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Experts judiciaires : le raisonnement doit faire autorité

Justice. Pour son 14e colloque, la Compagnie des experts judiciaires près la Cour d’appel de Reims avait choisi de s’interroger sur « L’Autorité en expertise ». À cette occasion, l’amphithéâtre de l’ICP accueillait, mi-juin, quelque 180 experts judiciaires, magistrats, avocats.

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Photo de Christophe Régnard, Sylvie Mégret, Rémy Heitz et Dominique Laurens
Au premier rang, de gauche à droite : Christophe Régnard, Premier président de la Cour d’appel de Reims ; Sylvie Mégret, présidente du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ; Rémy Heitz, Procureur général près la Cour de cassation ; Dominique Laurens, Procureure générale près la Cour d’appel de Reims. (Crédit : JR)

à l’heure de l’ultracrépidarianisme galopant − ce comportement consistant à donner son avis sur tout et surtout sur des sujets à propos desquels on n’a pas de compétence, et dont les réseaux sociaux sont évidemment le principal vecteur − le thème choisi par la Compagnie des experts près la Cour d’appel de Reims pour son 14e colloque, « L’Autorité en expertise » était d’autant plus intéressant qu’autorité et expertise apparaissent antinomique. La première ne se discutant pas (en principe) quand la seconde requiert l’échange, ainsi que le notait dans son introduction Pierre Saupiqué, président de la Compagnie.

« Face à l’affaiblissement et à la contestation de toute autorité, et notamment de celle de sachant, comment restaurer celle du juge comme de l’expert, l’une et l’autre garantes de la justice dans un pays démocratique ? », interrogeait Christophe Régnard, premier président de la Cour d’appel de Reims. « L’évolution de la société entraîne une perte de la confiance du citoyen vis-à-vis de la parole des experts, une transformation de la relation savoir/pouvoir. Or, l’expert et son expertise est indispensable à l’œuvre de justice, et doit éclairer le juge qui, lui, n’est pas expert de tel ou tel sujet technique. » Dès lors, pour le président Régnard, la légitimité de l’expert − son ‘‘autorité’’ − passe par le renforcement de sa compétence, de sa déontologie, et de la clarté de son exposé à l’audience.

Une nature instable et fragile

« L’autorité est inséparable de la notion de légitimité », affirmait ensuite Dominique Laurens, Procureure générale près la Cour d’appel de Reims, qui s’inquiétait de l’effritement de la notion d’intérêt général « quand chacun s’exprime instantanément et sans filtre dans son intérêt personnel », et de l’évolution du pacte social au regard de la remise en cause de l’autorité judiciaire, pourtant gardienne des valeurs de la démocratie dans un Etat de droit.

Reste que pour la Procureure générale − rejoignant ainsi le président Régnard − « l’autorité en expertise ne se décrète pas, elle s’acquiert par la démonstration quotidienne de la compétence des experts. » Comment résumer ensuite la splendide intervention, placée sur le terrain de la philosophie, de Philippe Choulet, professeur honoraire agrégé en la matière, résumé dont l’exercice même trahit nécessairement le déroulement de sa pensée − qu’il veuille bien l’excuser − ? Faisant appel à la légende, au mythe, à l’histoire, au droit, Philippe Choulet relevait la nature instable et fragile de l’autorité compte tenu des forces qui la sapent de l’intérieur, quoiqu’en demeurent la structure et le besoin qui s’en fait toujours sentir dans l’humanité.

D’où l’idée « d’instituer une présence de l’autorité dans l’esprit citoyen pour la rendre pérenne. La véritable autorité augmente l’humanité, l’instruit dans une forme de justice. Il convient de redonner l’idée d’une norme qui n’a rien de fasciste. » Cela oblige certainement les experts à s’interroger afin d’apprendre à utiliser au mieux l’autorité dont ils disposent, dans le respect de toute humanité.

Vers une dynamique positive

Rémy Heitz, Procureur général près la Cour de cassation, relevait également l’affaiblissement de l’autorité en général, le constat étant également valable pour l’institution judiciaire en particulier. Pour autant, « la justice se construit dans la contradiction, la critique, l’éclairage… Les travaux d’experts, soulevant des remises en cause, sont souvent salutaires et il n’y a pas lieu de regretter un hypothétique âge d’or de l’autorité des experts… qui n’a jamais existé ! » De fait, l’autorité des experts, qui ne sont là que pour éclairer le juge, est très relative.

Dans la spécificité de l’époque, la diffusion de l’information qui réduit la frontière entre le sachant et le profane et concourt à oblitérer la crédibilité des vrais spécialistes, il s’agit désormais, pour le procureur Heitz, non pas de préserver une éventuelle autorité de l’expert, mais plutôt sa légitimité. « Il n’y a pas de retour en arrière possible, pas de nostalgie à avoir. Il faut accepter d’entrer dans une dynamique positive pour s’améliorer collectivement, en ne cédant rien sur le terrain de la formation dans les différents domaines d’expertise. Il n’est plus suffisant d’affirmer, il faut démontrer. » Puis citant Voltaire (‘‘Ne cherchez jamais à employer l’autorité là où il ne s’agit que de raison’’), le Procureur général près la Cour de Cassation adjurait les experts judicaires de faire prévaloir le raisonnement. Avec autorité.