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Le Medef fait entendre sa voix avec une liste de « 10 conditions »

Législatives. Face à la tenue exceptionnelle d’élections législatives, le Medef dresse une liste de « 10 conditions pour la réussite économique de la France ». Le syndicat patronal s’est associé à deux autres organismes professionnels (CPME et U2P) et 12 associations patronales pour auditionner les principaux chefs de partis et coalitions afin de connaître leur programme.

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Photo de Christian Brethon et Alexandre Farro
Christian Brethon, vice-président du Medef Grand Est et président de l’UIMM Grand Est et Alexandre Farro, président du Medef Grand Est, expliquent que le syndicat patronnal souhaite « redonner du sens économique au débat public et formule 10 conditions qui témoignent de l’engagement des entreprises de France pour la réussite économique du pays ». (Crédit : ND)

Le ton a été donné par Patrick Martin, Président national du Medef, le 20 juin dernier lors des auditions des chefs de partis, accompagné dans sa démarche par le président national de la CPME, François Asselin et celui de l’U2P, Michel Picon ainsi que par 12 autres associations patronales comme l’Association pour le progrès du management (APM), le Centre des jeunes dirigeants (CJD), Croissance Plus, les Entrepreneurs et dirigeants chrétiens (EDC), Entreprises et progrès, Ethic, Femmes Chefs d’Entreprise (FCE), Impact France, l’Institut de l’entreprise ou encore, le Mouvement des Entreprises de taille intermédiaire (M-ETI).

L’objectif était de donner la parole aux principaux responsables de partis et coalitions afin de connaître leur programme mais également de confronter leurs propositions dans l’optique d’une arrivée au pouvoir. « À la crise politique, ne doivent pas s’ajouter des crises économique, sociale, financière et budgétaire », indique Patrick Martin. Car le Medef ne compte pas cesser le dialogue quelle que soit la mouvance politique majoritaire aux élections, appelée, par la suite, à former un nouveau gouvernement.

« Nous ne sommes pas dogmatiques », insiste Alexandre Farro, Président du Medef Grand Est. « Nous sommes dans le dialogue, à aucun moment nous ne pouvons nous permettre d’être en rupture. La partie économique, c’est l’élément clé du pays à tous les égards. Il était important pour nous de se mobiliser immédiatement sur cette situation. » Le syndicat qui représente plus de 200 000 entreprises et 10 millions de salariés, dont une majorité de TPE-PME veut ainsi porter sa vision. « Nos entreprises sont aujourd’hui confrontées à de lourds et multiples défis : ceux de la décarbonation et de la digitalisation, des compétences et ceux de la compétition internationale exacerbée », insiste Alexandre Farro, par ailleurs fondateur de plusieurs agences de conseils en stratégie.

Sur la question de l’énergie par exemple, « pas de dogmatisme » donc, mais une nécessité de calendrier. « Concernant les véhicules électriques, la chaîne industrielle a besoin de visibilité. Non seulement dans la construction mais sur l’ensemble de la chaîne avec l’alimentation en bornes électriques. Nous avons besoin d’un mix énergétique. Arrêter l’une ou l’autre filière viendrait complètement déstabiliser tout ce qui est en train d’être mis en place », souligne Alexandre Farro.

« Compétitivité, stabilité, lisibilité »

Les maîtres-mots du Medef sont ainsi de « remettre de la rationalité ». « On ne doit pas faire de la politique dans l’émotion. Nous demandons ainsi d’assurer la compétitivité des entreprises. Ensuite, il faut de la stabilité. Nous ne pouvons pas changer tout le temps de cap, il faut de la continuité dans les investissements, notamment dans le domaine industriel. Troisième élément, il faut de la lisibilité et une feuille de route. » Car parmi les nombreuses mesures proposées par les différents candidats, certaines semblent hors de possibilité d’application sans de graves conséquences, estime le syndicat patronal. Prenons le Smic porté à 1 600 euros défendu par le Nouveau Front Populaire. « Le Smic à 1 600 euros gèlera des millions de projets d’embauche et nous fera renouer avec le chômage de masse », considère Alexandre Farro.

« Pour nous, l’indexation automatique des salaires sur l’inflation fera retomber notre pays dans un cycle sans fin d’inflation », assure pour sa part Christian Brethon, vice-président du Medef Grand Est. « Le Smic bloquera des embauches prévues. Si la main d’œuvre est trop élevée, on sera dans une distorsion de la concurrence par rapport aux autres pays. On demande plutôt de faire confiance aux acteurs industriels, c’est-à-dire en simplifiant les réglementations qui pèsent lourds sur les entreprises et qui génèrent déjà une distorsion sur la concurrence internationale. »

Pour le Medef, l’urgence est plutôt de poursuivre la politique de l’offre. « La suppression des impôts de production, l’allègement de charges font partie des choses que l’on souhaite voir dans les programmes tout comme l’investissement dans la qualité de formation », insiste Christian Brethon qui connaît bien le sujet puisqu’il est également Président de l’UIMM Grand Est. « La politique économique doit être envisagée non pas sur un élément en particulier mais sur un ensemble d’éléments, en prenant en compte le contexte et l’échelle de valeur », souligne Alexandre Farro. Le contexte, c’est un endettement de la France à hauteur de 3 000 milliards d’euros fin 2023, c’est-à-dire 110% du PIB. Le déficit public lui, s’établit à 154 milliards d’euros.

