Entreprises

Les agromatériaux, ressources vertes de demain

Environnement. Matot Braine, en partenariat avec Châlons Agglo, a entamé un cycle de conférences, à l’Hôtel d’Angleterre, dont le premier thème était « Mettez des agromatériaux dans votre entreprise ! ». Les invités se sont retrouvés autour de Christophe Clément, Vice-président de la Commission recherche de l’URCA et 1er vice-président de Bioeconomy for change, Pôle IAR.

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Christophe Clément (à droite), 1er Vice-Président de Bioeconomy for change, était invité à parler de l’activité du Pôle IAR et des débouchés d’avenir des agromatériaux. Nastasia Desanti

Réseau de référence de la bioéconomie en France, en Europe et à l’international, Bioeconomy for change rassemble 500 adhérents dont 250 en région Grand Est, depuis l’amont agricole jusqu’à la mise sur le marché de produits finis (coopératives agricoles, établissements de recherche et universités, entreprises de toute taille, acteurs publics, etc.). Ce pôle de compétitivité, mis en place en 2005, a accompagné plus de 350 projets pour un investissement total de 2,5 milliards d’euros sur les territoires.

Voilà pour la description rapide. Aujourd’hui, l’utilisation d’agromatériaux est plus que jamais d’actualité avec les deux dernières crises traversées par l’Europe : celle du Covid et de la guerre en Ukraine. « Depuis le milieu des années 90, la bioéconomie est en plein essor, avec la production d’agromatériaux mais aussi de biocarburants. L’objectif est de valoriser la plante pour créer de la richesse », indique Christophe Clément.

Intérêt pratique et économique

En effet, la majeure partie des plantes peuvent être transformées et valorisées, mais encore faut-il y trouver une application et un intérêt économique. « Il faut trouver les protocoles et les process pour que les choses soient simplifiées, industrialisables facilement et avec des coûts les plus réduits possible », insiste le vice-président de la Commission recherche de l’URCA, avec comme exemple, celui du pavot. « Ce qui est récupéré, c’est la fleur, pour les produits morphiniques notamment. Et après, il y a la tige. Mais d’un point de vue économique, ce n’est pas intéressant de récupérer cette fibre pour la transformer en agromatériaux, car il n’y en a pas assez par hectare ou c’est trop cher. »

Deuxième problématique : le recul. « Pour les parpaings de chanvre ou d’ortie par exemple, le recul n’est pas assez important. Nous n’avons qu’une quinzaine d’années d’expérience. Si ceux-ci ont prouvé leur efficacité en termes d’isolation thermique et phonique, sur la dégradation et de durabilité, il faut encore un peu de temps. C’est pourquoi, avec les parpaings d’orties, ce ne sont que des hangars qui pour l’instant ont été construits », explique vice-président du pôle IAR. Mais les agromatériaux ne s’arrêtent pas au secteur du bâtiment. Ils s’appliquent aussi à l’alimentation et aux coproduits de nourriture animale, comme le fera la future usine Agronutris, implantée à Rethel cette année ou encore à l’aéronautique, où aujourd’hui, « on peut retrouver 30% de produits biosourcés dans le tableau de bord d’un avion ».

Louis Retornaz, Directeur Banque de France de la Marne : « L’inflation redonne de la compétitivité à d’autres modes de production. » Nastasia Desanti

La stratégie de Bioeconomy for change est notamment de « renforcer et d’accompagner la compétitivité et l’industrialisation des entreprises par l’innovation. » À l’échelle de la Région Grand Est cette fois, « les décideurs ont affiché dans leur stratégie 2030 voire 2050, la bioéconomie comme un des moteurs principaux de l’économie de la région, avec derrière la mise en place de quatre filières. Celles-ci ont fait l’objet, lors de la Foire de Châlons l’an dernier, d’une signature de convention concernant la filière des biocarburants, celle des fibres, des bio-intrants et des biomatériaux », détaille Christophe Clément.

