Entreprises

« Quand on passe d’une énergie fossile à une énergie que l’on doit fabriquer ça coûte plus cher »

Énergie. Vincent Rousseau, Délégué Territorial, Grand Est et Haut-de-France chez GRTgaz détaille les orientations du leader européen du transport de gaz.

Lecture 12 min
Photo de Vincent Rousseau
Vincent Rousseau est responsable du secteur qui couvre non seulement le Grand Est mais également les Hauts-de-France. (Crédit : DR)

Petites Affiches Matot Braine : Vous avez pris vos fonctions de Délégué territorial Nord Est en début d’année, quel est votre rôle ?

Vincent Rousseau : Le délégué territorial a une double mission. La première est une fonction régalienne, où l’on assure les relations institutionnelles avec les pouvoirs publics (Région, Mairies), la seconde est liée à la direction du développement avec comme objectifs de répondre à trois enjeux : transformer le réseau pour accueillir de plus en plus de gaz renouvelable ; construire et développer de nouveaux réseaux ; construire des réseaux de transports de CO2.

PAMB : Quelle est la nouvelle stratégie de GRTgaz ?

V.R : Notre approche n’est plus basée à 100% sur du méthane mais sur plusieurs sortes de gaz. Le tronc commun est que GRTgaz est un acteur qui sait construire et exploiter les réseaux mais qui sait aussi rassembler différents acteurs pour affiner les besoins et arriver à préparer et faire des missions d’investissements. Car GRTgaz, c’est, rappelons-le, 60% Engie et 40% Caisse des Dépôts. Nous avons donc une approche du service public et de l’intérêt général très développée. On se met au centre du jeu, avec une approche neutre, en développant de nouveaux projets.

PAMB : Comme celui du rebours de Vouziers ?

V.R : Là, on est clairement dans la transformation de notre réseau pour accueillir du méthane. Le rebours symbolise le passage d’une production très centralisée (historiquement, le gaz arrive de Norvège ou par bateau de l’autre bout du monde) à une production locale : aujourd’hui les rebours vont remonter le gaz en sens inverse, pour tous les producteurs (qui sont souvent des agriculteurs) qui injectent du biométhane dans les réseaux de distribution. On a bien toujours cette séparation entre le transport et la distribution, on achemine du gaz sur de très longues distances et on le livre au distributeur qui, lui, fait l’acheminement sur le dernier kilomètre. Je prends toujours une image qui marche aussi pour l’électricité : le transporteur c’est le tronc et les distributeurs ce sont les feuilles.

Pour Vouziers, la production est stable toute l’année, mais la consommation, elle, est fluctuante. L’été, elle est très faible car les gens ne se chauffent pas, et si on ne met pas les rebours, les producteurs injectent le gaz dans un réseau qui ne consomme pas. Et donc, il faut le remonter. Le rebours illustre bien la transformation du réseau par rapport au biométhane. On en a deux dans le Grand Est et trois sont en projet. Après, on a tous les postes d’injection. Il y a environ 120 producteurs qui injectent du gaz dans les réseaux et ça va continuer à augmenter. En gros, nous allons au moins doubler ou tripler le nombre de producteurs à horizon 2030 pour obtenir encore plus de biométhane et faire en sorte que la région Grand Est, qui a une capacité de production de 4 Twh par an, reste la première région productrice de biométhane en France. En 2022, la consommation totale de la région était de 70 Twh. Ce sont des consommations qui avec le temps vont baisser car les Français consomment moins.

CONVERSION ET CHANGEMENT DE DESTINATION PAMB : Quels autres types de projets avez-vous dans la région ?

V.R : Ce qui est intéressant dans le Grand Est, c’est que des projets hydrogène sont annoncés. Notamment le projet transfrontalier mosaHYc qui a deux particularités. Il s’agit d’un ouvrage d’une centaine de kilomètres pour mettre en relation des producteurs d’hydrogène (plutôt sur la partie française) avec des consommateurs (plutôt sur la partie allemande). C’est le premier projet de ce type, pour lequel nous envisageons une mise en service fin 2027. Deuxième particularité : on construit un ouvrage de transport d’hydrogène dont la majeure partie va être issue de canalisations qui, historiquement, transportaient du gaz naturel. Il va y avoir une conversion et un changement de destination. L’hydrogène sera produit à partir d’électrolyseurs par des acteurs privés.

