonner l’industrie française »
Investissements. Présent à l’occasion de l’inauguration du site d’Agronutris à Rethel, Nicolas Dufourcq, Directeur général de la banque publique d’investissement Bpifrance livre ses ambitions pour la réindustrialisation de la France.
L’industrie en France est repartie, comment Bpifrance accompagne ce renouveau ?
Nicolas Dufourcq : Dans le plan stratégique que j’ai fait valider par mon conseil d’administration en juillet dernier, on a dit qu’on allait mettre 35 milliards d’euros sur l’industrie dans les quatre ans qui viennent. C’est considérable. Il y a des fonds propres, du crédit, du crédit court terme, des garanties à l’export. C’est aussi du conseil, beaucoup de conseils, des écoles, de l’accompagnement, du financement de l’innovation…
Tout cela au service du plan de réindustrialisation de la France que vous accompagnez…
ND : Oui, nous portons le plan de réindustrialisation de la France à la demande de l’État, dans lequel il y a trois grandes verticales : Il y a les grandes cathédrales dans lesquelles l’Etat accepte de mettre l’argent du contribuable par milliards. Ce sont les Giga Factory de batteries dans le nord, les giga usines de fabrication d’électrolyseurs pour l’hydrogène ou une usine de fabrication de semi-conducteurs à Grenoble.
Il n’y a pas de possibilité d’installer des grandes cathédrales en France s’il n’y a pas une grande part d’argent public pour amorcer le sujet et couvrir les risques des premières années qui sont très creuses et qui perdent beaucoup d’argent.
Ensuite, il y a les start up industrielles. C’est l’exemple d’Agronutris. Les start-up industrielles il n’y en avait pas en France. Mais elles sont une grande partie de l’avenir industriel de la France. Les universités scientifiques françaises produisent quantité d’inventions que jusqu’ici nous licenciions aux étrangers. Maintenant, on dit que cette science doit atterrir en France, dans des usines françaises. L’objectif, c’est de faire 100 Agronutris par an.
La troisième verticale, c’est entre les start-up industrielles et les cathédrales, c’est toute la French Fab : C’est tout le tissu productif des PME et des ETI industrielles, toute l’histoire économique, industrielle de nos territoires qui est en train de se renouveler complètement avec les nouvelles générations de patronnes et des patrons qui sont en train de se relancer par l’innovation.
Vous avez annoncé vouloir développer 100 projets comme Agronutris en France chaque année Aujourd’hui, vous en êtes à une trentaine. Comment comptez-vous parvenir à 100 ?
ND : On a le deal flow, je pense d’entrepreneurs qui veulent faire ça. Ensuite, il faut qu’on mobilise des capitaux privés. Il faut que les équipes soient bonnes. Ici chez Agronutris à Rethel, il y a une alchimie entre un chercheur-entrepreneur et un entrepreneur-manager. Et ce genre de couple, c’est ça qui est parfois le plus difficile à construire.
Au délà des aides à l’innovation et de l’accompagnement dans les études de faisabilité, à quelle hauteur les équipes de Bpifrance soutiennent-elles Agronutris ?
ND : Nous avons mis 30 millions d’euros dans le projet Agronutris : 10 millions de fonds propres, 10 millions de prêt, 10 millions de subventions. Le tiers de subventions est lié au Plan de relance et au début de France 2030. Je ne pense pas que ce sera éternellement possible de faire des subventions aussi élevées parce que le budget de l’État est au bout de ce qu’il peut faire maintenant. Maintenant il faut qu’on réduise notre déficit, donc ce sera beaucoup plus du prêt et de la garantie et des fonds propre.
Les sources d’argent public ne sont pas intarissables, cela veut dire que vos marges de manœuvres se réduisent ?
ND : Non, pas du tout. Le Plan de relance qui était un plan à 20 milliards, puis ensuite le plan France 2030 qui est à 54 milliards, c’est des choses qu’on aurait cru inimaginables, impossible il y a encore dix ans. On a trouvé les marges de manœuvre pour le faire. Sauf que maintenant la dette publique est à 110 % du PIB.
Donc on sait et il faut qu’on y arrive, comme d’ailleurs c’est le cas en Allemagne, en Suède, en Hollande, un peu partout, à mobiliser des poches de capitaux privés. C’est le cas aujourd’hui. Mais les tours de table futurs pourraient être très élevés.
Comment mobiliser les capitaux privés aujourd’hui ?
