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Les biocarburants séduisent les transporteurs

Transport. Dans le sillon du constructeur MAN, qui a décidé de miser sur la conception de véhicules alimentés exclusivement au biocarburant à base de colza, les transporteurs locaux Pascal Urano et Gilles Simon investissent dans cette technologie de transition.

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La flotte de l’entreprise ardennaise Truck Location comprendra 120 véhicules
roulant au colza régional dès 2022.
Benjamin Busson

Comme l’automobile, le monde du véhicule de transport est en pleine transition. Si la prise de conscience de la nécessité impérieuse de protéger la planète a touché les consommateurs, les professionnels du transport ont eux aussi décidé d’agir. A l’image du constructeur MAN, qui mise sur des véhicules roulant à l’Oleo100, un biocarburant de type B100, conçu par l’entreprise Saipol, dans l’Aube, à base de colza marnais et ardennais. Un choix fort que le constructeur a d’ailleurs décidé de présenter à Reims, dans les celliers du Champagne Veuve Clicquot. Et cette stratégie séduit les transporteurs comme leurs clients.

« Il nous semble normal et dans notre rôle de constructeur d’apporter des solutions concrètes pour la planète », souligne Jean-Yves Kerbrat, Directeur général de MAN Truck & Bus France. Pour ce dernier, l’avenir est indéniablement dans le véhicule électrique. Toutefois, l’arrivée sur le marché des batteries électriques performantes et adaptées au monde du transport ne se fera pas avant une bonne dizaine d’années. « Notre vision c’est que l’avenir sera électrique, mais cela se fera progressivement : si 50% des ventes de camions seront électriques en 2030, il y aura toujours 90% du parc que sera non électrique ! », assure Jean-Yves Kerbrat. Un chiffre qui éclaire sur les évolutions à attendre et qui rappelle que les incantations ne suffiront pas à modifier les parcs en quelques années seulement. Egalement impliqué dans la recherche vers la technologie électrique satisfaisante, le constructeur MAN se refuse à continuer à tout miser sur les moteurs thermiques pendant dix ans encore.

« Si on ne change rien on est morts. Il y a ceux qui vont évoluer et les autres »

« Cela n’a pas de sens aujourd’hui que nos clients utilisent des énergies fossiles comme le pétrole ou le gaz. Le biocarburant est une technologie de transition », insiste le Directeur général, qui rappelle d’ailleurs que tous les acteurs pétroliers se lancent sur ce marché des carburants plus vertueux. Voilà pourquoi, plutôt que d’attendre, MAN table sur cette technologie de transition en proposant des moteurs fonctionnant exclusivement aux biocarburants.

Deux sites de production

Le constructeur mise en particulier sur l’Oleo100 développé par le groupe aubois Saipol, produit à partir de colza marnais et ardennais et qui permet aux véhicules qui l’utilisent de réduire considérablement leur empreinte carbone. Malgré une légère surconsommation enregistrée, les émissions de gaz à effet de serre sont réduites de 60% et celles de particules fines de 80% avec ce biocarburant. « L’urgence climatique, c’est aujourd’hui », souligne Claire Duhamel, directeur de l’activité Oleo100 pour Saipol. « Nous entrons dans l’ère post-gazole et Oleo 100 nous permet d’agir immédiatement, ce qui n’empêche pas en parallèle le développement des technologies qui seront matures dans 10 ou 15 ans ».

Le groupe aubois propose d’ailleurs de reverser des bonus pouvant aller jusqu’à 5 ou 10% de la récolte aux agriculteurs cultivant du colza. Saipol dispose de deux sites de productions opérationnels en France et pourrait en ouvrir deux autres si besoin. « Nous avons assez de production pour alimenter le marché, qui devrait concerner environ 50 000 camions en France en 2025 ». En attendant, MAN séduit les transporteurs comme Pascal Urano et Gilles Simon (voir ci-dessous) qui peuvent avoir accès, grâce à l’utilisation de ces véhicules B100 exclusif (ne fonctionnant qu’au biocarburant) au dispositif de sur-amortissement jusqu’en 2030 avec une déduction fiscale de 40 %. Un argument de plus pour les indécis.

