Thaas, des chips « du champ au paquet »
Agriculture. En 2012, notre journal s’interrogeait sur la volonté du consommateur à acheter local, à la suite d’une étude commandée par le club i3A. Il en ressortait que ce dernier souhaitait avoir une plus grande connaissance des produits de sa région. Un peu plus de 10 ans après, le covid est passé par là, poussant les consommateurs à utiliser le circuit court. Mais si les producteurs locaux ont eu la cote pendant quelques mois, qu’en est-il avec le retour de l’inflation ? Focus sur ces entreprises qui ne fonctionnent qu’en circuit ultra-court et valorisent le local.
Leur slogan, « du champ au paquet » donne le ton. L’histoire des chips Thaas – du nom du petit village marnais d’une centaine d’habitants – c’est aussi celle de deux frères David et Emmanuel Bourdelet, qui, avant de se lancer dans l’aventure, travaillaient au sein de l’exploitation familiale de 600 hectares.
En 2017, David Bourdelet se lance le défi de fabriquer des chips avec les pommes de terre cultivées sur l’exploitation, certifiée HVE (Haute Valeur Environnementale). Au départ, c’est dans la ferme que les premières chips voient le jour. « L’idée était de créer un outil de transformation pour aller au-delà de la culture de nos produits », explique-t-il.
« Faire des chips était aussi une manière de remettre en avant la ruralité, avec un produit 100% terroir et authentique. Des chips produites à la ferme, il n’y en a que trois en France », indique celui qui voit déjà loin. Car de l’ambition, il en aura fallu aux deux frères Bourdelet pour imposer leur produit non seulement dans le paysage local mais également national.
Voyez plutôt, du petit village de Thaas, ils conquièrent aujourd’hui l’Hexagone et au-delà avec une stratégie bien ficelée. « Nous utilisons des produits locaux pour nous implanter dans différentes régions. Ainsi, nos chips au citron sont élaborées avec de la poudre de citron de Menton, celles au piment avec de la poudre de piment d’Espelette. Quant aux chips au chocolat, c’est avec un chocolatier alsacien que nous travaillons, la Maison Bockel », détaille Emmanuel Bourdelet qui souhaite faire des chips Thaas, un produit haut de gamme. « Chacun peut ainsi s’approprier le produit grâce à un élément caractéristique qui en fait sa fierté. » Les chips au vinaigre sont quant à elles élaborées en partenariat avec Charbonneaux-Brabant (Reims) en faisant un produit 100% champardennais.
17% de matière grasse en moyenne au lieu de 30%
Pour ceux qui y ont déjà goûté, elles se différencient substantiellement des chips classiques. Par leur aspect tout d’abord. La peau des pommes de terre est conservée et elles sont plus épaisses. Au goût ensuite, avec « 17% de matières grasses au lieu de plus de 30% pour les autres ». Cette prouesse est rendue possible grâce à une innovation faite par un dénommé « Vincent ». « Le procédé de la friteuse est confidentiel. Il s’agit d’une cuisson sous vide et basse température obtenue grâce à un procédé français et breveté. Nous ne sommes que deux dans le monde à détenir cette technologie donc nous souhaitons la garder secrète », confie David Bourdelet. « Les chips sont cuites à 120 degrés au lieu de 180, précise-t-il, après avoir été tranchées, lavées et essorées. » La chips Thaas, « beaucoup plus saine et moins grasse » est aussi la seule chips à détenir un nutriscore A.
4 millions d’euros d’investissement
Les pommes de terre proviennent des champs de l’exploitation, tout comme les oignons utilisés pour la saveur acidulée. Elles sont conservées à 8 degrés et réchauffées 7 jours avant. L’entreprise est donc totalement auto-suffisante. « Sur les 100 hectares de pommes de terre que nous exploitons, 15 seulement sont dédiés à la production de chips », fait savoir Emmanuel Bourdelet. Ce qui laisse donc à l’entreprise de quoi voir venir… la saturation de la ligne de production intervenant avec l’utilisation de 20 ha. Et si à leurs début, Thaas produisaient dans leur laboratoire à la ferme 9 kg à l’heure, aujourd’hui, avec l’investissement dans un outil moderne de production, ils atteignent les 60 kg. Rien à voir néanmoins avec des géants comme Bret’s qui produisent 15 tonnes à l’heure.
