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La luzerne, plante aux multiples vertus, en étude mondiale à Reims

Agriculture. Après trois éditions à l’étranger, (États-Unis, Argentine et Chine), la quatrième édition du congrès mondial de la Luzerne, se déroulera à Reims, du 3 au 6 novembre prochains. Rendez-vous international majeur de la nutrition animale, à l’invitation de la Commission Intersyndicale des Déshydrateurs Européens (CIDE), ce congrès réunira plus de 500 participants venus de 30 pays différents.

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Moissonneuse batteuse
La luzerne contient 15 à 25 % de matières azotées selon le stade et la coupe. C’est aussi une légumineuse, capable de fixer l’azote de l’air, qui se passe d’engrais minéral azoté. Elle permet ainsi des économies et améliore le bilan environnemental par rapport à d’autres cultures fourragères. (Crédits : ND)

Ce n’est pas un hasard si la quatrième édition du congrès mondial de la Luzerne se déroule en France et plus particulièrement, à Reims. En effet, si sa culture représente 350 000 hectares dans le pays (soit 1 % de la surface agricole utile) 80 % sont cultivés en Champagne, avec une filière agricole et industrielle extrêmement organisée. Deuxième pays producteur européen, derrière l’Espagne, la France produit chaque année 830 000 tonnes de luzerne déshydratée (1,3 million pour l’Espagne). « On exporte environ 50% de la production, principalement en Europe. Le reste, ce sont des productions chez les agriculteurs en autoconsommation », indique Éric Masset, Président du Comité international d’organisation et Vice-président de Luzerne de France.

Aliment de choix pour les vaches laitières

Car cette plante dont la culture a débuté en France dans les années 50 a une richesse particulière en protéines et en fibres, ce qui en fait un aliment de choix pour les animaux et surtout les vaches laitières. « Avec un pied de luzerne, on fait environ 40 produits différents, sous forme de granulés ou de balles de 300 à 400 kg. C’est d’ailleurs cette balle qui est recherchée dans le monde entier pour son côté fibreux et riche en protéines. »

La qualité d’une balle de luzerne se mesure à son taux de protéines. « Certains marchés demandent 16 %, quand d’autres veulent 18, 19, jusqu’à 24 %. En fonction du marché, notre travail, dans les coopératives de déshydratation, consiste à isoler les lots selon la qualité pour répondre à la demande. Il y a un marché pour toutes les qualités », souligne celui qui est lui-même agriculteur. Dans les grandes productions laitières, plus la vache aura de luzerne, mieux elle ruminera et sera en bonne santé. « La luzerne a vraiment son marché dans une exploitation où la vache ira peu au pâturage et sur des cheptels laitiers exigeants et performants. En Allemagne par exemple, il y a de gros élevages où les vaches ne vont pas au pâturage, et dans ce cas, la luzerne devient obligatoire pour son apport en fibres. » La production de luzerne déshydratée s’adresse ainsi aux agriculteurs qui n’ont pas assez de terres pour produire eux-mêmes du fourrage. « Le savoir-faire des usines permet d’offrir un produit d’une régularité et d’une traçabilité reconnues. »

100 % naturel, le fourrage est récolté au champ, séché au soleil pendant 24 à 48 heures puis déshydraté. C’est également une culture pérenne qui enrichit et structure le sol pendant les trois ans et demi où la luzerne reste en place sur une même parcelle « C’est aussi l’avantage du système de déshydratation : un produit homogène et de qualité, quelles que soient les conditions climatiques », fait savoir Éric Masset.

