« Cette digitalisation montrera notre modernité »
Justice. Le nouveau président du Conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires présente les grands projets de son mandat et se penche sur l’année 2024.
Vous venez d’être nommé président du Conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires, pouvez-vous nous en dire plus sur votre parcours et sur ce qu’est votre profession ?
Je suis installé à Bourg-en-Bresse comme mandataire judiciaire depuis 1997. J’ai commencé à exercer ici dans le cadre d’une association avec Maître Belat. Il est parti à la retraite en 2019 et depuis, je suis seul avec une équipe de 15 personnes. En janvier 2022, j’ai également repris une étude de six personnes en Haute-Savoie, à Annecy et Thonon-les-Bains. En parallèle, je suis associé de la Selarl MJ Synergie, composée de sept mandataires judiciaires et 61 salariés sur huit sites, essentiellement sur le ressort de la cour d’appel de Lyon, mais pas seulement.
Le mandataire judiciaire a un mandat de justice confié par les tribunaux de commerce pour toutes les entreprises à caractère commercial et par les tribunaux judiciaires pour toutes les entreprises à caractère civil, comme les agriculteurs, les sociétés civiles et professions libérales, les associations. Nous sommes présents en cas de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire.
Dans le premier cas, nous sommes représentants de l’intérêt collectif des créanciers et l’interlocuteur du tribunal et de ses magistrats pour les renseigner sur la détermination du passif et l’indemnisation des salariés. Lorsque malheureusement, le dossier est converti en liquidation judiciaire, notre rôle est un peu plus large et comprend un volet social, par lequel je commence car c’est important. Il s’agit de procéder au licenciement des salariés et de les faire indemniser par le fonds de garantie des salaires. Il faut réaliser les actifs de l’entreprise, immobilier ou mobilier, recouvrer toutes les créances dues à l’entreprise, engager les actions nécessaires pour reconstituer ou augmenter l’actif de la procédure.
Tout cela dans l’objectif de désintéresser au mieux les créanciers qui se manifestent auprès de nous. Ce métier passionnant touche à toutes les activités. Cette profession allie à la fois le droit et le chiffre, une particularité que nous partageons avec nos voisins que sont les administrateurs judiciaires.
Quel est le rôle du Conseil et de son président ?
Le conseil national est la représentation en France de la profession, composée d’environ 150 administrateurs judiciaires et de 300 mandataires judiciaires. À ces 450 professionnels s’ajoutent près de 2 800 salariés. La structure, basée à Paris, assure la formation des professionnels et de leurs collaborateurs. Elle organise également les contrôles que nous subissons tous les trois ans et examine les rapports pour détecter d’éventuelles anomalies. Notre établissement, composé de 16 membres, a également un rôle de représentation auprès des institutions, notamment des différents ministères. Nous sommes notamment consultés sur les textes qui concernent notre profession. Un mandat au conseil dure quatre ans. Le bureau, composé de six personnes, est élu par le conseil tous les deux ans, avec à tour de rôle un mandataire, puis un administrateur à sa tête.
J’ai déjà réalisé un premier mandat au Conseil national entre 2008 et 2011. À cette occasion, j’ai été pendant deux ans secrétaire au bureau, une expérience très enrichissante. La réflexion autour de textes permet de prendre de la hauteur par rapport au quotidien.
J’ai effectué un deuxième mandat de 2020 à fin 2023, pendant lequel j’ai de nouveau fait partie du bureau, tout d’abord comme trésorier, puis comme vice-président. Cette forme de continuité du poste de vice-président à président a souvent été appliquée par le passé. Elle engendre une bonne connaissance des dossiers en cours et des interlocuteurs. Cette tâche est lourde et nécessite d’être préparée. En parallèle, j’ai la chance d’avoir le soutien de l’équipe de mes études, car malgré le mandat, il ne faut pas perdre sa propre entreprise de vue. Et d’avoir l’équipe du Conseil national, à la fois soudée et expérimentée.
Où en est la santé de la profession ?
