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IA et travail : un nouveau monde à inventer

Emploi. L’Intelligence Artificielle va redessiner la notion même de travail. C’est donc un nouveau monde de l’emploi qu’il faut inventer, entre éthique et responsabilité(s).

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Photo de Jérémy Lamri, Marie Coiffier, Bruno Lestingi, Jermouna Ahmed-Malek et Thierry Rouchon
De gauche à droite et devant Jérémy Lamri (tee-shirt noir), conférencier, l’équipe de l’Apec : Marie Coiffier, Bruno Lestingi, Jermouna Ahmed-Malek et Thierry Rouchon. (Crédit : JR)

Même confortablement assis, il ne fallait pas être sujet au vertige pour écouter Jérémy Lamri [1] , invité par l’Apec à envisager le rôle de l’Intelligence Artificielle (que l’on désignera ici par son petit nom d’IA) dans la transformation du travail.

L’IA est définie par Jérémy Lamri comme « une technologie qui vise à reproduire la manière d’apprendre, de réfléchir et d’interagir d’un être humain ». À ce titre, aujourd’hui, tous les ‘‘mondes du langage’’ répondent au test de Turing (dont on rappellera qu’il s’agit d’une proposition de test d’intelligence artificielle formulée par Alan Turing en 1950, et fondée sur la faculté d’une machine à imiter la conversation humaine). La très prochaine étape, selon Jérémy Lamri, va voir l’IA générale devenir supérieure à l’être humain à tout point de vue, quand bien même l’IA n’est pas humaine’ « Est-on prêt à devenir obsolète ? » s’interroge le chercheur, pour qui « le vrai danger de l’IA n’est pas qu’elle nous remplace mais que nous devenions intellectuellement dépendant de l’IA. Si on utilise l’IA pour gagner du temps, on ne sert plus à rien ! ».

Selon le passionnant conférencier, c’est une période vertigineuse qui s’ouvre en matière de capacité de croissance de l’IA. D’ici 20 à 30 ans, 80 % de la population pourrait se retrouver sans travail. Pour autant, aucune entreprise, aucun Etat n’a intérêt à une telle situation. Exemple : cela fait une dizaine d’années que les caissières des grands magasins pourraient être totalement remplacées par la machine. Pourtant, il y en a toujours (moins, certes), pour conserver de l’emploi, des revenus (qui permettent de consommer, donc de faire tourner l’économie), voire un contact humain avec une partie de la clientèle… Ce n’est donc pas parce que la technologie peut le faire qu’il y a intérêt à le faire.

Vers un secteur quaternaire

Actuellement, 50 % de la population travaille dans le secteur tertiaire (les services)… qui n’existait pas en 1950, à l’apparition de l’informatique. Or, l’IA, va changer le schéma d’organisation du travail. On se dirige vers la semaine de 4 jours, « plutôt une semaine de 5 jours effectuée en 4 jours, selon Jérémy Lamri, le 4e jour étant consacré à la veille et à l’apprentissage pour s’adapter en permanence. »

À terme, il pourrait même s’agir d’une semaine de deux, voire un jour et demi de travail effectif, grâce aux outils technologiques.) Dès lors, le 5e jour − ou plus − pourrait être consacré à une activité du nouveau ‘‘secteur quaternaire’’, comprenant l’éducation, la santé, l’action sociale, l’écologie… aujourd’hui mal reconnu et mal valorisé car ne constituant pas un modèle économique rentable. « Mais si les secteurs primaire, secondaire et tertiaire sont remplacés par l’IA, on déplace la création de valeur socio-économique », explique Jérémy Lamri.

La question que l’IA oblige à se poser, c’est celle de l’utilité de chacun d’entre de nous en termes de production économique. En conséquence, « l’entreprise doit dynamiser son organisation (entreprise à mission, entreprise contributive, B Corp), repenser son impact. Pour ‘‘faire société’’ demain, il va falloir repenser ce que travailler veut dire. » Voilà la responsabilité des dirigeants d’entreprise, des responsables de ressources humaines : imaginer ce que pourra faire l’IA, et comment réagir. Jérémy Lamri fournit même quatre pistes de compétences à développer en la matière : créativité, esprit critique, collaboration, communication. On pourrait y ajouter la pratique de quelques exercices pour lutter contre le vertige…

[1Docteur en psychologie, Jérémy Lamri a étudié la physique à Oxford et la stratégie à HEC Paris. Entrepreneur et chercheur spécialisé dans le développement de l’employabilité et du potentiel humain, auteur de nombreux ouvrages et conférencier sur le futur du travail et des organisations, il est professeur affilié à Sciences Po Paris.