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Les 100 ans de l’AGPB à la lumière des enjeux présents

Agriculture. À l’occasion des 100 ans de l’Association Générale des Producteurs de Blé (AGPB), la profession des céréaliers dresse un historique de la filière et aborde les défis auxquels elle est confrontée, notamment dans un contexte géopolitique instable.

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Photo des 100 ans de l'Association Générale des Producteurs de Blé
Experts et agriculteurs sont venus apporter leur témoignage sur les défis de demain dans le monde agricole. (Crédits : ND)

C’est dans l’enceinte du Lycée de la Nature et du Vivant, à Somme-Vesle, que les acteurs de la filière céréalière avaient décidé d’organiser deux tables rondes, célébrant les 100 ans de l’Association Générale des Producteurs de Blé. Un lieu qui n’a pas été choisi au hasard, à la croisée des générations. L’après-midi consacrée à l’association a démarré par un historique du paysage agricole français. « L’AGPB a été créée en 1924, à l’époque où les cours des blés étaient chahutés, pour regrouper les agriculteurs et les agricultrices. Ils veulent obtenir des prix équitables pour leurs produits, mais aussi sur l’approvisionnement : engrais, matériel… la défense agricole s’organise », rappelle Hervé Lapie, Président de la FDSEA 51, qui souligne la création, dans le même temps, de la première coopérative agricole champenoise par Gustave De Bohan : la Providence, devenue Vivescia.

Un nom évocateur, dans la droite lignée de l’influence de la jeunesse agricole chrétienne (JAC), très active dans les campagnes dans la première partie du XXe siècle. « Elle a contribué à former des leaders ouverts aux sciences, aux idées nouvelles, au respect des autres. La formation est essentielle pour analyser, décider, et laisser la place aux jeunes », insiste Hervé Lapie, mettant en perspective les problématiques de l’époque avec celles connues aujourd’hui. « Les enjeux n’ont pas tant changé. Il faut toujours s’adapter : au contexte géopolitique, à ce qui se passe aux portes de l’Europe – la guerre en Ukraine, un président des États-Unis déroutant, et de futures négociations de la PAC. Les enjeux concernent l’eau, les phytosanitaires, la génétique, le machinisme, la robotique… »

L’histoire de l’agriculture dans la région est ainsi marquée par des évolutions profondes, façonnées par les crises économiques, les avancées techniques, et les aspirations collectives du monde paysan. Et c’est à la lumière de ces évolutions que se dessinent les enjeux de demain, évoqués lors d’une seconde table ronde. Car depuis les années 80, « si le productivisme reste une base, les préoccupations environnementales prennent progressivement le relais. Dès les années 90-2000, l’agriculture marnaise s’est orientée vers des pratiques raisonnées, soucieuses de la conservation des sols, de la sélection variétale et de la recherche agronomique. En témoignent l’émergence de la plateforme agro-industrielle de Pomacle Bazancourt ainsi que du Pôle de recherche ARD », indique Jean-Pierre Williot, professeur d’histoire économique contemporaine à l’Université de la Sorbonne.

Evolution des pratiques

Mélanie Franche, ingénieure régionale chez Arvalis, Institut technique du végétal, détaille : « Aujourd’hui, les dynamiques agricoles ont profondément changé. On dispose de moins en moins de solutions standards en matière de facteurs de production, et l’on fait face à une complexité grandissante. Les expérimentations ne se limitent plus à un seul levier : elles croisent désormais les espèces, les filières, les territoires, les objectifs des producteurs, et les diverses options techniques disponibles. Ce changement de paradigme rend les approches d’expérimentation classique, en microparcelles par exemple, moins pertinentes. Pour répondre à cette complexité, il faut faire évoluer nos pratiques. Cela passe par des expérimentations en conditions réelles, dans les parcelles des agriculteurs, avec pour objectif que chacun s’approprie les innovations testées. » Justement, ceux qui sont sur le terrain, la nouvelle génération notamment, a vu cette progression des pratiques. « Pendant une dizaine d’années, j’ai travaillé autour des systèmes GPS appliqués à l’agriculture, notamment en participant à la mise en place de réseaux techniques. Naturellement, sur mon exploitation, j ’ai rapidement adopté ces technologies. Elles représentaient un levier clair d’amélioration de la productivité », explique Benjamin Verzeaux, Agriculteur et Consultant en services et machinisme agricole. « Concrètement, cela passe par une meilleure gestion des intrants, grâce à la localisation, aux photos satellites, et à la possibilité d’appliquer la bonne dose au bon endroit. Ces outils ont aussi apporté du confort de travail, un enjeu non négligeable aujourd’hui dans un contexte de pénurie de main-d’oeuvre : fidéliser du personnel passe aussi par des conditions de travail modernisées », insiste-t-il.

Photo de Eric Thirouin
Eric Thirouin (Crédits : ND)

Avec les outils d’observation par satellite, les OAD (outils d’aide à la décision) se sont largement développés, notamment en matière de lutte contre les maladies des céréales. Résultat, sur le blé, il est possible de réduire substantiellement les passages de fongicides. Néanmoins, ces technologies ont un coût que les exploitations doivent pouvoir absorber. Les coopératives ont alors un rôle clé à jouer dans la prescription de ces techniques. « La coopérative Cérésia a joué un rôle moteur dans le déploiement de ces technologies. Vers 2010, elle proposait déjà un signal RTK (précision GPS extrême) à ses adhérents, et a contribué à le développer à l’échelle nationale. C’est grâce à ce type d’initiatives que ces innovations sont devenues accessibles au plus grand nombre », poursuit Benjamin Verzeaux.

Clément Regnault, agriculteur lui-aussi de la jeune génération, exprime à son tour l’attention qu’il porte aux évolutions ainsi qu’aux études techniques. « Avant même de commander une variété de blé, je prends le temps d’étudier la synthèse technique qui vient d’être publiée. Cela me permet de choisir les variétés en fonction de mes parcelles, de leur exposition à certaines maladies, ou de leurs contraintes spécifiques. C’est un vrai outil d’aide à la décision », fait-il savoir. « Sur la santé végétale, j’appartiens à un GEDA (accompagnement technique collectif), animé par la Chambre d’agriculture, qui s’appuie aussi sur les travaux de la R&D. Ces échanges sont essentiels. Que ce soit via le GEDA ou par les retours techniques que je reçois de la coopérative, on confronte nos pratiques, on échange, et on affine nos décisions. » Pour conclure les échanges, le président de l’AGPB, Eric Thirouin, a salué la capacité de résilience des agriculteurs appelant néanmoins les pouvoirs publics à soutenir la filière des céréales, avec une satisfaction : l’inscription dans la Loi agricole de ne pas interdire un produit phytosanitaire sans qu’il y ait une solution innovante prête à être déployée derrière.