De la prévention des difficultés au rebond
Assises. Pour la troisième année consécutive, les Tribunaux de Commerce de la Marne, des Ardennes et de l’Aube organisaient les Assises de la Prévention, à la cour d’Appel de Reims. Cette année, le thème choisi concernait la « levée du tabou des difficultés » et le « rebond ».
Les années se suivent et se ressemblent (presque) aux Assises de la Prévention, organisées par les Tribunaux de Commerce de la Marne, des Ardennes et de l’Aube. Mais loin de s’en émouvoir, au contraire, les présidents des Tribunaux assument totalement de rappeler inlassablement, aussi bien aux professionnels du chiffre et du droit qu’aux chefs d’entreprise de toutes tailles, que la prévention est indispensable.
Invité d’honneur de cette troisième édition, Xavier Aubry, Vice-Président de la Conférence Générale des Tribunaux de Commerce l’indiquait d’ailleurs en préambule de son propos : « La pédagogie c’est l’art de la répétition. »
Succès des conciliations et mandats ad hoc
« La possibilité de dialoguer avant qu’il ne soit trop tard est une spécificité française. Alors il faut s’en saisir et oser franchir la porte d’un Tribunal de commerce », insiste celui qui est aussi Président du Tribunal de Commerce de Versailles, précisant que lors de conciliation ou de mandat ad hoc, huit dossiers sur dix aboutissent à une sauvegarde.
Pour enclencher l’une ou l’autre procédure, il est néanmoins indispensable que les Tribunaux de Commerce fonctionnent en étroite collaboration avec tous les acteurs qui interviennent en amont et qui, les premiers, vont pouvoir faire une détection de difficulté, à savoir notamment les Experts-comptables, les services de l’URSSAF ou encore ceux des Finances Publiques. « Il y a une vingtaine d’organismes qui traitent de la prévention en France. Une coopération s’impose », martèle Xavier Aubry.
Détecter les premiers signes d’alerte, voilà une chose pas toujours évidente. Elle l’est encore moins lorsqu’il faut « faire entendre raison » au chef d’entreprise sur cette situation. La question des ressorts psychologiques prend alors toute son importance. « Il est nécessaire que les entreprises nous contactent le plus vite possible quand elles constatent un enchainement de difficultés. Le discours porte aujourd’hui un peu plus lorsqu’il s’agit de grandes entreprises, mais les dirigeants de PME et de TPE sont encore trop peu nombreux à venir nous voir », regrette Jean-Marie Soyer, président du Tribunal de Commerce de Reims, rappelant la spirale infernale des « trois D » dans laquelle le chef d’entreprise va être pris : « Dépôt, Dépression, Divorce ».
Confronter le dirigeant aux difficultés
Souvent les premiers à être au courant des difficultés sont les Experts-comptables. Et de l’aveu même de ces derniers, il n’est pas toujours évident de confronter les chefs d’entreprise à une situation compliquée. « Nous avons souvent les signaux très en amont », reconnait Alain Fontanesi, Vice-président de l’ordre des Experts-comptables du Grand Est, détaillant des indices comme des factures en retard ou des bilans comptables dans le rouge.
« Nous sommes en quelque sorte un médecin de famille et nous avons un devoir de confidentialité envers notre client. On va pouvoir lui recommander l’un ou l’autre remède mais il va être difficile d’aller au-delà », explique-t-il. Négocier des délais de paiements avec les organismes tels que l’URSSAF ou le Trésor Public ou demander un nouveau business plan font partie des leviers que peuvent actionner les Experts-comptables. Mais pour l’aspect psychologique, ils vont passer le relai à l’association APESA. « Il faut davantage former les experts-comptables à la détection de détresse psychologique », fait savoir Alain Fontanesi. L’association APESA fait partie d’un réseau national et a été créée en 2019 dans la Marne.
