Droits de douane américains : vers la désescalade, avec fermeté
Commerce international. Laurent Saint-Martin, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, chargé du Commerce extérieur et des Français de l’étranger, en visite à Epernay auprès de la filière Champagne.

« C’est une véritable bascule qui est en train de s’opérer. Il faut qu’on se pose les bonnes questions. Et l’erreur serait de le faire sans les industriels, sans les filières, sans les chefs d’entreprise ». Les annonces des augmentations des droits de douane vont-elles faire bouger les lignes en France et en Europe ? Que ce soit de manière volontaire ou forcée, c’est bien l’avenir qui doit se dessiner, selon Laurent Saint-Martin, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, chargé du Commerce extérieur et des Français de l’étranger, venu à la rencontre des acteurs de la filière viticole champenoise, vendredi 4 avril. Après un échange avec les membres de la Team France export, le ministre s’est entretenu avec les dirigeants d’entreprises locales, essentiellement liées au monde du Champagne.
Sans surprise, la hausse des droits de douane pouvant aller jusqu’à 20% sur les produits européens ont été au coeur des discussions. En premier lieu pour savoir quelle pouvait être la réponse française la plus adaptée.
« La réaction sera une réaction à la fois française et également européenne. Il faut éviter dans ce genre de situation d’aggraver le mal par des répliques peut être un peu trop rapides. Il faut qu’elles soient pensées intelligemment pour que l’on puisse être en mesure de montrer que l’Europe est forte et qu’elle entend privilégier avant tout le retour d’une forme de dialogue avec les partenaires extérieurs », souligne Franck Leroy, le président de la Région Grand Est.
« Nous considérons ces attaques commerciales complètement infondées, injustifiées, brutales et sur lesquelles il va falloir nous positionner de façon européenne, parce que la politique commerciale est une compétence exclusive européenne », poursuit Laurent Saint-Martin. Le fait que la première puissance mondiale remette totalement en cause les règles du commerce international et rende quasiment caduque la notion de libre échange qu’elle avait elle-même glorifié au cours du siècle qui vient de s’écouler impose en effet un questionnement des acteurs politiques et économiques quant au positionnement commun à adopter face à cette situation inédite.
« Le premier pays victime de cette guerre commerciale ne sera pas la France, mais les Etats-Unis », précise le ministre dont l’objectif reste avant tout « la désescalade et la baisse des droits de douane ». Ce qui n’empêche pas la France d’agir : « Notre combat, c’est que la guerre commerciale s’arrête puisque ce n’est en aucun cas une mesure susceptible d’améliorer notre croissance, nos emplois et le développement de nos filières. Mais dans ce contexte là, il faut savoir riposter aussi, pour pouvoir créer un rapport de force avec les Etats-Unis ».
Un rapport de force que le ministre souhaite établir sur la base des idées des représentants des différentes filières, qu’il encourage à diversifier leurs débouchés commerciaux et à anticiper des possibilités d’exportation. « Il faut qu’on utilise la séquence pour se réveiller aussi en termes de compétitivité et de synchronisation de l’agenda industriel et commercial en Europe. Je crois que vous serez nombreux à me rejoindre sur la nécessité d’utiliser ce moment extrêmement critique pour le commerce mondial, pour que l’Europe et la France ne soient pas plus régulateurs que les autres et surtout, ne soient plus un continent dans lequel on pense à réguler avant de produire et avant d’innover », avance le ministre.
Du temps long à l’export

Parmi les idées avancées par ces derniers, tous se rejoignent sur la nécessité de ne pas provoquer davantage l’administration américaine et d’instaurer un dialogue gagnant-gagnant avec les Etats-Unis. Les Champenois ont ouvert quelques pistes de réflexion et d’action : continuer à négocier des accords de libre échange avec d’autres pays, des accords sectoriels, ratifier les accords déjà négociés (Mercosur ou Ceta), sortir les vins et spiritueux (dont le whisky et le bourbon américain) des mesures de rétorsion, des aides à l’investissement pour accompagner les petites structures à l’export, un guichet unique des accises sur l’Europe, la protection renforcée de l’appellation Champagne, la simplification administrative, la fin de la stigmatisation des vins sur le marché français…
Ils ont aussi rappelé au ministre que les marchés à l’export s’ouvrent et se développent sur un temps long : « Sur les 40 dernières années, le top 8 des marchés n’a pas changé. Ça prend énormément de temps de développer un marché », souligne Manuel Reman, président du Champagne Krug et président de MHCS, qui regroupe les Maisons de Champagne du groupe LVMH, présentes à 90% à l’export, dont la moitié aux Etats-Unis, au Japon et au Royaume-Uni. « Depuis 10 ans il y a une montée des barrières à la fois tarifaires et non-tarifaires sur tous les marchés. Ça devient presque impossible d’exporter au Brésil, par exemple, où les normes sont différentes », poursuit Manuel Reman, qui évoque les difficultés rencontrées dans des pays pourtant prometteurs comme la Thaïlande ou l’Inde par exemple, qui applique 150% de taxes sur le champagne.

Un avis partagé par François-Xavier Morizot, Directeur des Maisons de Champagne Mumm et Perrier-Jouët, qui se veut optimiste, voyant dans cette séquence mondiale une opportunité de se diriger vers d’autres partenaires, avec le soutien du ministre. « Défricher des marchés c’est extrêmement difficile, c’est extrêmement coûteux, mais on peut le faire et c’est vraiment le moment de le faire. Nous comptons sur vous pour aller chercher des discussions avec des pays, peut être des accords réciproques avec certains pays sur des notions qui ne sont pas uniquement de tarifications, mais aussi des barrières immatérielles. On peut aller plus vite, plus fort pour poursuivre notre rêve à l’international ».
Un rêve à l’international qui passe aussi par une gestion rigoureuse des stocks, avec près d’un milliard de bouteilles présentes dans les caves champenoises et pour lesquelles les Champenois aimeraient voir les taux d’intérêts de la BCE baisser un peu plus vite. Reste à savoir si ce volet financier de la résolution de la crise sera pris en compte.