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Sucre : une filière « convalescente » et des perspectives rassurantes

Filière. Le Crédit Agricole et la FDSEA organisaient leur traditionnelle conférence économique sur la Foire de Châlons avec comme thème : « Le marché du sucre, ses perspectives, ses défis ».

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Photo de Timothé Masson
Timothé Masson, secrétaire général de l’Association Mondiale des planteurs de betteraves et directeur des services économie de la CGB. (Crédit : ND)

C’est la présidente du Crédit Agricole Nord Est, Christine Gandon, qui a rappelé en introduction de la conférence que la culture de la betterave en France est née d’une volonté politique, celle de Napoléon 1er. Un rappel qui ne devait rien au hasard, le développement d’une filière agricole étant souvent d’abord affaire de politique (et aussi de banquiers), pour développer et soutenir l’agriculture sur le territoire, dans un marché mondialisé.

Ainsi, a-t-elle qualifié la récente décision par la Cour Européenne de Justice ne pas renouveler la dérogation jusqu’ici accordée aux producteurs de betteraves de l’usage des néonicotinoïdes (NNI), de décision « environnementaliste », devant un public conquis d’avance…

Pour son entrée en matière, Timothé Masson a pour sa part remis en perspective le marché du sucre en donnant quelques données clés : « 15% du sucre produit est vendu en grande surface, le reste est utilisé pour l’agro-alimentaire. 70% du sucre échangé dans le monde provient d’Inde, de Thaïlande et du Brésil, qui produisent chacun 40 millions de tonnes de sucre. »

Ce qui permet de mesurer la concurrence des pays extra européens. Et lorsque l’on sait que ce marché repose sur une denrée qui est extrêmement périssable, « au bout de deux jours, la canne perd de sa fraicheur », les investissements dans des outils industriels de pointe sont nécessaires.

En France, le marché repose sur 23 700 planteurs possédant en moyenne une exploitation de 17 ha. « 35 millions de tonnes de betteraves sont produites chaque année par les producteurs français (soit 4,5 millions de tonnes de sucre), 80% vont être transformés en sucre et les 20% restants en éthanol. »

Le marché du sucre entre aujourd’hui dans un contexte de concurrence mondiale, alors qu’il était le seul secteur agricole où la production était soumise à un régime de quotas dans l’Union européenne.

Cette exception a pris fin en 2017, entrainant la réduction de la production sous quota d’environ 6 millions de tonnes et a conduit à la création d’un secteur européen du sucre très compétitif, avec un double impact : celui certes, de devoir être soumis à un cours mondial mais aussi gagnant la possibilité d’exporter sur de nouveaux marchés et de nouveaux pays.

Et malgré la crise qui a secoué la filière lors de la politique de sortie des quotas, l’excédent commercial français demeure élevé, à plus d’un milliard d’euros. « En 2023, nous sommes face à une filière jugée convalescente, avec un retour de rentabilité », qualifie le secrétaire général de l’Association Mondiale des planteurs de betteraves. Néanmoins, depuis 2018, « un quart des betteraviers n’ont rien investi sur leur exploitation », dévoile Timothé Masson.

« 55€ la tonne de betterave c’est possible »

Mais pour le directeur des services économie de la CGB, il est possible d’atteindre le paiement aux producteurs à 55 euros la tonne. Cette éventualité a fait bruisser la salle de conférence quelques minutes, dans la mesure où Cristal Union a cette année payé ses adhérents 43,40 € la tonne avec un objectif de prix à 45 € pour 2023 et Tereos a réévalué le paiement de la campagne 2022-2023 à 43,10 €.

« Les marchés doivent pouvoir déplafonner les 50 € la tonne », veut croire Franck Sander, président de la Confédération des planteurs de betteraves. « En quelques années, nous avons perdu 60 000 ha, c’est énorme. Le prix des betteraves doit pouvoir compenser cette baisse de rendement. » Pour Émilien Rose, « les marchés sont là et les clients sont conscients que les prix du sucre sont élevés, donc ils attendent un peu avant de livrer. Il y a de la contractualisation mais moins qu’avant. »

Concernant le marché de l’éthanol, ce dernier soulignait que les pouvoirs publics allaient devoir faire preuve de « réalisme ». « Il y a plus d’intérêt à vendre du sucre à l’export vu le prix des cours que de faire marcher une distillerie. Est-ce normal ? Je ne le pense pas. On ne peut pas avoir plus de rentabilité en vendant à l’export qu’en faisant tourner les usines », s’est fendu l’industriel insistant sur les investissements que demandent l’industrie du sucre, notamment pour parvenir à entrer dans les objectifs de décarbonation.

C’est pourquoi le président du Conseil coopératif de Tereos a expliqué que la durée de contractualisation était de cinq années au sein des coopératives. « Chez nous c’est cinq ans et cela ne bougera pas. Pourquoi ? Car l’industrie, c’est lourd. C’est du temps long et ça demande de la visibilité pour programmer des investissements. » Une réflexion partagée par Olivier de Bohan, Président de Cristal Union.

60 M€ d’investissement chaque année

Pour faire fonctionner l’industrie sucrière il faut des agriculteurs et pour avoir des agriculteurs, il faut des surfaces. Une question épineuse et pourtant incontournable, cette baisse de surface ayant conduit à la fermeture de site industriels devenus pas rentable par Tereos (sucrerie d’Escaudœuvres (Nord) et distillerie de Morains (Marne). « Nous sommes en recherche de surfaces à Connantre », annonce Emilien Rose qui précise qu’une campagne rentable se situe autour de 140 jours.

Photo d'Olivier de Bohan, Franck Sander et Emilien Rose
Olivier de Bohan, Président de Cristal Union, Franck Sander, président de la CGB et Emilien Rose, président du Conseil coopératif de Tereos participaient à la table ronde.

Une évidence quand on sait que « chaque année, 60 millions d’euros sont investis », rappelle Olivier de Bohan pour Cristal Union qui précise que le groupe, s’il a été jugé comme un des 30 plus émetteurs de CO2, fait néanmoins des efforts colossaux pour parvenir à une baisse de 35% de ses émissions d’ici 2030. « On 2030 nous serons autonome en eau avec zéro m3 prélevés dans les nappes », annonce-t-il.

Des investissements ajoutés à la forte hausse des tarifs de l’énergie qui expliquent la répercussion sur le prix final du sucre. « Avec une hausse de 250% des prix de l’énergie, il faut bien à un moment donné répercuter ces tarifs », tranche-t-il.

Pour assurer une rentabilité, il faut aussi trouver de nouveaux marchés. Si la filière de l’éthanol peut s’avérer plus aléatoire avec la fin annoncée des moteurs thermiques en 2035, le marché de la pulpe est, en revanche, porteur. « Il y a une forte demande pour alimenter les méthaniseurs. Nous en avons envoyé 600 000 tonnes l’année dernière », explique Emilien Rose.