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La Banque de France expose les perspectives de la sortie de crise

Conjoncture. Ils auraient pu dire « Vive la crise », mais au-delà du versant électrochoc positif pour le redressement de l’économie, nationale et régionale, Louis Retornaz et Nicolas Rességuier n’ont pas omis d’alerter l’assistance quant aux aléas de l’avenir. Une leçon de lucidité sur les jours heureux à venir.

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Louis Retornaz Directeur Marne de la Banque de France : "La nécessité d’un accompagnement ciblé pour les entreprises les plus touchées par la crise". Gérard Delenclos

En prélude à cette double conférence de la Banque de France, Louis Retornaz, Directeur départemental de la Marne fait le point sur la situation économique de cette rentrée 2021-2022, et notamment sur la conjoncture internationale et nationale. La richesse actuellement produite ne serait plus qu’à un demi-point de son niveau d’avant-crise. La progression du PIB de la zone euro est de 5 points en 2021, après une chute de 6,5% en 2020 et une perspective de + 4,6% en 2022. La France avait reculé de 8% en 2020, elle affiche +5,8% et prévoit entre + 4,2% et +3,7% en 2022, en léger retrait par rapport à la zone euro (+4,6%).

Une entreprise industrielle sur deux en manque d’approvisionnement

En ce mois de septembre, les entrepreneurs français jugent leur niveau d’activité aux environs de 95% par rapport à la situation « normale ». C’est le cas dans l’industrie comme dans les services marchands et beaucoup moins pour l’hébergement (78%), la restauration (80%) ou le secteur de la location, automobile et matériel (79%). L’actualité est aux difficultés d’approvisionnement qui touchent avec plus ou moins d’intensité la quasi-totalité des secteurs : 86% pour l’automobile, 76% pour les équipements électriques, 72% pour le machinisme, 60% pour le bois, papier et imprimerie et un total de 51% pour l’ensemble de l’industrie française. La situation dans le bâtiment s’aggrave aussi rapidement depuis la reprise du mois de mai.

Un retour à la normale annoncé pour 2023

Au constat de l’INSEE, 2019-2020, s’ajoutent les projections de la Banque de France 2021-2023 pour dresser un tableau complet des grands indicateurs économiques nationaux. Le PIB devrait progresser de 1,9% en 2023, contre 1,8% en 2019, retrouvant ainsi son niveau jugé normal. L’investissement connaît cette année une phase de rattrapage (+12,9%) et ne devrait progresser que de 2,3% en 2023, un niveau inférieur à celui de 2019 (+3,4%). La consommation des ménages, après une chute de 7,2% en 2020, devrait gagner 4,3% en 2021 et 6,5% en 2022, avant de revenir à une progression légèrement inférieure à 2%.

« Seuls les états ont la capacité d’endettement nécessaire pour préserver les entreprises et les ménages »

Etat providentiel ou pas, jamais durant la crise le pouvoir d’achat moyen des Français n’a cessé de progresser : +2,3% en 2019, +0,2% en 2020, +1,4% en 2021 et la Banque de France le voit encore s’amplifier (+0,4% en 2022 et +1,1% en 2023). Quant au chômage, objet de mille précautions, il s’installe, constat et prévision combinés aux alentours de 8% entre 2019 et 2023. Problème de formation, de niveau de salaires ou d’inadéquation de l’offre et de la demande, une entreprise sur deux éprouve des difficultés de recrutement. Entre mai et août 2021, la situation s’est aggravée.

Nicolas Rességuier, Direction de l’éducation financière Banque de France : "Le double frein de la dette publique et de la dette des entreprises". Gérard Delenclos

Le manque de main-d’oeuvre touche 50% des entreprises contre 37%, trois mois auparavant. La progression du besoin et de 16% dans les services marchands, 12% dans l’industrie et 8% dans le bâtiment. De ce panorama national, Louis Retornaz retient quatre idées majeures pour 2021 : « Une forte reprise qui s’accélère, une reprise qui se joue du côté de l’offre, un pic d’inflation temporaire en 2021 et un nécessaire accompagnement ciblé des entreprises dans les secteurs très touchés par la crise ».

