Hausse des cours : déjà de lourdes conséquences
Économie. L’invasion de l’Ukraine par la Russie a entraîné une hausse de l’énergie ainsi que des cours des matières premières, pourtant déjà très élevés en 2021. Les secteurs de l’agriculture et de l’industrie en sont fortement impactés, aussi bien au niveau de leur production, de leur approvisionnement que dans la livraison de leurs clients.
Pour le secteur agricole, la hausse des prix de l’énergie a un fort impact auprès des producteurs et éleveurs, notamment en ce qui concerne l’augmentation du prix du gasoil. « Nous constatons des problèmes de livraisons dans les exploitations agricoles ce qui n’est pas sans poser de problème dans la mesure où nous sommes en période de semis. Nous demandons une priorité là-dessus, car ce sont les récoltes de demain qui sont en jeu », alerte Hervé Lapie, président de la FDSEA 51. « Il y a quelques semaines, pour les GNV, nous étions en dessous de l’euro et là, nous sommes passés à 1,50€ le litre. » Les coûts de l’énergie représentent en effet des charges conséquentes dans les exploitations, tout comme celui des matières premières. Et là, ce sont plus particulièrement les éleveurs qui vont être concernés, avec l’envol des cours du blé, nécessaire pour nourrir les bêtes et qui ont augmenté de 70% depuis le début de l’année.
Les stocks de la Russie et de l’Ukraine (4e exportateur mondial en 2021 avec 24 millions de tonnes de blé), sont en effet bloqués au niveau des ports maritimes. Et même si la France a une certaine indépendance au niveau des céréales, il n’empêche, elle importe aussi des céréales venant d’autres pays. « Il n’y a pas de pénurie de blé en France, la récolte 2021 a été bonne, mais si la situation dure, cela risque d’être tendu. Les tourteaux de colza, de tournesol aussi, augmentent sérieusement, ils ont pris 20% et derrière, il va bien falloir répercuter les prix », annonce Hervé Lapie. Au final, est-ce le consommateur qui va payer l’addition ? « Il faut un débat avec les GMS, est-ce qu’elles sont prêtes elles aussi à revoir leurs marges, pour éviter une trop forte inflation ? » s’interroge le président de la FDSEA 51. Quid de la récolte 2022 ?
« Les semis 2022 ont déjà été faits, il faudra voir ensuite si les conditions climatiques sont au rendez-vous, mais nous sommes très attentifs aux mois qui vont suivre, en veillant aux augmentations de coût l’azote notamment. » Car si les importations de blé sont bloquées, la France pourrait être un des pays producteurs vers lesquels se tourneraient les pays aux fortes importations comme l’Égypte, plus gros acheteur de blé mondial ou les pays du Maghreb. « L’Union européenne nous impose 4% de terres en jachère, mais est-ce vraiment judicieux dans un contexte comme celui-ci où chaque hectare cultivé compte, surtout dans un climat tempéré comme le nôtre », relève Hervé Lapie, affirmant être en discussion avec le gouvernement à ce sujet. Attentif, le Président de la FDSEA insiste sur l’importance de ne pas « sacrifier des filières au détriment d’autres. »
La hausse de l’énergie dramatique pour l’industrie
« Nous sommes très impactés par le coût des matières premières et
de l’énergie qui n’arrête pas de grimper », fait savoir Lionel Vuibert, délégué général de l’UIMM Champagne-Ardenne. « Certaines fonderies ont, pour un chiffre d’affaires de 5 millions d’euros, des coûts qui en une année, sont passés de 300 000 à 500 000 euros ! C’est considérable. Il y a des entreprises qui avaient des contrats garantis, mais pour les autres, l’addition est salée ! » D’autant que le secteur de l’industrie est déjà impacté depuis plusieurs mois par une pénurie de matériaux avec la reprise en flèche de l’activité économique post-covid.
« Le paradoxe est que nous avons des carnets de commandes qui sont pleins et l’avenir est conditionné à la capacité des entreprises à encaisser ces hausses de coûts »
« Il y avait déjà une forte pénurie de matériaux, dont les métaux, avec l’arrêt des usines de production et des exportations pendant les confinements successifs. Là, on se retrouve avec des fonderies qui ne peuvent pas avoir de matières premières. Pour certaines, 20 à 30% de leur fonte provient de Russie », précise Lionel Vuibert. C’est notamment le cas de La Fonte Ardennaise, « premier fondeur européen indépendant de sous-traitance », aux 1 300 salariés.
« Si presque un tiers de nos fontes viennent de Russie, nous avons toujours eu à cœur de diversifier les origines de nos approvisionnements. Quand la guerre a éclaté, nous nous sommes tournés vers nos fournisseurs en Amérique du Sud », indique Arnaud Bernier, Directeur général de LFA. « Aujourd’hui, ce n’est pas tant l’approvisionnement qui pose problème mais plutôt le coût et l’explosion des prix, dont nous pensions avoir atteint le plateau haut en 2021, après des augmentions de 80 à 100%. » Quant au coût de l’énergie, il a tout simplement doublé, atteignant plusieurs millions d’euros. Néanmoins, la nature des contrats est réalisée sur un mécanisme d’indexation des prix par rapport aux cours d’achat, « aussi bien à la hausse qu’à la baisse », précise Arnaud Bernier.
Transformation et mix énergétique
Les industries doivent donc trouver des alternatives et de nouveaux canaux d’approvisionnement pour pouvoir continuer à honorer leurs commandes. « Trouver de l’inox ou du nickel, cela reste très compliqué en ce moment, avec comme conséquence de ne pas pouvoir livrer certains clients ou d’allonger considérablement les délais », explique le délégué général de l’UIMM. Tous les secteurs de la métallurgie sont touchés, de la fonderie, à la chaudronnerie, en passant par la création de pièces pour l’automobile par exemple. Conséquence directe, celle de la hausse des prix.
« Le paradoxe est que nous avons des carnets de commandes qui sont pleins et l’avenir est conditionné à la capacité des entreprises à encaisser ces hausses de coûts », livre le directeur général de La Fonte Ardennaise. Aux hausses des coûts de production, il faut aussi ajouter structurellement le manque de main d’œuvre, pesant aussi sur les cadences et l’organisation des entreprises. La hausse des prix ne se fait d’ailleurs pas uniquement sur l’énergie ou les matières premières mais aussi sur tout le reste : emballage, produits liés aux cours du pétrole avec les huiles, transports avec les coûts de l’essence actuellement à plus de 2 euros le litre…
Toutes ces problématiques vont-elles entraîner une transformation accélérée des modes d’approvisionnement en énergie des industries ? Certaines comme Luzéal, ont déjà enclenché leur mutation avec le recours à la biomasse, mais pour les industries « traditionnelles », la manœuvre semble plus compliquée : « Dans une industrie, le besoin en énergie est non seulement continu mais également intense. Les industriels seuls, ne peuvent modifier leurs outils de production, cela doit se jouer au niveau de l’État avec des aides à la transformation et l’instauration d’un mix énergétique au bon coût et avec des process plus verts. » Dans le même temps, les industries récupèrent aussi la chaleur fatale, afin de la réinjecter dans les réseaux de chaleur urbains par exemple, comme le fait l’usine Stellantis avec Dalkia dans la ville de Charleville-Mézières.