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François Gemenne : « Nous n’avons pas suffisamment d’intermodalité dans le transport »

Événement. François Gemenne, chercheur spécialiste des questions de géopolitique de l’environnement, interviendra vendredi 8 septembre lors d’une conférence-débat intitulée « En route vers la décarbonation ! », organisée par la Fédération Régionale des Travaux Publics. Il y présentera le dernier rapport du GIEC, dont il est membre, et les défis posés en termes d’adaptation des infrastructures.

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Photo de François Gemenne
Membre du GIEC, François Gemenne veut apporter un discours positif et volontariste sur le changement climatique. (Crédit : DR)

Vous êtes un chercheur qui ne mâche pas ses mots en ce qui concerne les questions environnementales. Faut-il un discours-choc pour réveiller les consciences aujourd’hui ?

« Je pense que les consciences sont largement réveillées : aujourd’hui, plus personne ne peut ignorer les impacts du changement climatique. Je pense donc que les discours qui visent simplement à alerter, souvent sur un ton très alarmiste, sans donner de solutions, peuvent rapidement devenir contre-productifs et entraîner du découragement. Je pense qu’il est important d’avoir une communication plus positive et volontariste sur le changement climatique, je redoute énormément le sentiment défaitiste qui s’installe. Je pense que tout le monde voit bien que la maison brûle. Mais les gens ne veulent pas qu’on leur dise qu’il y a le feu, ils veulent qu’on leur dise comment l’éteindre ! »

Vous avez notamment récemment proposé de fusionner la SNCF et Air France. Quelle est votre idée derrière cette proposition ?

« C’est une idée un peu provocatrice, et je sais évidemment que ce n’est pas une idée réaliste. Mais ce que je veux souligner, c’est qu’il y a une nécessité d’envisager davantage les moyens de transport comme complémentaires, et non concurrents les uns des autres. Aujourd’hui, nous n’avons pas suffisamment d’intermodalité dans le transport. On voit bien le rapport disproportionné entre le prix des billets de train et des billets d’avion, par exemple. »

« Beaucoup de vols courts- et moyens-courriers pourraient s’effectuer en train, mais les compagnies aériennes ont souvent besoin de ces vols - par ailleurs souvent déficitaires - pour amener les passagers vers les gros aéroports. En réalité, certaines lignes « aériennes » sont déjà effectuées en train : c’est le cas de la ligne Bruxelles - CDG, par exemple. Par contre, dans l’autre sens, CDG - Bruxelles, cela reste un avion exploité par Brussels Airlines. Et on peut évidemment tenir ce même raisonnement pour la route et le train, par exemple. »

Pour aborder le bilan carbone du secteur du transport on évoque souvent les actions à mener sur les moyens de transport mais très peu sur les infrastructures. Ne sont-elles pas concernées elles aussi ?

« Absolument. C’est la raison pour laquelle nous avons proposé, avec quelques collègues en juin dernier, une alliance pour la décarbonation de la route. Les efforts de soutien à la voiture électrique sont évidemment nécessaires, mais nous avons aussi besoin de décarboner les infrastructures elles-mêmes, tant dans leur construction que dans leurs usages. »

Sur quels leviers ces infrastructures peuvent-elles agir pour décarboner la route ?

« Pour la route, il y en a beaucoup : d’abord dans les matériaux de construction, les enrobés, les granulats, etc. On parle aussi beaucoup d’autoroutes électriques, évidemment. Puis il y a les usages : comment faire en sorte que la route puisse devenir un noeud d’échange intermodal ? Comment améliorer les connexions avec le train ? »

On a le sentiment que le levier fiscal reste celui qui est le plus souvent utilisé en France pour inciter aux comportements plus vertueux en matière de transport. N’y a-t–il pas d’autres solutions que la punition ?

« Je pense que la meilleure solution consiste à rendre le transport décarboné plus facile, plus efficace et meilleur marché. C’est le sens du think-tank The Mobility Sphere, que nous avons lancé cet été avec TransDev, qui est leader dans la mobilité décarbonée. Or aujourd’hui, on doit hélas constater que si l’on doit choisir entre un moyen de transport décarboné et un autre à forte empreinte carbone, ce dernier est souvent moins cher, plus rapide et plus pratique. C’est ce rapport qu’il faut absolument changer. La fiscalité peut être un élément de l’équation, mais ne suffira pas à la résoudre. »