Nous avons vécu une période difficile lors de la crise sanitaire. Au mois de mars 2020, le président de la République a décidé d’un quoi qu’il en coûte et le ministre de l’Économie a mis en place un certain nombre de mesures de soutien aux entreprises. Aussi, nous avons apporté beaucoup d’aide permettant à certaines sociétés de franchir ce cap. Si bien que pendant 2 ans et demi, le nombre de défaillances d’entreprises a considérablement réduit. Sur un cycle normal, elles représentent entre 50 000 et 55 000 procédures annuelles. En 2020, le chiffre est tombé à 28 000 et en 2021 à 27 500. L’activité de nos cabinets en a été fortement impactée.
Les défaillances ont repris à la fin du premier semestre 2022. Fin 2023, nous avons finalement retrouvé un niveau comparable à celui de 2018, soit 55 000 procédures. Un niveau un peu élevé mais pas anormal, l’économie a toujours produit ce cycle entre les créations et les défaillances.
L’année 2024 s’annonce délicate. La conjoncture est difficile en raison de multiples facteurs et cela impacte la sécurité des entreprises. Aussi, nous nous attendons, de notre côté, à avoir un volume d’activité conséquent. Mais la profession fera face. Nous avons l’habitude de ces situations et nous sommes aptes à absorber ce volume.
Quelques précisions sur les défaillances d’entreprises ?
Nos chiffres au sein du Conseil national sont assez précis puisque nous avons monté un observatoire des données économiques. Tous les dix jours, nous les transmettons à un certain nombre d’interlocuteurs, dont l’ensemble des cabinets ministériels. Sur 55 000 procédures en 2023, 94 % ont concerné des sociétés de 1 à 10 salariés. Ce n’est ni plus ni moins que le reflet du tissu des entreprises sur le plan national. Parmi les secteurs les plus touchés figurent le commerce, la construction, l’hôtellerie-restauration.
Mais nous retrouvons également l’activité immobilière, les services à la personne, les industries manufacturières… Tous les domaines possibles. Cela a concerné l’an passé, 220 000 emplois environ et nous sommes parvenus à en sauver près de 70 %. Dans l’Ain, l’évolution des procédures collectives a été un peu moins importante, mais ce n’est pas étonnant. Le département a toujours été dynamique sur le plan économique et un peu en décalage avec les statistiques nationales.
En parallèle, le domaine de la prévention, via les mandats ad hoc ou les procédures de conciliation, permet d’obtenir des résultats positifs de préservation des sociétés à hauteur de 75 à 80 %. Ce type d’action a un peu augmenté, pour parvenir au nombre de 7 000 en 2023. Nous invitons les chefs d’entreprise à venir nous consulter ou à pousser la porte du tribunal tôt, pour voir quelles solutions sont possibles et ainsi éviter la case liquidation.
Quels sont les projets de votre mandat ?
Notre projet phare est la construction d’une nouvelle plateforme dématérialisée de déclaration des créances. Cette disposition a été insérée dans la loi de programmation de justice de novembre 2023 et le gouvernement nous a confié le soin de créer cet espace en ligne. Elle devrait être opérationnelle début 2025. Nous avons sélectionné un prestataire pour nous accompagner dans sa réalisation. Cela devrait être particulièrement structurant pour notre profession notamment grâce au gain de temps engendré. À l’égard de nos interlocuteurs, cette digitalisation montrera notre modernité et notre dynamisme. Il est donc indispensable de réussir.
Par la suite, si tout fonctionne bien sur cette plateforme, nous pourrons imaginer des évolutions vers le traitement des revendications, le vote des créanciers dans le cadre des plans ou encore, peut-être, imaginer des paiements… Il y a énormément de possibilités ! La déclaration de créance est la porte d’entrée d’un certain nombre de développements futurs. Toujours dans ce domaine du numérique, quelques férus d’informatique au sein de l’équipe ont des idées pour utiliser, entre autres, l’intelligence artificielle.
Ensuite, depuis 2019, nous rencontrons des difficultés avec l’AGS, le régime de garantie des salaires. Ce conflit impacte le bon déroulement et traitement des procédures. Nous devons essayer de trouver une solution ! Or le nouveau directeur, nommé également début janvier, semble prêt à ouvrir des discussions. Cela va être mon rôle d’entrer dans cette démarche pour pouvoir apaiser nos relations. Nous devons retrouver de la confiance entre nous et non plus de la défiance comme c’était le cas depuis cinq ans. Voilà les deux sujets essentiels pour l’année à venir, voire pour les deux ans du mandat, outre d’autres projets internes à la profession que je souhaiterai mettre en place.