Le Contrôle coercitif, bientôt introduit dans le droit pénal ?
Droit. Alors que la lutte contre les violences familiales est au coeur des priorités du ministère de la Justice, la Cour d’Appel de Reims organisait une journée sur le « contrôle coercitif », notion qui fait l’objet d’une proposition de loi afin d’en inscrire sa définition dans le Code pénal.
Ce sont des chiffres auxquels on ne veut pas s’habituer. En 2023, les forces de sécurité intérieure ont recensé 271 000 victimes de violences conjugales, selon les données du ministère de l’Intérieur. 93 femmes sont mortes tuées par leur compagnon ou ex-compagnon. Les violences conjugales et domestiques (touchant ainsi non seulement le conjoint mais aussi les enfants) sont une priorité du ministère de la Justice. Et pour faciliter la définition de ces violences et leur prise en charge juridique, a été introduite dans la législation depuis 2020, en France, la notion de « contrôle coercitif ». Cette dernière fait l’objet d’une proposition de loi (n° 669 du 3 décembre 2024) afin d’en inscrire sa définition dans le Code pénal. La Cour d’Appel de Reims organisait une journée pour définir des actions de formation continue au profit des membres du Pôle et du ressort (magistrats, avocats, éducateurs, gendarmes, etc.).
Une Notion Spécifique ?
Yvonne Muller, professeur de Droit pénal à l’Université Paris Nanterre indique que cette notion a émergé dans les années 50, tout d’abord en sociologie, puis qu’elle a été reprise par les mouvements féministes en psychologie dans les années 70. Mais ce n’est que dans les années 2015 qu’elle fait son apparition dans la législation des pays anglo-saxons et en 2020, en France. La question aujourd’hui est : « Doit-on en faire une notion d’incrimination spécifique ? »
« Certains défendent l’incrimination, à l’image de ce que l’on a dans le droit anglo-saxon, d’autres veulent en faire un caractère d’aggravation, d’autres encore ne veulent pas que cette notion soit inscrite dans le droit pénal », détaille Yvonne Muller, démontrant ainsi un véritable débat au sein de la profession. « Le contrôle coercitif s’inscrit dans le cadre global de la lutte contre les violences intra-familiales », souligne pour sa part Émilie Chandler, avocate et députée de la 1re circonscription du Val d’Oise, co-rapporteuse du rapport parlementaire « Plan Rouge vif ».
« L’inscrire dans les textes, c’est consacrer la notion. » Pour la Procureure générale de Reims, Dominique Laurens, « le contrôle coercitif est un ensemble de comportements qui consiste soit à nier, restreindre ou annihiler les libertés. C’est une violence intrafamiliale qui repose sur une stratégie globale de l’auteur qui va déployer un ensemble d’actes qui peuvent être des violences de gravité variable, par exemple, des violences physiques, sexuelles, psychologiques, économiques et / ou administratives ».
Donner Un Cadre
Bertrand Duez, Président de chambre à la Cour d’Appel de Reims, insiste : « La protection du foyer se fait bien sûr par le pénal mais aussi par le droit civil, et c’est ça l’intérêt des Pôles Familles. Il y a une importance de coordonner ce que l’on fait. Si on traite bien les affaires familiales, on désengorge le contentieux pénal. »
Inscrire la notion, c’est surtout lui donner un cadre, une limite. « Si c’est cadré, il y aura une appréciation des juges pénaux pour éventuellement punir. Il y aura également un cadre beaucoup plus facile au niveau des affaires familiales pour, de manière très pratique, avoir la motivation pour écarter un conjoint violent et prendre des mesures. Car tant qu’une mesure n’est pas figée dans la loi, elle est soumise à interprétation », souligne Bertrand Duez.
Changer la manière de regarder le schéma de violence est donc un enjeu primordial, aussi bien pour les professionnels du droit que pour tout l’écosystème qui entoure la problématique des affaires familiales : gendarmerie, psychologues, éducateurs spécialisés, avocats, juges. C’est à cela qu’était destinée cette journée. « Bien souvent, on parle de concept juridique avant qu’il ne soit sacralisé dans la loi. » Réponse dans la semaine avec l’examen du projet porté par Aurore Bergé, dont la partie portant sur le contrôle coercitif a dû être réécrite et retravaillée, après examen par la Commission des lois.