Hommes et chiffres

« L’Europe est un partenaire du quotidien »

Entretien. Dans le cadre d’une tournée en amont des élections organisées le 9 juin 2024, Valérie Drezet-Humez, Cheffe de la Représentation de la Commission européenne en France, a visité des sites soutenus par les fonds européens pour souligner l’apport de l’Europe dans le quotidien des Français.

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Photo de Valérie Drezet-Humez
Valérie Drezet-Humez, Cheffe de la Représentation de la Commission européenne en France : " L’Europe n’est pas lointaine ni complexe ". (Crédit : BB)

Valérie Drezet-Humez, Cheffe de la Représentation de la Commission européenne en France s’est rendue à Reims fin février pour illustrer et visiter les sites accompagnés ou financés par l’Europe. L’objectif de cette visite, qui s’inscrit dans le cadre d’une tournée nationale en prévision des élections européennes, était de démontrer la présence de l’Europe dans les territoires et aux côtés des collectivités, des entreprises et des citoyens au travers de grandes réalisations du quotidien co-financées par l’Union européenne et les porteurs de projets.

Parmi les sites visités, le CHU de Reims qui, grâce au soutien de l’UE et du FEDER, a pu engager une quinzaine de financements, dont le réaménagement de 22 chambres doubles et l’acquisition de 16 lits de réanimation supplémentaires. Autre visite, celle du réseau de chaleur du Grand Reims, lui aussi soutenu par l’UE. Plus grand projet de chaufferie bas carbone du Grand-Est et l’un des plus importants de France, il irrigue plus de 20 000 logements en chaleur décarbonée.

Valérie Drezet-Humez a également visité le parc Henri Paris parc qui a bénéficié de 580 000€ de FEDER pour sa réhabilitation effectuée dans le cadre du Nouveau Programme de Renouvellement Urbain et de Reims Nature. Une manière aussi de rappeler que le Grand-Est était l’une des régions françaises bénéficiant le plus de financements européens à hauteur de 1,14 milliard d’euros pour la période 2021-2027.

Petites Affiches Matot Braine : Quel est le rôle de la Représentation de la Commission européenne en France que vous dirigez et pourquoi cette visite dans les régions en ce début d’année 2024 ?

Valérie Drezet-Humez : Il existe une représentation dans chacun des 27 Etats membres, à laquelle on ajoute une représentation régionale dans les grands Etats membres. L’idée c’était vraiment de rapprocher au maximum l’Europe, montrer concrètement ce qu’elle fait, communiquer, établir des contacts avec les institutionnels, expliquer les propositions de la Commission qui sont présentées au législateur et faire remonter aussi les sensibilités sur certains dossiers selon les pays.

Par exemple, si on évoque la directive sur le salaire minimum, vous n’allez pas expliquer la chose de la même manière à un Suédois ou à un Français. On travaille beaucoup contre la désinformation aussi. Je suis arrivée à ce poste en septembre 2021, je voulais surtout montrer des projets pour vraiment mettre en lumière les solutions européennes qui sont apportées aux personnes, aux entreprises, aux territoires par rapport à leurs problématiques spécifiques. L’objectif est d’apporter une réponse, que ce soit dans le temps ou en termes de capacité budgétaire et de montrer que l’Europe est un partenaire du quotidien.

Vous parlez de solutions apportées par l’Europe, il s’agit souvent de solutions financières ?

VD-H : Effectivement, on est au niveau européen, dans la détermination d’un certain nombre d’objectifs par exemple, la lutte contre le changement climatique, s’assurer aussi qu’il y a un niveau économique et social suffisant, puisque la prospérité au niveau du marché intérieur, était l’un des fondamentaux de l’Union européenne. Au sujet de la transition écologique ou numérique, il y a de gros besoins d’investissement. L’idée n’est pas juste de fixer des objectifs ambitieux, c’est aussi de donner les moyens et d’accompagner cette transition.