Une conjoncture régionale entre baisse d’activité et maintien des effectifs

En cela, la région diffère peu du constat national de sortie de crise. L’activité, autrement dit le chiffre d’affaires des entreprises, a baissé entre 2019 et 2020 de 11% dans l’industrie, de près de 7% dans les services, de 6% dans la construction et de 1,5% dans le commerce. Si les effectifs ont cédé 1,4% dans l’industrie, ils gagnent 1,5% dans la construction, 0,7% dans les services et 0,4% dans le commerce. Entre 2019 et 2020, les entreprises régionales ont plutôt investi et se sont pratiquement toutes plus endettées.

L’investissement a progressé dans l’industrie, les services et la construction. Elle recule dans le commerce. La progression de l’endettement concerne la construction (+19%), les services (+7,5%), le commerce (+4,4%) et l’industrie (+2,6%). Les taux de trésorerie des entreprises augmentent dans tous les secteurs d’activité.

Proportionnellement moins de PGE dans la Marne qu’en région

Les entreprises de la Marne sont proportionnellement moins nombreuses à avoir recouru au Prêt Garanti par l’Etat. À fin mars 2021, leur encours bancaire n’affiche qu’une très légère progression sur douze mois. Dans les grandes lignes, 685 000 entreprises françaises ont bénéficié du PGE pour un montant global de 139,3 Mds€. Elles sont 47 500 dans le Grand Est (7%) pour un montant de 8,2 Mds€ (5,9%).

Les montants des PGE dans le Grand Est sont inférieurs à ceux de la moyenne nationale. 5 326 entreprises marnaises ont contracté un PGE, soit 11,2 % des entreprises régionales ayant bénéficié du dispositif. Le montant total engagé est de 1,1 Md€, soit 13,4% de celui du Grand Est. Les intentions de remboursement d’ici à fin 2021 de la part des entreprises régionales se situent entre 75 et 80%.

Le scepticisme de l’hébergement et de la restauration

L’industrie est passé d’un taux d’activité de 40 à 90% entre avril 2020 et septembre 2021. Dans cet intervalle, les stocks des entreprises ont été pratiquement maintenus. Les carnets de commandes avaient chuté de 80% entre août 2019 et août 2020, ils progressent aujourd’hui de 40%. L’utilisation des capacités de production est passée de 80% en 2019 à 40% en 2020. La Banque de France constate que les chefs d’entreprise misant sur une hausse d’activité sont beaucoup plus nombreux (+11%) que ceux qui envisagent une hausse des effectifs (+1%).

53% d’entre ces derniers estiment une stabilité de leurs affaires et 31% une amélioration. Enfin, dans le secteur des services, en baisse globale de 40% en 2020 et de 75% pour l’hébergement et la restauration, les entrepreneurs espèrent retrouver un niveau de 95 à 100% de leur activité de 2019. Les hôteliers et les restaurateurs se contenteraient de 80%.

Les États et l’Europe au rendez-vous de l’après-crise

Les impacts, les enjeux et la réactivité, Nicolas Rességuier, Directeur de l’éducation financière à la Banque de France, élabore en trois temps sa vision des conséquences économiques de la crise. Sur les impacts, il relève le choc de l’offre, une économie quasiment à l’arrêt, et le choc de la demande, une consommation freinée, avec cette précision : une agriculture et des produits agroalimentaires peu impactés, l’industrie et la construction modérément touchées et le naufrage des services, tourisme, restauration, hébergement, culture… Evoquant les réactions, Nicolas Rességuier note : « Seuls les états ont la capacité d’endettement nécessaire pour préserver les entreprises et les ménages ».

Dans sa démonstration, il évoque les subventions des salaires et des entreprises, les allocations sociales, les garanties d’Etat pour les prêts bancaires et les reports d’impôts, sans oublier les 750 Mds€ d’emprunt commun à l’Union Européenne, la Banque Européenne d’Investissement, les Fonds Européens pour les dépenses de santé ou encore les 1 310 Mds€ pour les entreprises et les ménages ou les 1 850 Mds€ pour les grandes entreprises et les états de l’UE, émis par la Banque Centrale Européenne. Les défis pour l’avenir ne manquent pas.

Du niveau national au niveau international, Nicolas Rességuier cite le défaut de remboursement des entreprises, le maintien artificiel des entreprises zombies, le trop plein de dettes frein aux investissements, la nécessité d’orienter l’épargne vers les entreprises et le poids de la dette publique générationnelle, près de 20% au-dessus du PIB français.