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L’économie post-covid vue par Jean Tirole

Conférence. En visite à Troyes, le prix Nobel d’économie dresse un état des lieux lucide des conséquences de la crise sanitaire sur les politiques économiques.

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Jean Tirole, Troyen et prix Nobel d’économie. Laurent Locurcio

À l’initiative du bailleur aubois Mon Logis, Jean Tirole est intervenu à l’Université de Technologie de Troyes pour une conférence sur le thème de l’économie post-covid. « En tant qu’économiste, il est de notre responsabilité de dire ce qui ne va pas », annonce en préambule le prix Nobel d’économie, spécialiste reconnu des régulations économiques. Il l’a d’ailleurs fait en juin dernier, dans un rapport réalisé avec Olivier Blanchard qui a été remis à Emmanuel Macron. Une « boîte à idées », pour le président de la République dans laquelle les sujets qui fâchent étaient abordés.

« En France nous avons un déficit d’innovation qui risque de nous coûter cher à terme »

« C’est ce que nous appelons des bombes à retardement parce qu’ils traitent des problématiques à plus long terme trop longtemps négligées », précise l’économiste. Parmi ces thèmes dont les pouvoirs publics devraient se saisir d’urgence figurent le climat, le vieillissement des populations avec la problématique des retraites, les inégalités sociales, l’éducation et la formation ou encore l’innovation. Sur ce dernier point, Jean Tirole regrette que la France, et plus généralement l’Europe, soient à la traîne. « Parmi les vingt premières entreprises mondiales, 11 sont américaines et 9 chinoises. Et sur les 50 plus grosses start-up mondiales, deux seulement sont européennes et plus précisément suédoise et estonienne », fait-il remarquer.

Il y a encore du chemin pour que la France devienne une véritable « start-up nation ». « Ce qui est encore plus regrettable c’est le fait que la France forme des grands talents qui partent tous à l’étranger, il faut s’interroger sur ce point », indique Jean Tirole en faisant remarquer au passage qu’il est le seul prix Nobel à vivre en Europe. En effet, depuis plus de vingt ans, tous les lauréats du prix Nobel d’économie, à l’exception de Jean Tirole, appartenait à des universités américaines. Parmi eux plusieurs économistes européens ayant choisi de faire carrière aux États-Unis. Il en va de même dans d’autres domaines comme la médecine ou encore l’informatique.

Innover davantage

« En France nous avons un déficit d’innovation qui risque de nous coûter cher à terme », prévient Jean Tirole. Pour innover, il faut des entrepreneurs qui osent. « Une start-up, c’est aussi fait pour échouer car il faut prendre des risques lorsqu’on vise des marchés de rupture technologique », souligne-t-il. Ce n’est pas forcément dans la culture française, où les start-up n’ont pas le droit à l’échec et ont tendance à prendre moins de risques.

« C’est d’ailleurs si vrai qu’en France on ne sait pas arrêter un projet quand on se rend compte qu’il ne marche pas », constate-t-il. Dans la gestion de l’impact économique de la crise du Covid, le « quoi qu’il en coûte » a permis d’éviter le pire. En même temps, l’État étant à la manoeuvre, une certaine tendance interventionniste s’est dessinée sur le terrain économique.

« On le constate notamment pour la promotion de technologies ou encore la politique de relance industrielle, mais il faut savoir s’imposer des limites pour ne pas devenir trop dirigiste et se méfier encore du poids des lobbies », analyse l’économiste-chercheur. Effet induit par la crise sanitaire et la fermeture des frontières, certains pays cèdent même aux sirène du protectionnisme économique. « Il faut s’en méfier car cela signifie aussi un frein des exportations », fait-il remarquer. Une solution serait de se tourner vers l’échelon européen, par exemple en définissant une politique industrielle au niveau de l’Europe.