« Il va y avoir tout un tas de produits verts sur le marché, qu’il va falloir là aussi réglementer et classer son véritable impact écologique »

La Région affiche ainsi 500 millions d’euros d’investissements dans les 5 ans à venir sur la R&D dans ces domaines, mixant la recherche privée et la recherche publique mais aussi sur la partie formation. Ainsi, la volonté de Jean Rottner, président de la région Grand Est, est, d’ici 2030, de relier toutes les exploitations agricoles de la région à un méthaniseur. Valoriser les plantes, les produits issus d’exploitations agricoles, mais également la forêt, dont le Grand Est est maillé de 2 millions d’hectares, soit près de 34% du territoire. « Les écorces des arbres ont des propriétés antifongicides, antibactériennes mais aussi anticancéreuses. Et là, c’est l’innovation qui fait la différence. Plus on va vite, plus on est performant, plus on peut breveter de nouveaux protocoles et applications. » Même réflexion pour le miscanthus, plante « mal-aimée », mais dont les applications sont nombreuses, en fourrage animalier, en granulé pour le chauffage, en paillage horticole, en complément alimentaire pour les bovins, en construction, dont Châlons a fait une expérimentation…

Entreprises et recherche

En ce qui concerne la recherche à l’URCA, la relation avec les entreprises se fait de deux manières distinctes : « Il y a des entreprises installées qui viennent chercher l’université car elles ont identifié une compétence particulière qui va permettre de lever un verrou technique et technologique. Et puis il y a les start-up, où des jeunes chercheurs ont identifié un protocole qu’ils arrivent à breveter et qu’ils exploitent, qui vont être hébergés dans un incubateur ou qui vont être mis en relation avec le pôle IAR pour travailler en collaboration avec les différents services afin de continuer à développer leur recherche. »

Un des succès de collaboration concerne une application phytosanitaire. « Nous sommes arrivés à porter un projet européen qui utilise l’intelligence artificielle pour mettre sur des machines, des caméras qui identifient sur la plante, les points où la vigne est malade. Nous sommes ensuite allés voir la Maison de champagne Pommery pour voir si le système les intéressait et avons entamé une collaboration. »

Agromatériaux, une nouvelle compétitivité

Le contexte international implique un recours au matière biosourcée et une réflexion accélérée sur leur développement au sein des entreprises. « À l’heure actuelle, il y a une hyper-inflation en raison du conflit mais qui redonne aussi de la compétitivité à d’autres modes de production », souligne Louis Retornaz, directeur Banque de France Marne. « On arrive dans les vérités de la bioéconomie. La matière première va valoir son juste prix, là où c’était plutôt un prix de l’offre et de la demande et un prix d’exécution plutôt que de valeur propre, comme l’eau, le gaz ou le pétrole. Ensuite, un blé à 350 euros et un colza à 900 euros la tonne, tous les pays ne peuvent pas se les payer, notamment ceux qui sont en cruel manque comme le Maghreb. Il va falloir que tout cela se réajuste », analyse Maximin Charpentier, président de la Chambre régionale d’agriculture. « Il va y avoir tout un tas de produits verts sur le marché, qu’il va falloir là aussi réglementer et classer son véritable impact écologique. »

« La matière première va valoir son juste prix, à présent c’était plutôt un prix de l’offre et la demande », analyse Maximin Charpentier, Président de la Chambre d’Agriculture Grand Est. Nastasia Desanti

Les filières vont ainsi devoir travailler ensemble, en complémentarité. « Sur le site de Bazancourt, c’est un des meilleurs exemples que l’on ait sur ce que peut apporter l’économie circulaire en termes d’industrie », relève Christophe Clément. « On a des betteraves qui sont composées à 15% de sucre avec le reste qui est de l’eau. Cette eau là est utilisée par les collègues qui à partir de blé, font du sirop de glucose pour différentes utilisations industrielles. Ces process génèrent quant à eux du gaz carbonique qui est récupéré par Air Liquide, qui lui, le liquéfie et le revend par ailleurs… Donc on a tout un système où il y a beaucoup de choses qui rentrent mais peu qui sortent et où tout est valorisé. »

Un système vertueux mais un manque de formations ?

Le développement de l’industrie de la bioéconomie passe par la possibilité des entreprises à venir s’installer dans la région. « Il y a un pool potentiel d’emplois avec des compétences particulières. Ces nouvelles techniques et technologies amènent aussi des nouveaux métiers. Si on fait venir les entreprises, il faut qu’il y ait les salariés pour venir travailler dans les unités de production. Il faut donc implanter les formations qui vont avec. Formation professionnelles, courtes, en alternance. » À l’URCA, en sortie bac +3 à +8, il y a entre 300 et 400 étudiants qui sont formés avec une demande qui croît.