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Le projet à 270 emplois des Cycles Mercier à Revin compromis

Rencontre. L’Etat ayant décidé de se désengager sans trop s’appesantir sur les raisons de ce rétropédalage, le projet porté par Jean-Marc Seghezzi ne verra probablement pas la ligne d’arrivée. 270 emplois s’envolent ainsi en fumée.

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Sans l’aide de l’Etat, il parait fo rt improbable que Jean-Marc Seghezzi (au centre), propriétaire des Cycles Mercier depuis douze ans relance l’emblématique marque française à Revin

Voilà un coup de théâtre qui a fait l’effet d’une douche froide pour la ville de Revin et la communauté de communes Ardennes Rives de Meuse qui fondaient beaucoup d’espoirs sur ce projet industriel appelé à générer 270 emplois directs d’ici 2027 sur la base d’une production annuelle de 500 000 vélos « musculaires » et à assistance électrique.

Privé de 6 millions d’euros sur un projet à 11,6 millions

En effet, le préfet Jean-Sébastien Lamontagne a fait savoir le 29 juillet que contrairement aux engagements pris il y a quelques mois, l’Etat n’accompagnera pas la réinstallation des Cycles Mercier en France et à Revin. « Je suis malheureusement chargé d’annoncer que l’Etat ne pourra pas accorder les subventions qui avaient été envisagées au titre du plan de relance dans le cadre des fonds « Territoires de l’Industrie » (ndlr 800 000 euros) et « Friches industrielles » (5 millions d’euros) ».

« On n’a aucune réponse aux questions que l’on se pose sur cette imprévisible volte-face. »

200 000 euros devaient aussi être débloqués pour accompagner les demandes de formation. Privé de ces six millions d’euros, soit plus de la moitié du projet évalué à 11,6 millions d’euros, ce programme a pris du plomb dans l’aile. On voit mal Jean-Marc Seghezzi, qui avait entamé le recrutement de ses futurs cadres, donner corps à son plan sur de nouvelles bases. « J’ai du mal à digérer cette décision tardive sur un dossier qui était écrit et finalisé », confiait-il, dépité.

Des éléments graves ont conduit l’Etat à ce revirement

Voici les explications données par le représentant de l’Etat. « Comme pour tout dossier industriel faisant appel à des subventions publiques, une instruction a été menée par différents services de l’Etat chargés de vérifier si tout était conforme. Dans le cadre de ces études, un certain nombre d’alertes nous sont remontées, donnant lieu à des investigations supplémentaires. Il y avait suffisamment d’éléments graves à ce stade pour conduire l’Etat à prendre, en responsabilité et au regard du bon usage des fonds publics, cette décision mûrement réfléchie. On en mesure bien sûr toute la portée avec l’immense déception qu’elle va susciter mais cet arbitrage est assumé ».

L’annonce, et ce n’est pas anodin, précédait l’engagement des futurs travaux de réhabilitation que devait assurer Ardennes Rives de Meuse, dès le 1er septembre, sur l’ancien site Porcher de 12 000 m2 pour déboucher sur une entrée en production en début 2022. Sans en dire plus sur les griefs reprochés au porteur de projet, le Préfet concédait de façon évasive qu’il était apparu impossible de poursuivre plus loin les engagements annoncés.

Volte-face inatendu

Selon certaines sources, des suspicions de fraudes d’ordre douanières et fiscales jugées suffisamment importantes ont entamé la confiance de l’Etat vis à vis du Pdg des Cycles Mercier. Au point d’appliquer une mesure très mal perçue sur le terrain car inexpliquée aux acteurs locaux. Ce coup de frein a fait l’effet d’un véritable coup de massue. D’où les réactions très musclées des élus. Daniel Durbecq, maire de Revin, se dit « complètement écoeuré de la position de l’Etat ».