Aides de la PAC

Or si la France est le deuxième producteur de luzerne au niveau européen, elle importe environ 40 % des besoins en protéines animales. « C’est pour cela que l’Europe et la France mettent en place des dispositifs pour améliorer la production de plantes riches en protéines. Par exemple, dans la PAC, il existe une aide spécifique à l’hectare, une aide couplée, pour les plantes riches en protéines comme la luzerne, mais aussi d’autres légumineuses. » Spécificité française, les usines de luzerne sont tenues par des coopératives et donc des agriculteurs eux-mêmes. Les coopératives jouent un rôle crucial dans la structuration de filières compétitives offrant des revenus équitables aux producteurs et des solutions aux éleveurs. Côté prix, le marché de la luzerne reste très dépendant de la qualité (teneur en protéines, humidité), de la localisation et des volumes disponibles. En 2024 – 2025, les fourchettes moyennes observées en Europe pour la luzerne se situent autour de 150 à 200 € la tonne, avec des primes pour des luzernes de haute qualité ou bio pouvant atteindre des niveaux supérieurs selon les régions. « Ces niveaux de prix reflètent la variabilité des récoltes (sécheresse, excès d’humidité) et les coûts logistiques. Si on prend un prix moyen de 200 euros la tonne, cela fait 160 à 200 millions d’euros de chiffre d’affaires. C’est une petite filière, comparée à d’autres comme le soja ou le blé. Sur la surface totale cultivée en luzerne, seuls 70 000 hectares sont destinés à la luzerne déshydratée », affirme Éric Masset.

  • (Crédits : ND)
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  • Photo de Granulés d'ECL
    Granulés d’ECL (Crédits : ND)
  • Tereos Aulnay-aux-planches
    (Crédits : Michel Blossier)
  • Granulés d'ECL
  • Tereos Aulnay-aux-planches

Intérêt environnemental

Au-delà de l’alimentation animale, la luzerne a un intérêt environnemental. C’est une légumineuse, donc sans apport d’azote. « On sait combien les engrais azotés contribuent aux gaz à effet de serre. Les légumineuses permettent de réduire ces émissions. C’est un premier avantage. Tout le travail de récolte est pris en charge par la coopérative de déshydratation ou l’usine. L’agriculteur n’a plus qu’à désherber, chimiquement ou mécaniquement, et à apporter un peu d’engrais à base de potasse et de phosphate, sans azote, puisque ce n’est pas nécessaire. Nous avons aussi mis en place, dans la région et en France, des bandes de luzerne non fauchées, avec Apiluz, pour la biodiversité. C’est un des thèmes du congrès mondial : les avantages environnementaux et la réponse aux besoins sociétaux. Ces bandes non fauchées sont un gain pour les apiculteurs, qui manquent de fleurs à certaines périodes. »

Photo de Éric Masset
Éric Masset, Président du Comité international d’organisation et Vice-président de Luzerne de France au coeur d’un de ses champs de luzerne. (Crédits : ND)

Néanmoins, la culture de cette légumineuse fourragère atteint un palier en raison des importants investissements à réaliser pour monter un outil industriel de déshydratation. « On dit souvent que c’est 10 000 € de l’hectare et qu’il faut au moins 2 000 hectares. Vous arrivez tout de suite à 20 millions d’euros… » C’est pourquoi les usines de déshydratation, qui ont un coût élevé de fonctionnement, sont rentables si elles tournent une bonne partie de l’année. Elles ne font pas que de la luzerne, mais aussi de la betterave, du maïs ou encore des plaquettes forestières. L’enjeu énergétique est donc primordial pour la filière. « En 20 ans, nous avons diminué de 94 % nos émissions de CO2 en remplaçant une partie de l’énergie fossile par de la biomasse », insiste le vice-président de Luzerne de France. Durant le congrès, les enjeux environnementaux seront aussi étudiés, des émissions de carbone à l’usage de l’eau (aux États-Unis notamment, lors de la culture, par manque d’apport en eau). « La luzerne n’est pas seulement une culture, c’est un symbole de relocalisation de l’alimentation animale, de décarbonation et d’innovation. En accueillant ce congrès mondial, la France affirme son rôle moteur dans les transitions agricoles et s’impose comme un acteur de solutions pour les grands enjeux alimentaires », insiste Éric Masset.