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La neutralité carbone à l’horizon 2050, pas sans le nucléaire

Énergie. RTE (Réseau de Transport d’Électricité) vient de rendre les conclusions de son étude prospective « Futurs énergétiques 2050 ». Elle étudie six scénarii différents afin de garantir à la France non seulement une sécurité d’approvisionnement d’énergie mais également le respect de l’ambitieux objectif « neutralité carbone » à l’horizon 2050.

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Pour arriver à la neutralité carbone en 2050, 5 des 6 scénarii élaborés par RTE prennent en compte la continuité de la production d’énergie grâce au nucléaire (ici Chooz dans les Ardennes). Trois d’entre eux, se basent sur sa forte augmentation. DR

L’enjeu est de taille. Alors que le changement climatique n’a jamais été autant d’actualité, aussi bien dans les conditions météorologiques que dans les discours et actions politiques, RTE (Réseau de transport d’électricité) vient de publier son étude prospective « Futurs énergétiques 2050 », ayant nécessité 9 groupes de travail au sein desquels 120 organisations (acteurs de l’énergie, industriels, ONG, associations environnementales, État) étaient représentées. Au final, six scénarii de production d’énergie combinant indépendance énergétique et objectif « neutralité carbone » à horizon 2050 ont été établis.

Réduire de 40% la consommation énergétique pour 2050

« La France doit simultanément faire face à deux défis : d’une part produire davantage d’électricité en remplacement du pétrole et du gaz fossile et, d’autre part renouveler les moyens de production nucléaire qui vont progressivement atteindre leur limite d’exploitation d’ici 2060. La question est alors : avec quelles technologies produire cette électricité totalement décarbonée ? Énergies renouvelables et/ou nouveau nucléaire et dans quelles proportions ? » interroge Xavier Piechaczyk, Président du Directoire de RTE. C’est sur la base de cette problématique que ce sont appuyées les 40 réunions techniques réunissant acteurs et experts de l’énergie.

L’objectif affiché est de réduire de 40% la consommation énergique de la France entre 2020 et 2050 et ainsi passer de 1 600 TWh à 930 TWh en augmentant la part d’électricité de 25 à 55% et en supprimant celle des fossiles (de 60 à 0%). « La production d’électricité décarbonée va sensiblement augmenter », insiste Thomas Veyrenc, directeur exécutif en charge du pôle stratégie, prospective et évaluation de RTE. « Un des premiers leviers est d’agir sur la consommation grâce à l’efficacité voire la sobriété énergétique. Et si la consommation d’énergie va baisser, celle de l’électricité va augmenter pour se substituer aux énergies fossiles. »

Tenir les objectifs

Avec quelle technologie produire cette électricité et dans quelle proportion ? Les scénarii, tous basés sur le mix énergétique, ont été mis sur la table : trois sans construction de nouveaux réacteurs nucléaires (M) et trois autres avec construction de nouveaux réacteurs (N). Dans les six propositions, la part des énergies renouvelables (EnR) – comprenant l’énergie hydraulique, le solaire, l’éolien terrestre, l’éolien en mer dit offshore – varie de 50 à 87%, « Construire de nouveaux réacteurs nucléaires est pertinent du point de vue économique, a fortiori quand cela permet de conserver un parc d’une quarantaine de GW en 2050 (nucléaire existant et nouveau nucléaire) », indique Thomas Veyrenc.

« Le développement des énergies renouvelables soulève un enjeu d’occupation de l’espace et de limitation des usages »

Et pour tenir les objectifs de neutralité carbone, la construction de 8 et 14 EPR supplémentaires serait nécessaire dans les scénarii “N”. Sachant que celui de Flamanville a déjà mis presque 15 ans pour voir le jour... « Les moyens de pilotage dont le système a besoin pour garantir la sécurité d’approvisionnement, sont très différents selon les scénarii, poursuit-il. Il y a un intérêt économique à accroître le pilotage de la consommation, à développer des interconnexions et du stockage hydraulique, ainsi qu’à installer des batteries pour accompagner le solaire. Au-delà, le besoin de construire de nouvelles centrales thermiques assises sur des stocks de gaz décarbonés (dont l’hydrogène) est important si la relance du nucléaire est minimale et il devient massif – donc coûteux – si l’on tend vers 100% renouvelables ».

RTE prévient : « Se passer de nouveaux réacteurs nucléaires implique des rythmes de développement des énergies renouvelables plus rapides que ceux des pays européens les plus dynamiques. »

Accélérer le déploiement des ENR

Les coûts complets annualisés des scenarii ont eux aussi été passés à la loupe : le plus élevé (80 milliards d’euros par an) concerne le scénario M1 comptant 13% de nucléaire historique et 87% d’EnR (17% éolien terrestre, 23% éolien en mer et 36% de solaire) quand le plus économique concerne le scenario N03 avec un coût de 59 milliards d’euros par an (50% de nucléaire dont 23% d’historique et 27% de nouveau, 12% d’éolien terrestre, 13% d’éolien en mer, 13% de solaire et 10% d’hydraulique). Quoi qu’il en soit, « les scénarii à très hautes parts d’énergies renouvelables, ou celui nécessitant la prolongation des réacteurs nucléaires existants au-delà de 60 ans, impliquent des paris technologiques lourds pour être au rendez-vous de la neutralité carbone en 2050 », souligne Xavier Piechaczyk.

Paris technologiques mais aussi accélération du déploiement des EnR. Et lorsque l’on sait que ceux-ci sont particulièrement clivants (comme les éoliennes, régulièrement sujets de débats non seulement locaux mais aussi nationaux), la tâche s’avère ardue. « Le développement des énergies renouvelables soulève un enjeu d’occupation de l’espace et de limitation des usages », reconnait Thomas Veyrenc. Ainsi de 8 000 mâts aujourd’hui, dont une grande majorité dans le Grand Est, (deuxième région productrice d’énergie éolienne en France), il faudrait passer entre 25 000 et 35 000 mâts selon les scénarii.

Idem pour l’occupation de surface des panneaux solaires, entre 50 000 et 250 000 hectares à horizon 2050. À court terme, l’étude prospective de RTE préconise de « développer les énergies renouvelables le plus rapidement possible, en prolongeant les réacteurs nucléaires existants dans une logique de maximisation de la production bas carbone. » Un sujet brûlant, dont les candidats à la prochaine élection présidentielle se sont déjà emparés.