ND : On a des partenaires qui sont des fonds, qui ont envie de faire un peu comme nous et donc d’accepter des projets relativement risqués dans la durée. Alors celui d’Agronutris est récemment dérisqué puisqu’ils ont un contrat pour 50 % de leur production sur les cinq ans qui viennent. Donc ça facilite déjà beaucoup les choses.
Ça n’est pas toujours le cas des grands projets industriels, donc il faut, il faut créer une nouvelle classe d’actifs, en fait, avec des investisseurs spécialisés comme les nôtres, qui sont capables de se projeter dans une durée de l’ordre de dix ans. D’accepter que les risques au début sont plus élevés mais les retours à la fin sont plus élevés aussi. Donc c’est une mentalité de financier de l’industrie qu’il faut retrouver.
Cela passe aussi par la réussite des projets...
ND : Voilà, exactement le succès entraine le succès . Ensuite, ça devient statistique, les gens savent que la classe d’actifs est rentable. C’est comme ça qu’on a démarré la biotech il y a 20 ans. Au début, c’était très dur. Aujourd’hui les gens savent que la biotech, à la fin elle crache.
Bpifrance a aussi créé des communautés (Coqs Verts, etc.) pour permettre aux entrepreneurs de se rencontrer et d’échanger
ND : Ça c’est très important, parce qu’à la fin des fins, c’est tripal tout ça. Vous ne pouvez pas tout rationaliser : quand vous mettez à tout rationaliser, c’est qu’en fait vous analysez votre impuissance. Et donc, si vous êtes dans l’imaginaire et dans la projection, à un moment, c’est forcément tripal et donc communautaire. Il faut vraiment, vraiment qu’on fasse des progrès sur le décloisonnement de l’industrie française. On a des entrepreneurs qui sont encore trop solitaires. Mon rêve, c’est que toutes les zones industrielles s’appellent communautés d’entrepreneurs French Fab.
La Communauté d’entrepreneurs French Fab c’est quand même mieux que la ZI. J’ai commencé à Vitré où avec la maire, on est en train de transformer la ZI en Communauté entrepreneurs French Fab qui devient du coup circulaire. Il y en a qui produisent de la chaleur pour d’autres, ils se donnent des coups de main, ils ont un groupe WhatsApp… Alors qu’avant on était dans la même Zone Industrielle, mais on ne se parlait pas. Je crois que les ressources d’inventivité, de fécondité et de gains de productivité liés au fait que les gens bossent ensemble sont énormes en France.
Un mot sur le SPI, qui est la société de projets industriels développée Bpifrance ?
ND : SPI est le fonds qui a investi dans Agronutris. Nous l’avons créé il y a 8 ans. Ce fonds va investir dans des nouvelles usines, dans des secteurs nouveaux pour lesquels il faut renouveler complètement l’imaginaire français, pour lequel il faut trouver des entrepreneurs qui ont décidé de faire un pas de côté. Aujourd’hui, le fonds a déjà investi 30 fois, il a créé 5000 emplois.
Il a inventé cette nouvelle classe d’actifs qui est en fait le capital risque industriel, qu’on appelle le venture industriel. C’est du venture quand même, oui, c’est risqué, mais c’est une industrie et à la fin on fait des sorties qui sont des sorties à 1,7 fois comme les autres. Mais ça suppose des compétences financières mais également juridiques, politiques aussi, parce qu’il faut travailler avec les élus, il faut chercher le foncier. Ce sont des questions qu’on ne se pose pas quand on fait du digital par exemple
Début 2023 vous avez été reconduit pour un mandat de cinq ans à la tête de Bpifrance. Quelle est votre feuille de route sur les cinq années à venir ?
ND : La feuille de route c’est le plan que j’ai fait voter, dans lequel on va mettre 35 milliards d’euros sur l’industrie, 35 milliards sur le climat, 12 milliards sur la santé, 5 milliards sur l’intelligence artificielle, etc. On a aussi un objectif stratégique très important qui est de doubler le nombre d’entrepreneurs en France par la création d’entreprises, notamment dans les quartiers.
On est opérateur d’un grand plan quartiers qui s’appelle Quartier 2030 où on veut permettre à 100 000 entrepreneurs d’émerger dans les quartiers dans les six ans qui viennent, ce qui est très important. Et puis on a un objectif de souveraineté, qui est de mettre du capital dans des boîtes qui pourraient être achetées par des étrangers qu’on veut absolument garder. On a un plan défense aussi, un plan nucléaire qui est très important.
Le renouveau de l’industrie passe nécessairement par l’industrie verte ?
ND : Absolument. Les usines qu’on fait monter, elles sont nativement vertes, nativement décarbonées bien sûr. Sinon on ne les finance pas.