Le coût est assez modéré, car le réseau de transport est préexistant avec un coût avoisinant les 70 millions d’euros, soit moins d’un million du kilomètre, ce qui est assez compétitif. Pour nous, ce projet est en quelque sorte « un appartement témoin », pour démontrer que l’on sait convertir des canalisations. Et nous aimerions que cela ne s’arrête pas là. Notre réseau de transport fait environ 33 000 km en France, et on sait que les consommations vont baisser. On va donc se retrouver avec un réseau qui va être sous-utilisé. L’idée, c’est de chercher à donner une seconde vie au réseau dont on n’aura plus besoin. Et l’hydrogène en est une solution.

PAMB : Avez-vous d’autres procédés innovants de fabrication en cours ?

V.R : Pour compléter la famille des procédés qui peuvent faire du méthane, la pyrogazéification consiste à incinérer à très forte température, des déchets solides pour en récupérer des gaz dans lesquels on retrouve du méthane : des CSR (combustibles solides de récupération). On peut même y mettre des plastiques, il y a un sujet avec le fait de valoriser des déchets que l’on ne peut plus enfouir. On a lancé un appel à manifestation d’intérêt il y a deux ans. Sur le Grand Est, on a identifié 5 projets, assez avancés et là, nous attendons des mesures de soutien des pouvoirs publics pour décider des investissements. Ça fait partie des procédés dont on a besoin pour atteindre l’objectif des gaz renouvelables qui vont bientôt être reprécisés dans la PPE (planification pluriannuelle d’énergie) qui en cours de révision.

Le deuxième procédé un peu innovant est ce que l’on appelle la gazéification hydrothermale, basée sur le traitement de déchets liquides industriels ou d’effluents de station d’épuration montés à très haute pression. Le défi technique est de trier ces gaz pour les réinjecter dans les réseaux en utilisant les infrastructures qui existent déjà.

Dernier sujet, celui du CO2, qui fait l’actualité depuis quelques temps avec une technologie qui s’appelle le CCS (Carbon capture and storage) qui consiste à aller capter le C02 en sortie de procédé industriel dans les fumées, pour le transporter et enfin le stocker et le remettre sous terre. On évite ainsi au CO2 de s’évaporer dans l’atmosphère. C’est aussi une façon d’endiguer le réchauffement climatique en stoppant les fuites de CO2. Il faut donc des canalisations de transport car les endroits où on émet le CO2 sont différents de ceux où on le stocke. Aujourd’hui, nous avons un projet qui existe à Dunkerque mais nous aimerions en développer un autre ailleurs avec des cimentiers pour imaginer un réseau de collecte de CO2.

PAMB : Ces innovations suffisent- elles à augmenter significativement la part de la production nationale en gaz ?

V.R : Aujourd’hui, en France, on produit 11 Twh de biométhane par an pour environ 430 Twh de consommation. On est donc encore loin d’avoir couvert la consommation pour être totalement indépendants. Ce 11 Twh, on estime qu’on peut le porter à 60 Twh en 2030. Ça correspond à une sacrée accélération. On a mis 10 ans pour passer de 0 à 11 et on estime avoir le potentiel pour passer de 11 à 60 en 6 ans ! Pour arriver à 100% en 2050. Dans le même temps, les appels à la sobriété que GRTgaz a lancé avec écogaz, ont fonctionné. Certes avec des prix qui avaient fortement augmenté, mais aujourd’hui, les prix ont à nouveau baissé et la consommation de gaz est restée en baisse. L’industrie participe aussi à la diminution des consommations avec une transformation des outils de production.

DES STOCKS PLEINS

PAMB : Justement, cette capacité de production qui augmente fortement aura-t-elle une influence sur les prix ?

V.R : Ce n’est pas GRTgaz qui a une influence sur les prix mais on peut sentir la tension entre l’offre et la demande. Ce qu’on voit par rapport à l’hiver passé, c’est que les stockages sont pleins. Nous avons un terminal méthanier supplémentaire mis en service au large du Havre il y a quelques semaines, avec une source supplémentaire d’approvisionnement en France que nous n’avions pas l’hiver dernier, et on a des baisses de consommation qui restent pérennes.

Ces trois facteurs nous permettent d’être assez confiants sur le fait que la France ne sera pas coupée en gaz et que donc normalement, la tension sur les prix sera bien moins forte que l’hiver dernier. Les prix ont toujours fluctué et l’augmentation était due, non seulement au contexte géopolitique avec le conflit russo-ukrainien, mais aussi à l’arrêt de plusieurs réacteurs nucléaires. Les prix reviennent aujourd’hui dans des variations que l’on connaissait avant la crise de la guerre en Ukraine. Mais globalement, sur le très long terme, on ne va pas se le cacher, les prix de l’énergie vont augmenter. Quand on passe d’une énergie fossile, avec des gisements naturels, à une énergie que l’on doit fabriquer, forcément, ça coûte plus cher.