Et ça, on n’en parle assez peu. Or il y a beaucoup de fonds qui existent comme les fonds de développement régionaux (FEDER) qui sont gérés par les Régions puisque c’est de la gestion partagée avec la Commission européenne. Dans les fonds de cohésion, on a aussi le fonds social européen qui fait beaucoup d’actions pour remettre des gens dans un circuit économique, pour faciliter la formation, la lutte contre la précarité par exemple…

Il y a évidemment les fonds agricoles comme la PAC. Il y a aussi beaucoup d’instruments dont on oublie souvent de parler, qui sont directement utilisables au niveau de la commission : LIFE pour l’environnement par exemple, ou alors sur la recherche, des fonds d’innovation. Sans oublier au niveau du post-covid, le NextGenerationEU et ses 800 milliards mobilisés pour investir et faire que l’Europe n’ait plus l’écart qu’elle a pu avoir après la crise financière. Le rapport à mi-parcours de la facilité pour la relance et la résilience, qui est sorti il y a quelques jours établit que par rapport à la crise post-2008, on n’a pas eu ce creux, on a permis de maintenir les gens dans l’emploi et de permettre aux entreprises de continuer à fonctionner. On a eu aussi des non-pertes de PIB grâce à ce fonds qui était assez novateur, parce qu’on est vraiment directement à la fois dans les investissements et les réformes. Il y a tout un éventail de possibilités et d’opportunités directement via les autorités de gestion comme les Régions, qui permettent de trouver une voie pour faire aboutir un projet.

Le Grand Est est une des Régions françaises qui bénéficie des plus gros financements à hauteur de 1,14 milliard d’euros pour la période 2021-2027. Comment se traduisent ces financements ?

VD-H : Exactement, c’est cette somme qui a été budgétisée pour 2021-2027 sur des fonds comme le FEDER et autres. Des fonds comme LIFE NextGenEU sont utilisables aussi en parallèle. Il y a vraiment beaucoup de possibilités. Ce qui est aussi important, c’est aussi la capacité des Régions à mobiliser ces opportunités. Au niveau de la Région Grand Est, j’entends les porteurs de projet, ils se sentent bien accompagnés par les équipes, il y a une vraie dimension d’ingénierie de projet et j’ai l’impression que ça fonctionne assez bien.

Les fonds ne sont pas toujours utilisés parce qu’il n’y a pas suffisamment de projets ou parce que les porteurs de projets n’ont pas toujours la connaissance de l’existence de ces crédits. Qu’est-ce qu’on pourrait dire aux porteurs de projets qui ne pensent pas forcément à vous solliciter ?

VD-H : Les chiffres que j’ai eus sur la programmation précédente relèvent qu’au niveau Grand Est, la non-utilisation des crédits européens n’était pas la problématique. Ce que je peux dire aux porteurs de projets et d’idées à ce stade, d’abord c’est d’aller vers les Centres Europe Direct qui nous aide justement à mailler le territoire.

Nous avons 49 Centres Europe Direct sur l’ensemble de la France. On en a un ici à Reims, un à Nancy et un à Colombey-les-Belles. Vous avez une idée ? Poussez la porte, venez nous rencontrer et on va vous aider. En tout cas, mon premier message aux porteurs de projets, c’est qu’il ne faut pas penser : « ça n’est pas pour moi ». ça vaut la peine de mettre les choses sur la table et de voir ce qui est faisable et ce qui est possible.

Photo de la visite du CHU de Reims de Valérie Drezet-Humez
Valérie Drezet-Humez au cours de sa visite du CHU de Reims. (Crédit : BB)

Dans les pays et en France particulièrement, on adresse souvent les critiques envers l’Europe. Est-ce que c’est injuste de faire peser tous les problèmes et les dysfonctionnements des pays sur les épaules de l’Europe ?

VD-H : La première chose, c’est de remettre un peu de réalité sur la table. D’abord le mythe de la complexité, je crois qu’on pourrait l’appliquer à beaucoup d’entités - publiques ou non - en France ou dans d’autres pays.

Il est vrai qu’il y a un problème de pédagogie à tous les niveaux : il faut apprendre aux enfants qu’ils sont citoyens européens et citoyens français, faire vivre cette connaissance démocratique et expliquer comment ça fonctionne. On travaille beaucoup sur la pédagogie, sur les réseaux sociaux avec de jeunes influenceurs pour susciter un engagement. L’autre versant qui me paraît vraiment primordial, c’est de donner la parole aux porteurs de projets pour montrer cette réalité. On n’est pas dans la complexité, on est dans le concret, comme ici au CHU de Reims. Très clairement, on a eu l’expérience de la crise Covid, on a un problème de rotation rapide des chambres et de nettoyage.

Et aujourd’hui, il y a une capacité d’avoir une rotation beaucoup plus rapide pour un coût très proportionné par rapport aux équipes spécialistes qui sont labellisées dans certains pays ou dans certaines localités françaises. Voici donc une solution immédiate, un bénéfice direct pour les citoyens et une reproductibilité potentielle à l’échelle nationale et européenne. C’est aussi ce qui est intéressant dans ces projets, c’est la durabilité et la reproductibilité, qui peut donner des idées à certains. Et sans l’investissement européen, on n’aurait pas pu le faire, en tout cas, pas à ce rythme-là. On sort du mythe des mots, des postures avec quelque chose d’extrêmement tangible. On ne peut pas trouver mieux comme explication très concrète que l’Europe n’est pas lointaine ni complexe.

