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Philippe Bihouix : « Chaque hectare artificialisé nous éloigne de la résilience alimentaire »

Construction. Le Directeur général de l’AREP et spécialiste des ressources non renouvelables, Philippe Bihouix, était l’invité de l’Office du Bâtiment et des Travaux Publics de la Marne pour évoquer sa vision de la ville stationnaire.

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Photo de Jean-Philippe Thomas et Philippe Bihouix
Le président de l’OBTP 51, Jean-Philippe Thomas et Philippe Bihouix, DG de l’AREP. (Crédit : BB)

« Mieux construire en préservant les ressources ». Tel était le thème de la plénière organisée par l’Office du Bâtiment et des Travaux Publics de la Marne présidé par l’architecte Jean-Philippe Thomas. À l’initiative de ce dernier, l’auteur, spécialiste des ressources minérales et promoteur des low-tech Philippe Bihouix est venu donner sa vision d’une construction plus responsable.

Un raisonnement qui ne peut pas faire l’économie d’un rappel de quelques éléments-clés, comme le fait que l’humanité consomme chaque année 100 milliards de tonnes de ressources.

Un chiffre vertigineux qui signifie donc qu’en moyenne chaque habitant de la planète consomme 12 tonnes de ressources par an. Un chiffre qui est surtout à la hauteur des enjeux de la sauvegarde de la planète car, souligne Philippe Bihouix, si les ressources sont encore nombreuses sur la planète (la croûte terrestre est composée à 5% de fer), « la qualité et l’accessibilité de ces ressources se dégrade ».

Moins accessibles, elles nécessitent donc de plus en plus d’énergie et parallèlement, le passage aux énergies renouvelables demande de plus en plus d’utilisation de métaux. « Moins concentrées et plus intermittentes, ces ressources renouvelables, comme le vent ou le soleil par exemple mobilisent des installations de dispositifs plus intenses en métal (éoliennes, panneaux, transports…) ».

Un raisonnement qui met à mal de nombreuses idées reçues, même les plus bienveillantes a priori - comme le mirage du recyclage des métaux à l’infini -, ce qui n’empêche pas Philippe Bihouix de dresser une liste de solutions. La première, c’est bien évidemment la sobriété pour enrayer cette surconsommation d’énergie et de métaux.

La seconde est de ne pas trop attendre de la technologie. En résumé, si cette dernière permet une amélioration de la productivité, l’efficacité appelle invariablement à de plus en plus de consommation et de production…

Pour une ville stationnaire

Concernant la construction, le spécialiste est clair : alors que le Zéro Artificialisation Nette [1] est à l’œuvre dans les territoires, lui prône le Zéro Artificialisation Brute. « Chaque hectare artificialisé aujourd’hui nous éloigne de la résilience alimentaire du futur ». S’inspirant de l’économiste John Stuart Mill, Philippe Bihouix revendique « un état stationnaire de l’économie », qui déboucherait sur « une ville stationnaire ».

« On s’arrête de croître, cela ne veut pas dire que la ville se fige », rassure-t-il. « On peut se concentrer sur la réparation, la transformation, l’adaptation, la réhabilitation », en allant réinvestir une partie des 3 millions de logements vacants, en traitant la sous-occupation ou en mobilisant de la re-cohabitation (habitat intergénérationnel, accueil d’étudiants, partage, mutualisation ou division de logements…).

« On peut aller chercher dans l’existant pour produire du mètre carré », propose-t-il, entre autres solutions. Une réflexion qu’il développe évidemment plus en profondeur dans l’ouvrage « La ville stationnaire - Comment mettre fin à l’étalement urbain ? », dont il est le co-auteur, avec une idée directrice : rééquilibrer les territoires et juguler l’étalement urbain en réduisant notamment le poids environnemental des villes.

[1L’objectif ZAN demande aux territoires, communes, départements, régions de réduire de 50 % le rythme d’artificialisation et de la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers d’ici 2030 par rapport à la consommation mesurée entre 2011 et 2020.