Mais Thaas ne veut pas griller les étapes. En trois ans, l’entreprise est passée de 2 à 10 salariés et a investi près de 4 millions d’euros dans ses installations. Un tout nouveau bâtiment pour commencer, construit en 2021, et une extension inaugurée en 2023 pour une surface totale de 1 400 m². « L’idée est de monter en volume pour atteindre 200 tonnes en 2029, actuellement nous avoisinons les 80 tonnes à l’année. » Sachant que le prix moyen du marché se situe entre 6 000 et 13 000 € la tonne, « l’atterrissage attendu en 2029 est de 2,5 M€ de chiffre d’affaires », estime David Bourdelet. L’objectif est donc, en montant en volume, de diversifier les marchés et de viser l’export.
Actuellement, Thaas chips c’est 1 million d’euros de chiffre d’affaires sur sa marque propre mais aussi en production de marque distributeur, avec une volonté de conserver un « positionnement premium ». « Nous segmentons le marché en trois canaux de vente, les détaillants, la marque de distributeur (MDD) et l’export. Nous visons des marchés comme la Corée du Sud, l’Amérique du Nord et du Sud mais aussi la Péninsule arabique. Mais si ces marchés sont très rémunérateurs, ils sont aussi très longs à conquérir. »
Aujourd’hui, Thaas bénéficie d’un fort écosystème d’accompagnement mais, avec sa progression, a de nouveaux besoins : « un partenaire de poids pour transformer les courants d’affaires actuels ainsi que d’une levée de fonds car c’est un marché énorme, très concurrentiel, estimé à 80 000 tonnes par an en France notamment. Le marché du snacking évolue régulièrement. Il a encore augmenté de 3% en un an avec un chiffre d’affaires de 600 millions d’euros. »
L’entreprise juge aussi nécessaire un nouvel apport financier afin de développer encore plus sa stratégie de communication et consolider sa politique de prix dans l’idée d’aller vraiment à l’export. Pour le moment, les chips sont distribuées à 70% en GMS « car le marché de la chips est un marché de volume », le reste dans des épiceries fines et en direct via le site internet. « Notre proximité ainsi que la taille de l’entreprise nous permettent d’être très réactif. Nous avons fait des séries pour la Coupe du Monde de rugby et allons en entamer une sur les Jeux Olympiques. »
Cette stratégie marketing a été rendue possible par un accompagnement au sein de l’incubateur Scal’E-nov notamment. « La Région Grand Est nous a beaucoup soutenus, aussi bien avec l’accélérateur que via des subventions grâce à nos installations respectant le volet vert de la transition énergétique. » En effet, Thaas récupère une partie de son énergie pour la réinjecter afin de chauffer son entrepôt, ce qui lui a permis de diminuer de 20% ses dépenses énergétiques. Quant aux déchets (miettes), ils sont récupérés et envoyés dans un méthaniseur. Bpifrance aussi a accompagné l’entreprise à hauteur de 40 000 euros pour son projet innovant et l’a soutenue grâce à des garanties complémentaires lui permettant de réduire ses risques.
« Nous avons été séduits par leur diversification originale, avec un vrai avantage concurrentiel. » Pour Franck Leroy, Président de la Région Grand Est, venu visiter l’entreprise, « Thaas s’inscrit dans un écosystème qui permet de voir éclore un projet structurant pour le territoire. Il faut des banquiers, des assureurs, des collectivités et des aides à l’investissement pour voir sortir de terre des projets comme celui-ci mais cela démontre que la réussite est partout, y compris et souvent dans la ruralité. »