Le 9 juin prochain vont avoir lieu les élections européennes. Elles enregistrent habituellement des taux de participation assez faibles : 42,43% en 2014 et 50,12% en 2019. Et pourtant, ces élections représentent des enjeux très importants. Comment essayer de renverser la tendance ? Qu’est-ce que vous diriez aux citoyens qui ne se sentent pas concernés ?

VD-H : Je leur dirais que ça les concerne au premier chef, parce que, d’un point de vue général, il ne faut pas oublier qu’on a la chance d’être en démocratie, de pouvoir s’exprimer, d’avoir une presse libre et d’avoir ce type de démocratie vivace. C’est donc à chacun aussi de prendre sa part de ces éléments. Je parlais de désinformation ou de non information, c’est aussi à chacun d’apprendre comment s’informer, comment croiser ses sources. C’est un premier pilier démocratique dont on reparle beaucoup avec des propositions de la Commission parce que, vraiment, on voit qu’il y a un danger.

La deuxième chose, c’est de se dire : effectivement, suivant les majorités qu’il y aura au Parlement européen, vos agendas ne seront peut-être pas les mêmes. Si vous avez des préoccupations dans certains domaines, il faut vous faire entendre. Pourquoi ? Parce qu’on l’oublie souvent, la Commission ne fait que proposer. C’est le Parlement, les parlementaires que vous allez élire et les représentants des Etats membres au Conseil, qui, sur un pied d’égalité, vont amender la loi, la changer, faire qu’elle aboutira ou pas. En tout cas, suivant les résultats des élections, la dynamique ne sera pas la même. Donc, autant que vous vous fassiez entendre, sinon ce sont les autres qui vont décider pour vous.

L’agriculture est au cœur de l’actualité, avec des reproches qui sont aussi adressés à l’encontre de l’Europe dans plusieurs pays. L’Europe a-t-elle un rôle à jouer pour trouver des solutions à la crise agricole ?

VD-H : En premier lieu, il faut rappeler que même s’il y a des problématiques dans plusieurs états membres elles n’ont pas forcément les mêmes racines, et il y a aussi des problèmes qui sont aussi « purement nationaux ». En France par exemple, la question d’EcoPhyto, la question de la maladie épizootique, l’impact sur le revenu depuis fin 2023, notamment dans le Sud-Ouest, ce sont des choses qui existent dans le contexte français. La première chose, c’est de bien replacer la source du problème nationalement et voir la part de chacun. Au niveau européen, il faut aussi rappeler, que la PAC représente 30 % du budget européen. La France est la première bénéficiaire de la PAC, avec plus de 9 milliards d’euros par an. 20 % des revenus des agriculteurs viennent directement de l’Europe.

Tout n’est pas rose, bien entendu et il faut toujours évoluer, parce que les problèmes évoluent eux aussi. Concernant l’augmentation de l’impact du changement climatique et de la question de l’eau notamment, il y a une réalité et les agriculteurs en sont eux-mêmes les premières victimes, avec un impact sur leurs revenus. Au niveau des simplifications administratives, c’est important de les faire au niveau européen, mais aussi au niveau national car les paiements sont faits au niveau national en matière de politique agricole commune.

« La France est la première bénéficiaire de la PAC, avec plus de 9 milliards d’euros par an. »

La commission a lancé un dialogue stratégique, qui avait été annoncé en septembre dernier avec l’ensemble des agriculteurs, mais aussi toute la chaîne agroalimentaire, pour avoir une vue de toute la chaîne de valeur, voir où sont les problèmes, où sont les choses qui doivent être améliorées. Ce dialogue a commencé pour préparer la prochaine PAC sur cette base.

Il y a cette réflexion sur les simplifications administratives qui sont proposées. Sur les obligations en matière de respect des conditions environnementales et agricoles, il y avait déjà eu un gel de la mise en place de certaines dispositions qui ont été prolongées et aménagées. Il y a des réponses qui se font au niveau européen et qui doivent se faire aussi au niveau national.

Et il y a eu aussi, puisqu’on arrive aux deux ans de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, tout le travail qui a été fait sur le prix des engrais, les intrants, la circulation des céréales au niveau mondial… Il y a des solutions, des choses qui sont proposées, un suivi de la crise et un dialogue qui a commencé et qui va permettre de remettre toutes les choses à plat.