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Un Livret Bleu pour définir une stratégie de sauvegarde de l’eau

Eau. C’est lors de la Journée Mondiale de l’Eau que les Canalisateurs, organisation professionnelle membre de la Fédération Nationale des Travaux Publics, avaient choisi d’organiser la deuxième édition de la Matinée de l’Eau, placée cette année sous le thème de la sécurisation et de la préservation de la ressource.

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Photo de Pascal Collard, Pascal Hamon, Béatrice Moreau et Baptiste Quesne
(De gauche à droite). Pascal Collard, vice-président de la Chambre d’agriculture de la Marne, Pascal Hamon, directeur industriel de Cristal Union, Béatrice Moreau, vice-présidente de la Région Grand Est et Baptiste Quesne, chargé d’opération à l’Agence de l’Eau Seine Normandie. (Crédit : ND)

La question de la préservation de la ressource de l’eau se pose de plus en plus chaque année, avec la répétition des épisodes de sécheresse.

Aujourd’hui, alors que nous réfléchissons peu au quotidien, à ce qui se joue derrière le simple geste d’ouvrir un robinet, les Canalisateurs, organisation professionnelle membre de la Fédération Nationale des Travaux Publics, viennent apporter non seulement un éclairage, mais aussi quatre propositions clés, que l’on peut retrouver dans le Livret Bleu, qu’ils viennent de rendre public.

« La FRTP s’est engagée dans une démarche ambitieuse en faveur de la transition énergétique en faisant un état des lieux de sa profession », indiquait ainsi en préambule, Hervé Noël, Président de la FRTP Grand Est.

En effet, la Fédération des Travaux Publics a fait évaluer par le cabinet indépendant d’expertise environnementale Carbone 4, l’empreinte carbone de la filière.

« L’acte de construire les infrastructures représente 3,5 % des émissions de CO2 en France alors que l’activité des travaux publics représente 2% du PIB. Nous travaillons donc avec les élus, les collectivités et l’État à des moyens concrets pour réduire ces émissions de CO2. »

La transition écologique de la filière passe ainsi non seulement par la maîtrise des émissions de gaz à effet de serre mais également par celle de la consommation d’eau ainsi qu’une gestion performante et durable des installations.

Et selon les Canalisateurs, c’est là que le bât blesse : 40% du réseau date d’avant 1970 alors que la ‘‘durée de vie’’ moyenne d’une canalisation est de 60 à 80 ans et que le taux actuel de renouvellement des canalisations est de 0,67% !

Moderniser et décarboner les infrastructures

« Nous ne sommes pas là pour faire du catastrophisme mais pour trouver des solutions », rassure pour autant Hervé Noël, précisant que l’organisation d’une telle matinée consistait bien à trouver des leviers, professionnels et élus réunis.

Car l’entretien et le renouvellement des canalisations est une compétence des communes et intercommunalités. Or, après plusieurs années de baisse de la dotation globale de fonctionnement (plus de 11 milliards d’euros entre 2015 et 2017, et même si celle-ci a été rehaussée pour 2023 à hauteur de 210 millions d’euros), nombre de collectivité n’ont pas les finances nécessaires pour effectuer des travaux importants et coûteux.


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« Pour améliorer la performance des réseaux, il faut impérativement les renouveler », souligne Didier Capdeville, Délégué Canalisateurs Champagne-Ardenne. Or une étude mandatée par l’Union des industries de l’eau chiffre à 4,6 milliards d’euros les besoins annuels supplémentaires pour moderniser et décarboner les infrastructures de l’eau et l’assainissement.