« C’est un dispositif qui offre aux chefs d’entreprise mais aussi à leur conjoint(e) cinq séances chez un psychologue pour parler de ce qu’ils traversent. Bien souvent, on embarque toute la famille dans les problèmes de l’entreprise », relève Axelle Delpy, greffier du TC de Reims et présidente de l’association APESA. Gratuit et anonyme, ce dispositif a été activé six fois en 2022 et quatre fois en 2023. Toutefois, Axelle Delpy insiste sur les termes utilisés pour parler de l’échec, « un élément de langage auquel il vaudrait mieux préférer celui “d’expérience” » selon elle. « Une expérience peut être bonne ou mauvaise, mais le vivre comme tel est moins stigmatisant que l’échec. »
Un vocabulaire et une approche pouvant sauver des situations critiques. « Ce qui se passe sur le terrain est bien souvent plus difficile que ce à quoi on s’attend », révèle Jean-Luc Balleux, expert-Comptable et Commissaire aux Comptes qui ne minimise pas non plus l’impact de la dégradation d’une relation entre l’expert-comptable et son client : « Quand un chef d’entreprise ne rémunère plus son comptable, c’est qu’il ne va pas bien. Or, on a tendance à donner de l’attention au bon payeur plutôt qu’au mauvais. Nous avons été formés pour être des experts, des sachants… Et il est avéré que quand une personne en détresse se retrouve face à une personne qui adopte cette posture c’est encore pire ! Il faut changer notre approche et mettre en place des outils pour le droit des entreprises en difficulté. » C’est pourquoi Jean-Luc Balleux a créé au sein de la Compagnie régionale des Commissaires aux Comptes, dont il est le Président, un module d’accompagnement aux professionnels pour traiter les situations complexes.
Anticiper plutôt que traiter
« Faire un travail d’anticipation plus qu’un traitement de situation », préconise quant à lui, Bruno Soulié, directeur de la Direction générale des Finances publiques de la Marne grâce notamment à la signature de convention entre les Tribunaux de Commerce de Châlons et de Reims. « L’objectif est que le jeu économique puisse fonctionner. Il ne s’agit pas de maintenir artificiellement des entreprises à flots mais bien de sauvegarder un système dans son ensemble. » Gheelen Jeanton, Directrice régionale adjointe de l’URSSAF explique de son côté qu’avec le Covid, l’organisme a revu sa manière de fonctionner en axant aussi son action sur la détection des entreprises en difficulté.
« Nous souhaitons transformer cette image d’administration rigide. » Même si la vie d’une entreprise n’est pas un long fleuve tranquille, les dirigeants créent de la valeur. « Il faut insister sur l’accompagnement. Celui aux difficultés et celui à la transmission. En France, 80% des entreprises cédées ne le sont pas dans la famille, ça doit interroger », insiste Thierry Ducoffe, président du Medef des Ardennes. Et alors que tout a été mis en œuvre, parfois cela ne suffit pas et la liquidation judiciaire est irrémédiable.
Et après ?
C’est là qu’intervient l’association 60 000 Rebonds, qui accompagne les ex-dirigeants après la cessation d’une entreprise. « Nous entrons en action après la prononciation de la liquidation judiciaire », précise Carole Thiry Bour, à la tête de l’association au niveau de la Marne. Si l’association s’évertue de changer le regard sur l’échec, Carole Thiry Bour n’hésite pas à citer Churchill pour démontrer la philosophie de 60 000 Rebonds : « Le succès c’est d’aller d’échec en échec sans perdre son enthousiasme. » Professionnalisme, engagement, bienveillance et solidarité sont ainsi autant de valeurs que défend l’association.
« L’entrepreneur est souvent pris au piège de son optimisme, dans le fait de penser que cela va s’arranger. Or, cet optimisme peut se transformer en entêtement. Le but va être de travailler sur les postures mais aussi de faire prendre conscience au dirigeant de sa propre responsabilité. » Rationaliser l’illogisme, remettre en perspective la situation, aider à se projeter de nouveau dans quelque chose de positif font partie des objectifs de l’accompagnement de 60 000 Rebonds. Dans le Grand Est, l’association suit une cinquantaine d’ex-dirigeants, la plupart du temps orientés... par les Tribunaux de Commerce.