Des chiffres qui ont provoqué l’abaissement de la note de la France de « AA » à « AA- », sanctionnant la « détérioration de la position budgétaire » du pays par l’agence de notation Standard & Poor’s, début juin. Et alors que le gouvernement s’était engagé à réaliser 10 milliards d’euros d’économie dès 2024, la prévision de la croissance est en baisse de 1,4 % à 1 %... Une situation particulièrement tendue que doivent prendre en compte les différents candidats.

« Comment on rétablit le navire France avec une baisse de nos dépenses ? Voilà toute l’équation à résoudre », interroge le président du Medef Grand Est qui insiste sur le rôle des entreprises qui « contribuent de façon énorme au budget de l’État. Leur contribution est déterminante en matière de production, d’emploi et de pouvoir d’achat, de financement de la collectivité et de la protection sociale ».

Des mesures rattrapées par la réalité ?

Concernant les retraites, le Medef assure être, comme pour de nombreux autres sujets « dans le pragmatisme ». « Nous sommes des gestionnaires d’entreprises. Quand il y a des dépenses, il faut des rentrées. Il faut que les choses s’équilibrent », insiste Christian Brethon, qui rappelle que dans beaucoup de secteurs, les carnets de commandes ne sont plus aussi pleins que lors de la reprise post-covid.

Pour autant, il y a un besoin de main d’œuvre dans de nombreux corps de métiers. Concernant des restrictions éventuelles de main-d’œuvre étrangère, le Medef veut être « dans la rationalité ». « Il y a une situation économique qui est ce qu’elle est. Quel que soit le parti à arriver au pouvoir, il sera rattrapé par certains sujets », veut croire Alexandre Farro, prenant en exemple celui de l’Italie et de sa présidente du Conseil, Giorgia Meloni, qui, bien qu’opposée au départ à cette éventualité, a fini par ouvrir 450 000 titres de séjour aux travailleurs étrangers.

Avec comme clé, la question centrale de la formation. « Nous avons perdu notre position au niveau de l’éducation. Il y a un déséquilibre entre la formation et les besoins sur tous les domaines industriels. Comment est-ce qu’on peut adapter, transformer notre éducation pour apporter de la sécurité à nos jeunes ? » questionne Alexandre Farro.

Risque de fuite des investisseurs

La question de la fiscalité apparaît centrale notamment celle concernant l’intégration du patrimoine professionnel dans l’assiette de l’ISF, proposition portée par le Nouveau Front Populaire. « Des annonces comme celle-là sont dramatiques pour les entrepreneurs. Le patrimoine professionnel est un outil de travail. En plus, l’entreprise a une valeur à un instant T. Aujourd’hui, si on impose le chef d’entreprise en propre sur la valeur de son outil de travail, ça n’a pas de sens. Ce n’est pas un bien personnel, c’est un bien social. » Avec, comme risque, celui de réduire encore plus le nombre d’entreprises patrimoniales.

« Si on fait une fiscalité punitive en France, les chefs d’entreprise vont vouloir partir et les investisseurs étrangers voudront quant à eux ralentir leurs investissements », alerte Alexandre Farro. Alors même que la France fait le chemin en tête depuis 5 ans sur le sujet en Europe, avec plus de 15 milliards d’euros d’investissements étrangers.

« Nous avons déjà un problème de transmissions d’entreprises. Dans le cadre de la réindustrialisation, on travaille sur le ‘‘fabriqué en France’’ or, si on fragilise encore cette industrie, on va ré-augmenter notre part d’achat à l’international, il est ici question de souveraineté. » « Il faut garder nos fleurons industriels ! » s’alarme le vice-président du Medef Grand Est, prenant en exemple ce qui est en train de se passer avec Biogaran. En effet, le leader français des médicaments génériques a été mis en vente en avril de cette année, et deux grands groupes indiens sont sur les rangs pour le rachat. L’État compte intervenir dans ce dossier via la Caisse des dépôts et consignations, co-actionnaire de Bpifrance, la banque publique d’investissement, mais rien n’est encore tranché, le sujet est explosif…

« Nous sommes en Europe, et chaque élément doit être ramené au contexte international et à celui de la concurrence », rappelle Alexandre Farro. Une concurrence plus internationale qu’européenne, car le Medef soutient la participation de la France au budget européen et la consolidation du marché européen de l’énergie. « Nous avons un rôle de contact direct avec le gouvernement. Aujourd’hui, les territoires et la proximité ont été oubliés. Le rôle des corps intermédiaires est donc indispensable. Nous souhaitons rétablir l’équilibre entre les instances politiques et cette voix des territoires, essentielle à notre démocratie. Mais nous ne sommes pas un parti politique, nous ne donnons pas de consignes de vote », conclut-il.