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Travaux publics. La Fédération des Travaux...

Travaux publics. La Fédération des Travaux publics de Champagne-Ardenne a tenu, à Charleville-Mézières, la troisième édition de son salon de la Transition énergétique, invitant les entreprises du secteur et les collectivités à se saisir de ce sujet lors des projets d’infrastructures du territoire.

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Photo de Frédéric Zydaczewski, Hervé Noël et Boris Ravignon
Frédéric Zydaczewski, Président de Routes de France Champagne-Ardenne, Hervé Noël, Président de la Fédération des Travaux Publics Champagne-Ardenne et Boris Ravignon, Maire de Charleville-Mézières et Président d’Ardenne Métropole (Crédits : ND)

Le scénario commence à être connu. À la frontière entre film d’anticipation et film apocalyptique, il est désormais quasiment certain que la température moyenne à horizon 2100 sera supérieure de 4 degrés à ce que l’on connaît aujourd’hui. Ainsi, les vagues de chaleur les plus meurtrières, comme la canicule de 2003 qui avait duré 16 jours, paraîtront des promenades de santé quand les projections prévoient des canicules de deux mois… « Selon l’ADEME, en l’absence de toute politique d’adaptation ou d’atténuation, le coût du changement climatique pourrait s’élever à au moins 260 milliards d’euros par an à horizon 2100 », fait savoir Vincent Devron, directeur technique régional chez Eiffage Route Nord Est et président de la Commission Transition écologique à la FRTP Grand Est.

Un constat...

Si les Ardennes (qui faisaient l’objet d’un focus lors du salon de la FRTP) pourraient être moins touchées que le reste du pays concernant la hause des températures (avec des chaleurs extrêmes passant de un jour en moyenne par an à quatre à six jours), elles seraient en revanche confrontées à la hausse des jours de sécheresse, des précipitations et des inondations. « On projette une évolution de 12 à 39 jours supplémentaires de sécheresse par an entre 2010 et 2030. » Autre objet d’attention dans le département, le retrait-gonflement des argiles. « Ce phénomène concerne une part importante du territoire. Il impacte 45 % des routes, 20 % des établissements scolaires, 21 % des établissements de santé et 17 % des établissements pour personnes âgées. »

Ce constat est rendu possible grâce aux données collectées par Infraclimat, plateforme de visualisation des risques climatiques sur les infrastructures « permettant de comprendre la nature des vulnérabilités auxquelles elles sont exposées afin d’accéder à un panel de solutions pour renforcer la résilience des territoires », informe Vincent Devron qui exhorte les collectivités et professionnels à travailler avec elle. Trois types d’infrastructures sont actuellement intégrés : routes, stations d’épuration, et infrastructures liées à l’eau. Il est possible de filtrer par région, département ou intercommunalité. La plateforme permet également de visualiser les initiatives déjà engagées sur les territoires. « Dans le Grand Est, les infrastructures représentent un patrimoine estimé à plus de 200 milliards d’euros. Leur préservation devient un enjeu stratégique », affirme Guillaume Mangeart, Secrétaire Général de la Fédération des Travaux Publics de Champagne-Ardenne.

...et des solutions

Une fois ce tableau dressé, la FRTP annonce des solutions afin d’anticiper tous ces problèmes d’infrastructures. Concernant le phénomène de crues, « des travaux de surélévation pour prévenir les submersions sont possibles. Renforcer les talus pour limiter l’érosion ainsi que curer les fossés tout en respectant la faune et la flore, afin d’assurer l’évacuation rapide de l’eau, sont des solutions à mettre en oeuvre », déclare Vincent Devron, insistant sur le fait d’anticiper. Dans le Grand Est, le patrimoine des infrastructures est estimé à 200 milliards d’euros, mais celui-ci est vieillissant. Ainsi, certaines canalisations ont plus de 100 ans. « Face à des épisodes de pluies intenses concentrées en peu de temps, les réseaux historiques ne sont plus dimensionnés pour absorber ces volumes d’eau. Aujourd’hui, il faut songer à des bassins de rétention, des casiers de tamponnement ou des dispositifs d’infiltration selon la nature géologique des terrains. »

Le salon était ainsi l’occasion de mettre en avant des professionnels locaux qui proposent de nouveaux matériaux intégrant ces impératifs. C’est le cas d’Eurovia, filiale de Vinci Construction, dont une des agences est basée à Sedan avec 70 salariés.