« Je trouve cela inadmissible. Bercy met tout en place pour se retirer à la dernière minute. C’est incompréhensible d’en arriver là, six mois après l’annonce du projet alors que tout était en place pour que le chantier démarre. On n’a aucune réponse aux questions que l’on se pose sur cette imprévisible volte-face. On aimerait savoir quelles sont les raisons objectives de cette décision brutale et unilatérale et les différentes faiblesses du dossier qui auraient échappé à l’Etat. La population va très mal prendre la chose ».

« La vallée de la Meuse, tristement surnommée la « vallée des oubliés » fait une fois de plus les frais d’un désengagement de l’Etat »

Tout aussi désarçonné, Bernard Dekens ne mâche pas ses mots. « C’est tout de même très grave d’en arriver là et de nous planter ainsi. On a du mal à comprendre pourquoi cette opération n’est plus financée alors que la ministre de la Cohésion des Territoires, Jacqueline Gourault, avait été dépêchée sur place le 15 mars 2021 pour officialiser les aides publiques. La présence d’Emmanuel Macron était même annoncée pour la sortie du premier vélo ! Ce retrait est désastreux. C’est par le biais du ministère de l’Industrie que cet investisseur est arrivé ici, après avoir hésité entre les Ardennes, le Portugal et les Hauts de France. Il y a eu une mobilisation générale pour que tout se passe bien. Tout le monde a fait le job pour obtenir cette bouffée d’oxygène pour Revin et, avant le début des travaux, patatras, tout s’effondre sans que l’on connaisse les motivations précises de cette surprenante remise en cause. Mais ça transpirait déjà, on n’arrivait plus à avoir les communications nécessaires sur le plan de financement. Ces incertitudes m’ont obligé à reporter un conseil communautaire. Pour que les garanties soient suffisantes, les services de l’Etat auraient tout de même pu être dans la prévention en se renseignant beaucoup plus tôt sur la situation et la personnalité de l’investisseur ».

Le président d’Ardennes Rives de Meuse précise que les 20% du projet global, concernant l’immobilier d’entreprise, n’avaient pas encore été alloués. Seule une somme de 1,8 million d’euros a été dégagée pour le déménagement d’A.C.D.L. dans d’ex-locaux d’Electrolux afin de faire place nette aux Cycles Mercier. La Région promettait pour sa part un soutien de 2 millions d’euros. L’Union européenne ne s’était pas encore prononcée. Le porteur du projet finançant 2,4 millions d’euros de sa poche pour l’outil industriel.

« Il avait certes bénéficié d’un pont d’or mais il y avait 270 emplois à la clé dans une activité en plein essor », nuance un élu de la Pointe. « Objectivement, c’est une mauvaise nouvelle », concédait le Préfet avant d’assurer que l’Etat soutiendra les Ardennes. « Ca prendra la forme de deux engagements concrets. Un, la mobilisation des deux grands opérateurs nationaux, Business France et BPI France, pour identifier et orienter prioritairement des projets industriels sur le site de Revin. Le cabinet du ministre de l’Industrie va s’y employer. Deux, les 6 millions d’euros qui auraient dû être attribués au projet Mercier vont être redéployés vers d’autres projets locaux afin que le département en conserve le bénéfice et autant que possible dans la vallée de la Meuse ».

Pas sûr que cela calme le député Pierre Cordier qui exige des actes : « L’Etat se fout des Ardennes. Je suis en colère, car en agissant dans la précipitation, le gouvernement a suscité de faux espoirs chez des centaines d’Ardennais espérant trouver un emploi. Comment un tel cafouillage a-t-il pu se produire sur des « on-dit » ? La vallée de la Meuse, tristement surnommée la « vallée des oubliés » fait une fois de plus les frais d’un désengagement de l’Etat au moment où la circonscription affiche un taux de chômage de 17%. Les crédits initialement prévus doivent rester fléchés pour les Ardennes ». Après l’abandon du projet Cévital sur le site de PSA, voilà en tout cas un autre fiasco qui fait franchement désordre…