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« Il n’y a pas d’agriculture sans agricultrices »

Agriculture. En Visite au Village by CA, à Bezannes, Aurore Bergé, ministre de l’égalité entre les hommes et les femmes et de la lutte contre les discriminations, a profité d’une table ronde pour rappeler l’importance des femmes dans le milieu agricole.

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Photo de la visite d'Aurore Bergé
Après s’être rendue au Village by CA, à Bezannes, Aurore Bergé était conviée à visiter les caves Vranken-Pommery avant de participer au dîner de gala de la Chambre d’agriculture. (Crédit : MM)

« L’agriculture se conjugue toujours au féminin », souligne la Ministre chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations, Aurore Bergé. Lors de sa visite à Reims le 15 mai, elle a pris part à une table ronde au Village by CA, centrée sur le rôle des femmes dans le monde agricole, soulignant le manque de reconnaissance historique des agricultrices, illustré notamment par l’absence du terme « agricultrice » dans le dictionnaire jusqu’en 1961 et le manque de statut jusqu’en 1999. « Il a ensuite fallu attendre presque 20 ans encore, pour que les femmes agricultrices voient la durée d’indemnisation de leur congé maternité s’allonger de 2 à 8 semaines. Il est aujourd’hui impératif d’accorder aux femmes les mêmes droits qu’aux hommes dans ce domaine, c’est une nécessité de droit commun mais aussi de survie pour assurer la pérennité du secteur face au départ à la retraite dans les dix prochaines années de 50% des exploitants. Il faut préparer ce renouvellement », explique Aurore Bergé.

En effet, certaines évolutions sont encore à prévoir pour en arriver là. Aujourd’hui, seulement 25% des chefs d’exploitations sont des femmes. Bien que 96% des femmes interrogées considèrent l’agriculture comme une passion, 66% estiment qu’il est plus difficile pour elles que pour les hommes d’évoluer dans ce domaine, selon une enquête de la MSA. Il y a toutefois une évolution positive à souligner : 50% des enseignants dans les études supérieures sont des femmes, témoignant de l’intérêt croissant des jeunes femmes pour ce secteur. Les chiffres sont également plus encourageants dans le département viticole de la Marne, où 35% des exploitants sont des femmes et où 1 400 nouvelles gérantes ont pris leurs fonctions depuis 2010.

« Ces chiffres sont sûrement dus aux différentes guerres qui se sont déroulées sur notre territoire. Les femmes ont dû assumer le rôle des hommes partis au combat pour maintenir les exploitations en activité et subvenir aux besoins alimentaires », suppose Séverine Couvreur, Présidente de la Mission Coteaux, Maisons et Caves de Champagne.

Lutter contre les stéréotypes

« L’accès des femmes à l’agriculture se joue dès le premier âge pour les enfants. Il faut montrer aux petites filles qu’elles peuvent poursuivre leurs aspirations sans entraves, sans se mettre de barrières dans leur choix de carrière », souligne la Ministre. Cependant, le second frein pour les femmes se trouve également dans les traditions familiales qui perpétuent souvent la transmission des exploitations exclusivement de père en fils, laissant peu de place aux filles.

« Beaucoup de femmes se sentent coincées. Elles doivent constamment faire face aux attentes sociales qui les poussent à prouver leur compétence et leur légitimité. Je pense également que la solution repose dans l’éducation. Il faut apprendre aux petites filles que ce métier ne leur est pas interdit, poursuit Séverine Couvreur, malgré leur contribution essentielle, beaucoup de femmes se sentent reléguées au simple rôle d’aide pour leur mari, alors qu’elles sont bien plus que cela. »

Gabrielle Dufour, Responsable Communication du groupe Agridées, lieu de débats et d’expertises qui réunit les acteurs des secteurs agricoles, agroalimentaires et agro-industriels, met en évidence un aspect crucial de la perception générale : « Un rapport sur le sexisme a montré que 30% des hommes considéraient que pour être un bon chef d’entreprise, il fallait être un homme. Or, dans ce combat, nous avons besoin des hommes. Il faut faire évoluer ces mentalités pour permettre aux femmes de s’épanouir pleinement dans leur carrière agricole. Malgré les progrès réalisés, les stéréotypes de genre restent profondément enracinés et nécessitent un effort collectif pour être éradiqués. »

Des discriminations encore présentes

Un consensus émergée néanmoins : le matériel agricole actuel ne convient pas aux femmes, constituant ainsi un obstacle physique. « Il faut repenser nos outils pour que nous puissions nous en servir simplement. C’est essentiel autant pour nous que pour les hommes. Les femmes ont tout autant la capacité d’acquérir les connaissances et compétences nécessaires que les hommes », explique Béatrice Moreau, Vice-Présidente du Grand-Est et agricultrice. « D’autant plus que de plus en plus de petites filles sont attirées par ce milieu, notamment par l’œnologie », ajoute Séverine Couvreur.

Photo d'Aurore Bergé et Séverine Couvreur
Aurore Bergé, Ministre de l’égalité entre les hommes et les femmes et de la lutte contre les discriminations et Séverine Couvreur, Présidente de la Mission Coteaux, Maisons et Caves de Champagne (Crédit : MM)

Lorsque la discussion se tourne vers les améliorations à apporter, Béatrice Moreau met en avant deux points clés à revoir en profondeur : l’accès des femmes agricultrices aux prêts bancaires, « souvent entravé par des discriminations persistantes », et la perception du cédant, « qui doit reconnaître que céder son exploitation à une femme n’est pas synonyme de risque mais plutôt d’opportunité ». De leurs côtés, Séverine Couvreur et Gabrielle Dufour estiment que le développement de la communication, notamment dans les établissements d’enseignement agricole, ainsi que la mise en avant de modèles féminins grâce à des témoignages, sont des leviers efficaces pour répondre aux besoins de diversité et de transversalité tout en combattant les stéréotypes. « L’auto-censure des femmes n’est pas le problème, il existe encore de nombreuses inégalités pour les femmes dans le domaine de l’agriculture, il faut y remédier (voir encadré) », souligne Aurore Bergé.