Un milliard de m3 d’eau perdus en fuites

Un des leviers serait d’augmenter le coût de l’eau, actuellement à une moyenne de 4 € par habitant. « On estime que les communes devraient passer le prix de l’eau à 5 ou 6 euros le m3, ce qui se fait déjà dans le sud de la France mais pas encore dans nos régions. Le prix de l’eau doit être la hauteur des enjeux et permettre de couvrir l’entretien et le maintien du patrimoine. »

Une des deux tables rondes organisées lors de cette matinée venait ainsi livrer quelques clés pour les collectivités. « La Banque des Territoires accompagne des projets avec une offre de prêt pouvant aller jusqu’à 100% des besoins, proposés aussi bien avec un taux fixe qu’avec un taux variable », fait savoir Stéphanie Riefflin, chargée de développement territorial.

Les opérations éligibles vont de la production et distribution de l’eau potable, à la collecte et l’assainissement des eaux usées en passant par le traitement des eaux pluviales.

« L’amortissement du prêt va jusqu’à 60 ans sur des projets d’infrastructures de réseaux, soit la durée de vie moyenne d’une canalisation », insiste Didier Capdeville.

« Les réseaux d’eau représente un patrimoine invisible de près de 1,5 million de km de réseaux d’eau, estimés à 300 milliards d’euros. »

Si le remplacement des réseaux est compliqué, ceux-ci sont néanmoins étroitement surveillés aussi bien par les Agences de l’eau que par des opérateurs tels que Véolia. « Chaque année, un milliard de m3 d’eau sont perdus en fuites rendant impératif le maintien et la pérennisation des installations », indique Axel Ruggiero, Directeur du développement Champagne-Ardenne de Véolia Eau.

« Nous surveillons les réseaux grâce à de la télésurveillance, où nous repérons quelles sont les zones de consommations anormales, grâce à des prélocalisateurs de fuites, sorte de petits boitiers qui écoutent les conduites. »

Prévenir les fuites permet aussi d’économiser l’énergie nécessaire au traitement de l’eau, d’où l’importance de définir une stratégie territoriale. « Réutiliser l’eau pour économiser la ressource naturelle est aussi une nécessité », rappelle Didier Capdeville.

« Actuellement, moins de 1% des eaux usées rejetées est réutilisé. Le potentiel d’exploitation est estimé à 20% ; ce taux est déjà de 8% en Italie, 14% en Espagne et 80% en Israël. Il est urgent de lever les freins au développement de ces pratiques : réutilisation des eaux grises, des eaux usées et des eaux pluviales dans le respect des impératifs de protection de la santé publique et de l’environnement. »

Collectivités et entreprises réunies

Si les collectivités doivent être mobilisées, les industriels ont aussi leur part à jouer, comme le démontre Pascal Hamon, directeur industriel de Cristal Union, qui aujourd’hui, plutôt que de pomper dans les nappes phréatiques, privilégie l’économie circulaire et la réutilisation de l’eau contenue dans les betteraves : « Aujourd’hui, nous avons des sites totalement autonomes en eau comme ceux de Sillery dans la Marne ou celui d’Arcis-sur-Aube. »

L’accent a également été mis sur le partage de la ressource, entre les sites industriels excédentaires en eau et ceux qui en manquent, notamment dans l’agriculture. L’occasion d’aborder la question délicate des « bassines », sujet polémique et régulièrement abordé avec le projet emblématique de Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres.

« Il y a un besoin de solutions alternatives aux prélèvements dans les nappes. En période de sécheresse, pomper dans les nappes pour remplir des bassins de stockage est une hérésie », souligne Pascal Collard, vice-président de la Chambre d’agriculture de la Marne.

« Si on prend de l’eau, cela doit être de l’eau en excédent, pour ensuite la stocker. Et si on doit le faire, il faut qu’il y ait une certaine surface. »

L’ensemble des prélèvements, tous usages confondus en France, s’élèvent à 37 milliards de m3, dont plus de la moitié sont utilisés pour la production d’énergie et le refroidissement des centrales nucléaires (20,8 Mds). Viennent ensuite l’alimentation en eau potable (5,4 Mds de m3), l’alimentation des canaux pour réguler les phénomènes de crues notamment (4,7 Mds) ainsi que l’irrigation (3,2 Mds).