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La luzerne, emblème de l’agro-écologie

Agriculture. Cela faisait quatre ans que le dernier symposium dédié à la Luzerne s’était tenu à Châlons-en-Champagne. Un covid, une guerre en Ukraine et une forte inflation plus tard, le troisième symposium s’est plus penché sur une réflexion des systèmes et la politique agricole européenne que sur la plante fourragère en elle-même et son exploitation.

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Photo de Faustine Bas-Defossez
Faustine Bas-Defossez, responsable Agriculture et Santé au Bureau européen de l’environnement, est venue défendre la nécessité d’un modèle où l’agro-écologie est la norme. (Crédit : ND)

Il aura presque fallu attendre la conclusion d’Éric Masset, président de la Coopération agricole de Luzerne de France pour entendre parler de luzerne, « emblème de l’agro-écologie ». Contrairement au dernier symposium qui s’était déjà déroulé à Châlons-en-Champagne, au Capitole, et où l’accent avait été mis sur les atouts de la plante, son exploitation et son avenir, cette année, l’actualité est venue rattraper l’appréhension de cette culture aux multiples avantages. Dans un contexte où les agriculteurs de plusieurs pays s’opposent à la politique agricole européenne et à l’application de la nouvelle PAC, c’était pourtant bien d’Europe dont les invités étaient venus parler.

Ainsi, Faustine Bas-Defossez, responsable Agriculture et Santé au Bureau européen de l’environnement qui a passé plus de huit années à diriger la campagne sur la PAC de l’ONG, a débuté son propos sur la mobilisation de la jeunesse en 2019, portée par une certaine Greta Thunberg pour pousser les pays du monde entier à atteindre la neutralité carbone en 2050. « Cinq ans plus tard, ce sont les agriculteurs qui sont dans la rue. Les manifestations si elles se sont mises en pause en France, continuent en revanche dans toute l’Europe qui représente un système alimentaire malade, à bout de souffle avec des agriculteurs qui s’ils en sont les premiers acteurs, en sont aussi les premières victimes », a-t-elle insisté.

La PAC, 38% du budget de l’UE

Celle qui représente le bureau européen de l’environnement (ONG fédérant 180 organisations environnementales situées dans 38 pays différents) estime que les réponses qui ont été apportées par la France pour solutionner la crise agricole, notamment avec l’arrêt du Plan Écophyto « sont court-termistes et mettront en péril les objectifs de 2050 pour tout le monde », tout comme l’arrêt de la Loi Cadre sur les systèmes alimentaires durables ou le rejet par le Parlement européen de la dérogation BCAE 8 qui devait imposer des zones non productives pour sauvegarder la biodiversité. « Plusieurs limites planétaires ont été franchies, dont celle de l’eau en 2023. La PAC n’a pas permis d’initier une transition juste, alors même que son budget est de 58 Mds€ par an et représente 33 % du budget de l’UE ».

Déplorant que le coût sur l’environnement porté par les agriculteurs ne soit pas répercuté sur le coût des produits dans les supermarchés et que le Pacte Vert actuel n’aille pas assez loin sur les systèmes alimentaires durables, Faustine Bas-Defossez s’interroge sur l’atteinte des objectifs climatiques à horizon 2050. « Il faut une politique de transition juste avec un paiement écosystémique et non pas à l’hectare », plaide-t-elle. Pour les ONG environnementales, « L’agro-écologie doit ainsi être la norme, le secteur agricole, plus diversifié, résilient et l’économie rurale se doit d’être juste, inclusive (plus de femmes dans les exploitations) et attractive pour les nouvelles générations, rejoignant l’exigence d’un revenu décent pour les agriculteurs. »

Les politiques européennes de soutien à l’agriculture se doivent donc d’investir pleinement dans la transition, car « comment arrêter les pesticides ou intrants si aucune solution en R&D n’est apportée en contrepartie », soulignait Olivier de Bohan, président du Conseil d’administration de Cristal Union, dans une intervention. Établir une nouvelle gouvernance du système alimentaire ainsi qu’établir une approche différente de la gestion des risques – préventive et non réactive – en sont, pour la responsable Agriculture et Santé au Bureau européen de l’environnement être les pré-requis.

Fabien Santini, chef d’unité adjoint, Gouvernance des marchés alimentaires au sein de la Commission Européenne est venu appuyer nombre des concepts mis en avant par Faustine Bas-Defossez tout en insistant sur les mesures déjà mises en place. « Il y a des outils règlementaires qui permettent aux agriculteurs d’être renforcés par rapport à de très gros groupes, avec comme objectif d’assurer une transparence des marchés (les plus forts ayant de meilleurs accès aux informations sur les marchés). Depuis 2021, on bénéficie d’une feuille de route avec le choix de passer d’une PAC où on vérifie la conformité, à une logique où on cherche le résultat et la performance. Pour l’UE, c’est un vrai changement, une nouvelle vision stratégique », a-t-il argué.

Défendant la nouvelle PAC 2021-2027, Fabien Santini souligne la contradiction dans laquelle elle est prise entre la sauvegarde des prix après l’augmentation de 26 % des prix de l’alimentaire sur deux ans et le fait d’assurer un revenu correct aux agriculteurs. Pour lui, l’alimentation est aujourd’hui devenue « une arme » entre les différents pays qui, de partenaires, sont devenus concurrents. « D’où l’importance des mesures autonomes commerciales pour défendre notre souveraineté, il y a au moins quatre exemples de clauses miroirs prises par la Commission européenne qui garantissent aux pays une autonomie de leurs politiques. »

Erik Orsenna en invité fil rouge

Christian Huyghe directeur scientifique Agriculture à l’Inrae, est venu pour sa part parler stockage d’azote dans les sols et expliquer qu’il en relevait d’un véritable défi agronomique mais aussi logistique et sociétal par les choix qui sont faits. « Sur 30 millions de tonnes de fertilisants, seulement cinq sont réutilisées. Le reste est mis soit dans l’eau soit dans l’air. Le but est d’en récupérer davantage en allant vers des cultures plus riches en azote. »

La luzerne en est bien sur un des premiers exemples. Invité d’honneur et fil rouge de ce troisième symposium, l’écrivain et académicien Erik Orsenna est venu éclairer de ses réflexions toutes ces problématiques en s’intéressant par exemple à la notion de productivisme : « On emploie souvent le mot productivisme comme si c’était une insulte. Mais que se passerait-il si on ne produisait pas ? Pour nourrir les Français mais aussi les autres pays. Aujourd’hui nous importons la moitié de nos fruits et légumes, c’est une maladie française car on a tout et on fait comme si on n’avait rien », s’est-il exprimé.

« L’agriculture est une des profession qui fait le plus appel à la sciences et à la technique. Or la France, patrie de Pasteur, est un des pays européen où la part réservée à la recherche est la plus faible. » Et concernant le fameux Plan EcoPhyto : « On met en pause le Plan, mais c’est l’inverse qu’il faut faire ! Il faut continuer à chercher au contraire, il faut en même temps et au même rythme, nourrir, c’est à dire produire et protéger, c’est à dire, ne pas dévaster. » Voilà qui est dit. Et qui, peut-être, mettra d’accord tout le monde.