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La pénurie de matériaux freine l’activité

Économie. Le ministère de l’Économie et des Finances vient de relever ses prévisions de croissance de l’économie française de 6 % à 6,25 % pour 2021. Et alors que la reprise des activités post crise Covid connaît une forte progression dans tous les secteurs, celle-ci est pourtant ralentie depuis la fin du premier trimestre par la pénurie de matériaux dans de très nombreuses filières.

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Les carrières de sable et de pierres assurent encore à la France une indépendance en matières premières pour le bâtiment. DR

Si la reprise est bel et bien présente, avec des carnets de commandes qui ne désemplissent pas, notamment dans le secteur du bâtiment, pour autant, l’embellie est freinée par la hausse des prix et des difficultés d’approvisionnement. « L’impact est différent selon les secteurs et les types de produits », explique Philippe Gayet, président de la FFB de la Marne et par ailleurs à la tête de l’entreprise Gayet, spécialisée dans plusieurs métiers du bâtiment (étanchéité, couverture, électricité, génie climatique, installation sanitaires et plomberie). La pénurie et par conséquent la hausse des prix, dans le bâtiment, sont particulièrement prégnantes sur des matériaux comme le bois, le zinc, l’acier, le cuivre ou le fer.

« Pour le bois de charpente, par exemple, le contexte est tendu. En cause, à la crise du Covid et l’écroulement de la production s’est ajoutée la rupture d’accords entre les États-Unis et le Canada. Les Américains sont donc venus acheter à bas coûts en France, plus une demande du marché asiatique, ce qui a entrainé, pour le marché national, un phénomène de rareté des produits. » Idem pour les pièces électroniques, produites en Asie. « Un industriel au sein de la Fédération, qui fait notamment des chaudières, nous a expliqué que son usine tournait à 40% du volume en raison du manque de composants de pompes et de pièces électroniques », livre le président de la FFB Marne.

Des augmentations de prix substantielles

« Les hausses des prix de certaines matières premières qui étaient d’environ 5% nous paraissent aujourd’hui dérisoires quand on voit des coûts qui passent du simple au double, comme l’acier par exemple, dont le cours a doublé depuis décembre 2020. » La Capeb, dans sa dernière note de conjoncture de juillet 2021 indiquait ainsi : « Pour ce qui concerne l’augmentation des prix, ressortent plus particulièrement ceux de la menuiserie-serrurerie (86 %), de la couverture-plomberie-chauffage (81 %) et de l’aménagement-décoration-plâtrerie (80 %). Quant à la pénurie de matériaux, les métiers les plus marqués sont la maçonnerie-entreprise générale (67 %), la couverture-plomberie-chauffage (65 %) et la menuiserie-serrurerie (60 %). »

Cette situation a provoqué, pour plus de la moitié des entreprises interrogées, des retards ponctuels de chantiers, et pour près d’un quart des reports de chantiers. « L’entreprise ne peut pas, seule, apporter la réponse aux hausses de prix, il faut que cette dernière soit partagée entre tous les acteurs, chacun doit prendre sa part », souhaite Philippe Gayet. Car beaucoup de chantiers actuels ont été programmés il y a plusieurs mois, bien avant cette envolée des cours, « avec une impasse entre les prix annoncés hier et la réalité d’aujourd’hui ».

Les entreprises interrogées par la Capeb font ainsi état de difficultés pour anticiper leurs achats de matériaux afin de faire face à leurs commandes à venir : 18 % n’y sont pas du tout parvenues, 48 % y sont partiellement parvenues et seulement 34 % y sont parvenues en totalité. Ce qui n’est pas sans créer des tensions entre clients et entreprises. « Dans les appels d’offre publics, il y a souvent des clauses de révision. C’est moins le cas dans le privé : il faut discuter avec chaque maître d’ouvrage pour discuter de l’augmentation des prix. C’est aussi là qu’intervient la Fédération, dans le processus de négociation. » C’est pourquoi la FFB milite pour l’instauration de clauses de révisions dans tous les contrats, « ce qui peut d’ailleurs être aussi à l’avantage du client selon la conjoncture », tient à préciser Philippe Gayet.