Deux transporteurs régionaux engagés

Gilles Simon, Pdg des transports Simon, Jean-Yves Kerbrat, DG MAN Truck & Bus France, Claire Duhamel, Directrice de l’activité Oleo100 groupe Saipol et Pascal Urano, directeur de Truck Location, réunis autour de la même conviction que le biocarburant est la solution de transition pour le transport routier. Benjamin Busson

Le moins que l’on puisse dire c’est que Pascal Urano et Gilles Simon vont vite. Très vite même, si l’on en juge par la nature de leur engagement en faveur des véhicules roulant au biocarburant. « Si on ne change rien on est morts. Il y a ceux qui vont évoluer et les autres ». Adepte du franc-parler, Pascal Urano, dirigeant de l’entreprise Truck Location, s’est engagé à acquérir pas moins de 120 camions équipés du système « Biocarburant exclusif » en 2022, lui qui était habitué à acheter entre 60 et 70 camions par an. Un investissement de taille pour l’entrepreneur ardennais qui intervient dans le transport de matériaux et le BTP, essentiellement pour le compte de clients publics.

« En 2024, la moitié de notre flotte fonctionnera au B100 et en 2025 nos 270 moteurs seront intégralement composés de ces modèles »

« Nous avons engagé notre réflexion sur l’accompagnement de la transition énergétique il y a 24 à 36 mois. Nous avons étudié les technologies disponibles, leurs coûts, leurs avantages et leurs inconvénients. Et il est vite apparu que le B100 (ou biocarburant) était immédiatement disponible, sans nécessiter une révolution technologique », explique le dirigeant ardennais. « Nous avons déjà 44 camions « rétrofités » (dont le moteur thermique d’origine a été modifié et équipé pour le biocarburant, NDLR) qui roulent aujourd’hui au B100. Le premier B100 exclusif vient d’arriver chez nous et tout fonctionne de façon satisfaisante ». Pascal Urano a aussi mis à l’essai le biocarburant B100 sur ses machines de travaux publics. « Si cela fonctionne, nous pourrons élargir le système à l’ensemble de notre flotte éligible. Cela permettrait d’économiser 22000 tonnes de CO2 ».

Des clients sensibilisés

Pour Gilles Simon, dont l’entreprise ancrée à Reims et à Rethel intervient dans le transport de cargo, de vrac solide et liquide et de produits sous température dirigée, la problématique était la même que celle de son confrère. « Le B100 nous est vite apparu comme la solution la plus intéressante », explique le dirigeant, qui est aussi administrateur du groupement européen de transporteurs Astre. « Alimenter nos camions avec du carburant issu de colza cultivé dans un rayon de moins de 200 km, cela a du sens ». Il a choisi quant à lui de commander 60 camions B100 exclusifs qui seront sur les routes dès 2022. Un investissement de 4,8 millions d’euros cette année, soit plus que les 3 millions d’euros consacrés annuellement au remplacement de ses véhicules.

« En 2024, la moitié de notre flotte fonctionnera au B100 et en 2025 nos 270 moteurs seront intégralement composés de ces modèles », souligne Gilles Simon, qui sait lui aussi que cette démarche est très observée par ses clients. « Nous intervenons pour des clients du secteur agro-alimentaire, de la cosmétique et de la grande distribution. Justifier d’une empreinte carbone faible est clairement un avantage auprès d’eux. C’est aussi le cas des Maisons de Champagne qui sont très sensibles à cette question ».

Si le B100 enregistre une surconsommation et un prix au litre indexé sur celui du gazole, ça n’est donc pas pour une question d’économie qu’il est choisi par les deux transporteurs régionaux. Mais il présente un avantage non négligeable : Pascal Urano et Gilles Simon constatent chez leurs chauffeurs une fierté de rouler avec des véhicules plus propres. Un petit « plus » qui n’a pas de prix.