« La Finance sert une vertu politique »
Finance. Catherine Karyotis, professeur de Finance à Neoma Business School, analyse les mesures financières et économiques prises à l’encontre de la Russie.
Quel regard portez-vous sur la réaction du monde financier au conflit déclenché par la Russie en Ukraine ?
« À quelques exceptions près, il y a une unanimité mondiale pour défendre la démocratie et cela se traduit par des sanctions économiques et financières sans précédent envers la Russie. L’intérêt collectif a été mis pour la première fois au-dessus de l’intérêt individuel, au sens étatique du terme : l’Union européenne a parlé d’une seule voix malgré quelques réticences de pays qui disposaient d’une forte proximité commerciale avec la Russie. Ces mesures touchent le cœur financier du système économique russe en interdisant toutes les transactions avec la banque centrale de Russie. La FED et la BCE ont interdit toute transaction avec leur homologue russe, empêchant alors la Russie de financer ses déficits ou ses efforts de guerre, car les banques n’ont plus accès à la banque centrale ou au système Swift. Résultat : la Russie est refermée sur elle-même, au niveau bancaire et financier ».
Quelles sont les perspectives de la Russie dans le cadre de ces mesures de rétorsion ?
« La Russie aurait créé son propre réseau de substitution à Swift et peut, en outre, se tourner vers le système chinois CIPS – China International Payments System. Aujourd’hui, la Banque centrale de Russie ne peut plus mobiliser ses réserves sur les systèmes internationaux. Elle pourrait vendre de l’or, mais encore faut-il trouver des acheteurs aujourd’hui. Enfin, il existe toujours les réserves liées aux fortunes des oligarques mais celles-ci sont gelées au niveau du système financier régulé. Il reste potentiellement l’argent caché dans les paradis fiscaux. Il est donc difficile de mesurer l’effet réel du gel de ces réserves invisibles ».
Concrètement, quelles sont les conséquences directes pour l’économie russe et pour les autres pays ?
« Les mesures citées précédemment vont assécher financièrement le pays. Les banques ne peuvent plus se refinancer auprès de leur banque centrale et la Russie n’a plus accès aux marchés de capitaux internationaux. A terme, les conséquences peuvent aller jusqu’au défaut de paiement du pays, induisant des conséquences à court et long termes pour de nombreux agents économiques russes mais aussi pour le reste du monde. Hors de Russie, on observe déjà une forte inflation qui revient et l’augmentation du coût des matières premières va la rendre durable. La situation s’apparente à la crise pétrolière des années 70… La crise énergétique et l’augmentation des coûts de production vont installer une inflation dans un temps plus long ».
Peut-on malgré tout voir du positif dans cette crise ?
« La situation peut potentiellement précipiter la décarbonation de l’économie, et permettre aux Etats et aux acteurs de l’économie d’enclencher une nouvelle dynamique pour s’affranchir de la dépendance à certaines matières ou métaux dont la Russie est parmi les premiers exportateurs mondiaux. Par ailleurs, le retrait de Russie de marques comme Mc Donalds, Starbucks ou encore Hermès et autre Renault est un signal très fort car il démontre qu’elles sont prêtes à perdre du chiffre d’affaires, des clients et des parts de marché au nom de la démocratie et des Droits de l’Homme. Dans ce cas, la Finance sert une vertu politique. C’est ce qu’il fallait faire, j’en suis intimement convaincue ».