Les matières comme le sable et le béton à l’abri

Concernant l’approvisionnement en matières premières dans le bâtiment, notamment les ressources minérales que sont le béton et les briques, la production française de granulats et de roche sauve une partie de l’activité des chantiers. « Aujourd’hui, il n’y a pas de pénurie dans les sables, gravats et granulats car nous sommes un secteur qui dépend très peu d’autres industrie, à part celle de l’énergie », assure Rémy Moroni, président de l’UNICEM Grand Est (fédération qui rassemble les producteurs de matériaux minéraux). « À titre d’exemple, il faut 1/2 litre de carburant pour faire une tonne de gravats. En revanche, l’augmentation des coûts de l’énergie a un impact. »

Pour autant, si la France a les ressources nécessaires avec de nombreuses carrières, l’industrie elle-même n’en n’est pas pour autant hors de danger estime le président de l’UNICEM. « Aujourd’hui, entre le dépôt d’un projet de carrière et les premières extractions, il se passe cinq ans ! Nous sommes une industrie du temps long et l’accumulation de réglementation vient bloquer notre développement. » L’objet de l’inquiétude de Rémy Moroni ? Les normes environnementales qui bloquent le développement des carrières et qui induiraient dans le futur une dépendance des matières premières venant de l’étranger avec la consommation et le coût du CO2 qui va avec… Assurant développer par ailleurs le solaire pour garantir une énergie d’extraction la plus propre possible, Rémy Moroni pointe du doigt les contradictions entre « un mille-feuille administratif et la réalité du terrain ».

« Nous avons mis en place un schéma d’activité partielle de longue durée »

Dans le secteur automobile, la situation est aussi tendue au point que certaines usines tournent actuellement au ralenti, à l’image de Carbody, entreprise « qui développe, valide et fabrique des solutions d’étanchéité (eau, air, acoustique), des butées d’ouvrants, et de pédaliers pour l’industrie automobile », précise son directeur général, Stéphane Charre. Avec trois sites en Champagne-Ardenne (Witry-lès-Reims, Rethel et Poix-Terron), employant plus de 280 personnes, les usines du groupe fonctionnent actuellement en cadence réduite, avec une à deux journées à l’arrêt.

« Nous avons mis en place un schéma d’activité partielle de longue durée », indique Stéphane Charre. Ce plan permet de bénéficier d’un soutien de l’État, en attendant une reprise pleine des lignes de production. « La pénurie ne concerne pas nos propres pièces », précise le directeur général. « Elle concerne une famille de composants électroniques particuliers produits en Asie. Par effet ricochet, les lignes de montage pour lesquelles nous fournissons des pièces s’arrêtent et nos commandes avec. »

Une demande accrue des composants électroniques

Cette pénurie de composants électroniques est causée par plusieurs raisons. Tout d’abord, l’arrêt de la production des usines durant la crise du Covid, puis la forte demande, à la reprise de l’économie, qui rapidement a vu un épuisement des stocks. « Il y a eu une hausse très importante des besoins », souligne Stéphane Charre, « mais il faut savoir que les véhicules construits aujourd’hui, et notamment les véhicules électriques, consomment énormément de ces composants ».

En outre, la reprise épidémique en Asie et plus particulièrement en Malaisie, impacte fortement toutes les industries en aval, aussi bien celles de l’automobile, mais aussi tout ce qui touche aux objets connectés, pour le travail, les loisirs ou la maison. « L’industrie automobile représente 10% des besoins en composants électroniques, ce qui ne nous place pas en tête de file pour les fournisseurs. »

Cette pénurie a ainsi des conséquences sur la stratégie des constructeurs et concessionnaires cette fois-ci, « en essayant de compenser la perte de volume par des ventes de véhicules haut-de-gamme ». Alors à quand la sortie de crise ? Pour l’instant, les professionnels des différents secteurs confessent « être dans le brouillard ». Stéphane Charre estime : « Au départ, on attendait une amélioration en septembre, puis finalement, les spécialistes tablent plutôt sur un retour à la normale fin 2022, avec une nette amélioration à la fin du premier semestre 2022. »