« On ne peut pas laisser le régime social des retraites aller droit dans le mur »
Entreprise. Retraites, taxes, réarmement... en visite à Reims à l’occasion de l’inauguration des locaux du Medef Marne, Patrick Martin s’est exprimé sur tous les sujets d’actualité face aux adhérents locaux.

Habituées à travailler ensemble, les filières transport et Champagne font aujourd’hui face à des menaces de taxes, certes à des niveaux différents, mais qui risquent de peser sur leurs compétitivités respectives. Le président du Medef a mis à profit son passage dans la Marne pour rencontrer les représentants de ces deux secteurs d’activité et les assurer du soutien de son mouvement patronal. En effet, alors que la Communauté européenne d’Alsace a voté une Ecotaxe, baptisée R-Pass, visant à taxer les poids lourds en transit sur les routes de son territoire, la mesure inquiète les professionnels du transport routier. Prévue à hauteur de 15 centimes du km, la taxe pourrait aussi être étendue à d’autres régions (dont le Grand Est), ce qui a incité Patrick Martin, le président du Medef à réagir lors de sa visite de l’entreprise Transports Durand à Saint-Brice Courcelles (Marne).
Pour cette entreprise qui compte 140 moteurs, l’enjeu est important. Filiale du groupe EBTrans(42 sites dans 13 pays d’Europe, 4 000 collaborateurs dont 3 000 en France), elle est spécialisée dans le transport de liquides, produits pétroliers, matières dangereuses. « Les transporteurs routiers sont inquiets à la fois des modalités de cette taxe et du surcoût qu’elle va engendrer auprès de leurs clients, qui vont devoir répercuter cette taxe supplémentaire sur les prix de leurs produits », souligne Tony Seiller, président d’EBTrans France. Patrick Martin a bien mesuré les répercussions de la mesure. « C’est un sujet qui pose des questions au niveau de l’équité entre territoires et du renchérissement des coûts pour notre économie », a-t-il souligné. Appliquée en Allemagne (où elle s’élève à 34 centimes du km), elle serait la cause d’un transfert du trafic sur le territoire alsacien, et donc une des raisons de son adoption par les élus de la CEA. Ce qui n’empêche pas le Medef de s’inquiéter quant à ses conséquences sur les entreprises concernées. « Ça renchérit le coût du transport qui est un secteur essentiel pour l’activité économique nationale. On sait très bien qu’opérationnellement, on ne peut pas se passer du transport routier. C’est une filière importante, y compris en termes d’emplois. Il faut donc être très précautionneux avant de prendre des mesures qui pourraient déstabiliser cette filière ».
Et aux propos de Florence Berthelot, déléguée générale de la Fédération Nationale des Transports Routiers (FNTR) qui s’interroge sur l’utilisation du produit de cette taxe, le patron du Medef abonde : « Si c’est pour financer des dépenses qui n’ont rien à voir avec les infrastructures de transport ou avec le transport d’une manière générale, appelons un chat un chat : ça sera du racket ».
Retraites : pas d’augmentation de cotisations

Egalement invité à partager la table des responsables de l’Union des Maisons de Champagne réunis en Assemblée générale, Patrick Martin a réagi aux questions de conjoncture, d’export et inévitablement aux taxes de 200% sur les vins et spiritueux français, avancées par Donald Trump. « Il faut rester de sang froid », rassure-t-il, « parce que c’est l’ouverture d’une phase de négociation », rappelant qu’en pareille situation en 2018, l’Union européenne et les Etats-Unis s’étaient retrouvés sur un accord « à peu près raisonnable ».
« On demande à l’Union européenne, de manière pondérée mais très résolue, de tenir tête et de manoeuvrer avec beaucoup de détermination dans cette négociation. Au Medef, on est très en appui de la filière Champagne mais aussi de Cognac, de la Bourgogne, de Bordeaux, parce que ce sont des filières d’excellence pour la France ».
A peine sorti du conclave organisé par le Gouvernement la veille, Patrick Martin ne pouvait non plus éluder la question des retraites et de l’équilibre de leur système financier. « Ça n’est pas pour les entreprises qu’on le demande, c’est un sujet macroéconomique. Je me désole que le Medef soit le seul, réunion après réunion, à rappeler cet impératif d’intérêt général. On ne peut pas laisser ce régime social des retraites, comme tous les autres régimes sociaux, aller droit dans le mur. C’est un enjeu de responsabilité vis à vis de notre génération et des générations suivantes », insiste-t-il. « Si on ne touche à rien, on aura 6,5 milliards de déficit chaque année. En 2030, ça montera jusqu’à 15 milliards. On ne peut pas vouloir préserver des régimes sociaux assez protecteurs en France et ne pas mettre en face les moyens financiers qui permettent précisément de pérenniser ces régimes », poursuit le patron du Medef, qui refusera toute augmentations de cotisations, rappelant que les retraites pèsent déjà 14% du PIB et que les salariés paient aujourd’hui 40 % de l’assurance chômage. « Au même moment où on s’inquiète du niveau des salaires nets, prétendre qu’on va encore prélever sur ces salaires nets, donc les diminuer, c’est une provocation ».
Effort de guerre :“les entreprises sont prêtes”
Quant à l’opposition entre la priorité à se préparer à l’effort de guerre face à l’urgence de revenir sur la réforme des retraites, Patrick Martin préfère la voir sous le prisme de la nécessité de prendre soin de l’état général des finances publiques. « On n’utilisera pas, nous Medef, cet argument. Ça n’enlève rien à l’impérieuse nécessité de rééquilibrer nos finances publiques. La santé, pour commencer, qui cette année va être déficitaire de 23 milliards d’euros. Cette situation très préoccupante n’est qu’un accélérateur d’une nécessaire prise de conscience qu’on doit collectivement avoir sur le fait que nos régimes sociaux sont au bord de la faillite ».
Si le département de la Marne possède peu d’entreprises impliquées dans l’industrie de l’armement, Patrick Martin n’a pas éludé ce sujet qui peut aussi avoir des conséquences sur la filière industrielle nationale. « Je ne vais pas dire que c’est une opportunité parce qu’on ne peut que se désoler de cette situation et de ces menaces militaires. Mais la France a le grand mérite d’avoir conservé une industrie d’armement de rang mondial… Ce n’est pas par hasard si la France est le troisième exportateur mondial d’armement », rappelle-t-il.
« Les entreprises françaises sont prêtes pour ce réarmement aujourd’hui. On a une filière d’armement d’excellence avec des majors et 4 500 PME-PMI, en aval ou en amont de ces grands industriels (voir page 5). Technologiquement, les entreprises sont prêtes. Le vrai enjeu c’est la demande. On demande à toutes ces entreprises d’investir et de recruter, mais à ce jour, il y a encore un manque de visibilité sur le calendrier des commandes. Il faut donc absolument que l’Etat lui-même et l’Union européenne, clarifient le plan de marche ».