Photo de Laurent Lenoir
Eurovia propose deux types d’enrobés aux propriétés bien spécifiques comme l’a présenté Laurent Lenoir, Responsable du bureau d’études de l’agence de Sedan. (Crédits : ND)

« Nous proposons des enrobés drainants favorisant la désimperméabilisation des sols, leur rendant leur capacité d’absorption naturelle. Ces procédés sont subventionnés par l’Agence de l’eau, une subvention qui absorbe au-delà du surcoût du produit », affirme Laurent Lenoir, Responsable du bureau d’études de l’agence de Sedan. Eurovia a également mis un nouveau procédé en place, l’offre Revilo, qui repense l’aménagement urbain par la création d’îlots de fraicheur. « Elle repose sur 4 leviers : la végétation, l’eau, les sols et les revêtements. Localement, la place des Minimes à Rethel a fait l’objet de cette offre avec des enrobés et des pavés drainants afin d’éviter une grille de collecte ainsi qu’un bassin d’eau. » Si les enrobés clairs sont utilisés dans l’optique de faire baisser la température des sols, Eurovia a néanmoins mis en place un procédé permettant de récupérer les calories sur un enrobé de couleur noire, « le fluide calorique récupéré est ensuite injecté dans une pompe à chaleur permettant aux collectivités d’alimenter piscine et logements par exemple, en chaleur fatale », explique Laurent Lenoir.

Dette grise

Autre entreprise présente sur le salon, Villers Matériaux à Villers-Semeuse, proposant les produit du fabricant Kronimus, entreprise allemande qui fête ses 100 ans cette année. « En Allemagne, cela fait des dizaines d’années que l’on s’intéresse aux pavés écologiques. Pour eux, ce n’est pas normal d’imperméabiliser les surfaces. Aujourd’hui, en France, il y a une forte demande des collectivités dans leurs nouveaux projets d’infrastructures afin de non seulement faire descendre la température des voiries mais aussi de gagner en qualité de vie en milieu urbain », indique Bertrand Eggimann, Responsable de secteur Grand Est. À Sedan, la Maison de Santé ou encore le site Enedis de Charleville-Mézières ont fait l’objet d’une pose de ces pavés drainants. « Il faut rappeler que la commande publique représente 70 % de notre activité, dont 60 % provient des collectivités », indique Hervé Noël, Président de la FRTP du Grand Est. « Aujourd’hui, les entreprises montrent une véritable évolution des techniques, des matériels mais également des compétences humaines. » Insistant sur le concept de « dette grise », soit les surcoûts d’entretien d’infrastructures usées, Hervé Noël souligne la nécessité, pour les collectivités, d’anticiper les travaux car dans les dix prochaines années, on estime à 100 milliards d’euros l’investissement nécessaire sur le réseau principal, et autant sur le réseau secondaire.

Choix politiques

« Dans les travaux publics, la dette grise c’est tout ce qu’on ne voit pas : ce qui est sous terre. Et pourtant, il y a les réseaux : l’eau potable, les eaux usées, l’électricité, l’évacuation de l’eau de pluie… Si on ne les entretient pas, si on les oublie parce qu’ils sont invisibles, on crée une dette énorme. La vraie question, ce n’est pas : “A-t-on l’argent ou pas ?”, c’est : “Est-ce qu’on est prêt à supprimer des ponts ? Des routes ? À ne plus avoir d’eau potable ou d’électricité tous les jours ?” À partir de là, on commence à réfléchir sérieusement au financement. Et là, ce sont des choix politiques. »

Une réflexion que partage le maire de Charleville-Mézières, Boris Ravignon, qui ne compte pas « verser dans le misérabilisme », même si, dans un contexte de pression budgétaire constante, la question des arbitrages dans les investissements locaux est devenue cruciale. « Abandonner les projets d’avenir sous prétexte de restrictions, céder à une logique de repli et de gestion en réaction, c’est manquer de responsabilité. La véritable gestion, celle qui prépare l’avenir, suppose, au contraire, un entretien régulier et réfléchi du patrimoine public. Il ne s’agit pas seulement d’assurer le présent, mais de transmettre aux générations suivantes un bien commun qui tienne debout », affirme-t-il, rappelant que la Ville de Charleville-Mézières a développé un réseau de chaleur décarboné, reposant sur un mix énergétique local : biomasse issue des forêts ardennaises, biogaz des campagnes, récupération de chaleur industrielle, notamment grâce à l’usine Stellantis. « Notre objectif était de fournir une chaleur moins chère, plus stable, indépendante des aléas internationaux. Le tout en réduisant la dépendance aux énergies fossiles et en renforçant la souveraineté énergétique du territoire. »

Au-delà des projets eux-mêmes, c’est toute une méthode qui est appelée à évoluer. S’il faut continuer à investir, il faut aussi se pencher sur les matériaux utilisés, les techniques mises en oeuvre et l’empreinte carbone des chantiers. « C’est là que le rôle des entreprises de travaux publics est fondamental. À la fois partenaires de proximité et relais d’innovation, elles sont en mesure de proposer des solutions techniques adaptées au territoire, tout en intégrant des pratiques responsables », assure Hervé Noël.