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Frédéric Visnovsky : « L’anticipation est l’élément-clé »

Conjoncture. Le médiateur national du crédit de la Banque de France est l’auteur d’un rapport sur l’amélioration des dispositifs existants en matière d’accompagnement des difficultés des entreprises.

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Photo de Frédéric Visnovsky
Frédéric Visnovsky est le médiateur national du crédit de la Banque de France. (Crédits : BB)

Même dans un contexte économique pour le moins compliqué et imprévisible, le chef d’entreprise dispose de clés pouvant lui permettre d’éviter de laisser les premières difficultés mettre en péril son activité toute entière. Avec un maître-mot, celui de l’anticipation. C’est le message porté par la CPME qui a organisé, en partenariat avec la Banque de France, une soirée dédiée à cette thématique : « Avant d’avoir à gérer des difficultés, comment les anticiper ? ». Un sujet aussi vaste que vital pour les entreprises, et pourtant trop souvent sous-estimé.

« Il y a un permis de conduire, il y a un permis de chasse mais il y n’a pas de permis d’entreprendre », regrette Frédéric Visnovsky, médiateur national du crédit de la Banque de France. « C’est positif dans le sens où ça a permis la création de plus d’un million d’entreprises chaque année depuis quatre ans, mais en revanche ces chefs d’entreprise n’ont pas forcément la capacité de gérer leur activité. D’où l’importance des outils et des différentes structures d’accompagnement ».

Si les difficultés sont de nature très diverses - opérationnelles (perte d’un client, retard de livraison, problème sur une machine), réglementaires, sociales ou financières - elles sont souvent accompagnées de signaux que le chef d’entreprise doit savoir identifier pour pouvoir réagir au plus vite : évolution des ventes, respect des délais de livraison, engagements disproportionnés par rapport à la rentabilité…

« Aujourd’hui, 20% des TPE ont des capitaux propres négatifs et 10% des PME ont des capitaux propres négatifs, nous avons donc une masse d’entreprises qui sont en situation de fragilité », souligne le médiateur. « Les délais de paiement doivent être un indicateur : sur l’année 2024 on a une dégradation de plus d’un jour des retards de paiement qui étaient déjà très élevés. Ces retards proviennent essentiellement d’ailleurs des plus petites entreprises ce qui est le signe d’une tension sur leur trésorerie ».

Pilotage et accompagnement

De nombreux outils existent pour effectuer des diagnostics. La Banque de France propose notamment un diagnostic financier, Opale, et d’autres produits sont disponibles comme, par exemple ,le Diag express des Chambres de Métiers ou « Comment va ma boîte ? » des Chambres de Commerce.

Mais pour le médiateur national du crédit, rien ne remplace l’anticipation. « L’anticipation est l’élément-clé », souligne-t-il. « La difficulté apparaît le jour où on crée l’entreprise parce qu’elle va forcément connaître des hauts et des bas. Le chef d’entreprise doit donc y être préparé, et ensuite, il faut des outils de pilotage et savoir se faire accompagner. Les entreprises qui se font accompagner dès la création ont un taux de pérennité supérieur par rapport à celles qui ne qui ne le sont pas ».

Pour Etienne Le Du, président du Tribunal de Commerce de Reims, ce sont aujourd’hui les plus petites entreprises qui sont les plus exposées : « En 2024, l’activité du tribunal c’était 335 procédures et 879 salariés concernés. Ce qui veut dire que par dossier d’ouverture de procédure, on a 2,62 salariés concernés ». Et pour ces entreprises comme pour les autres, c’est l’anticipation qui fait toute la différence en matière de résolution des difficultés : « L’idée c’est d’arriver à convaincre les chefs d’entreprise de ne pas venir trop tard de sorte à pouvoir éventuellement leur proposer les procédures dont nous disposons. Nous avons mis en place récemment des permanences pour la prévention des difficultés des entreprises. Lorsque les chefs d’entreprise nous demandent des rendez-vous, ils peuvent le faire par le canal de Reims Commerce et nous les recevons dans des locaux mis à notre disposition de façon totalement confidentielle, totalement gratuite ».

Prendre du recul

Une anticipation nécessaire, d’autant que dans certains cas, l’immobilisme rend l’issue inéluctable : « Il faut bien avoir le courage de dire que de toute façon, quand la situation devient délicate, soit le chef d’entreprise va venir tout seul au tribunal soit il va s’y retrouver contraint parce qu’il sera assigné par l’Urssaf , par un fournisseur, ou par les impôts. Donc, plus il va le faire seul en amont et rapidement, plus la situation a des chances d’être gérée dans de bonnes conditions », souligne Anne-Claire Courtin, élue à la CCI Marne Ardennes et Mandataire CPME, au CPSTI (Conseil de la Protection des Travailleurs Indépendants) et à l’URSSAF. Cette dernière insiste aussi sur la solitude du chef d’entreprise, grandement invité à faire appel à un syndicat professionnel neutre qui lui permettra de prendre du recul par rapport à sa situation.

Un avis partagé par Thierry Seninge, Directeur Champagne-Ardenne de la Caisse d’Epargne Grand Est Europe : « Un chef d’entreprise aujourd’hui, quand il est en difficulté, il ne faut pas qu’il hésite à parler, car parler c’est ouvrir le champ des possibles. C’est évidemment se tourner vers les organisations, mais aussi se diriger vers le tribunal que ce soit pour un mandat ad hoc ou des procédures qui permettent de mettre tout le monde autour de la table et de discuter pour trouver des solutions ».

Des solutions jutsement, Frédéric Visnovsky en propose. Dans son rapport remis le 23 avril à Véronique Louwagie, Ministre déléguée chargée du Commerce, de l’Artisanat, des Petites et Moyennes entreprises et de l’Économie sociale et solidaire, le médiateur national du crédit de la Banque de France émet 16 recommandations.

Parmi celles-ci : renforcer la coordination entre les acteurs et notamment la sphère privée et la sphère publique et associative, aller au devant du chef d’entreprise dès la création, mais aussi sensibiliser les entreprises sur le respect des délais de paiement, avec un renforcement des sanctions. « Aujourd’hui, les retards de paiement représentent 15 milliards d’euros qui ne sont pas dans la trésorerie des TPE PME, du fait des grandes entreprises notamment. Le jour où une grande entreprise aura été sanctionnée à hauteur de son pourcentage de chiffre d’affaires, les règlements interviendront beaucoup plus rapidement »