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Cyril Dion : « La question de la croissance est cruciale »

Conférence. Invité par l’association des Dirigeants Responsables de la Marne, l’auteur et co-réalisateur du film “Demain” a rappelé que les bonnes volontés ne suffiront pas pour sauver la planète du réchauffement climatique.

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Photo de Cyril Dion
Cyril Dion a sensibilisé près de 600 personnes à la question du dérèglement climatique et à l’urgence d’agir, collectivement comme individuellement. (Crédit : BB)

Oui, les activités humaines causent bien le réchauffement climatique. Ce sont les scientifiques du GIEC qui le disent et aujourd’hui, peu nombreuses sont les voix qui s’élèvent encore pour tenter de démontrer le contraire.

Pour Cyril Dion, écrivain, réalisateur et militant écologiste, l’Humanité a sans doute déjà perdu beaucoup trop de temps à se demander si le dérèglement climatique était une réalité. Désormais, face à l’évidence, il lui faut agir.

C’est le propos qu’il a tenu lors de la première plénière de l’association des Dirigeants Responsables de la Marne, devant près de 600 personnes réunies dans le grand amphithéâtre de Sciences Po Reims.

Car la terre se réchauffe et elle continue à le faire. Pour éviter le scénario catastrophe, il faudrait ne pas dépasser 1,5 degré de réchauffement moyen sur la planète avant la fin du siècle. Or, les climatologues estiment aujourd’hui que nous dépasserons ces 1,5 degré, entre 2030 et 2035.

Une trajectoire qui se dirige droit vers une augmentation des températures aux différents scénarii. Si les Etats respectent leurs engagements pris lors des différentes COP, on atteindrait +2,7 degrés à la fin du siècle.

« À +2,7, il y a deux milliards de personnes qui seront chaque année sur cette planète soumises à des chaleurs extrêmes potentiellement mortelles », précise-t-il.

Si on continue comme actuellement, on se dirigera vers une augmentation de +3,2 degrés. « ça veut dire que 3,5 milliards de personnes se retrouvent à habiter sur des territoires qui sont devenus invivables ».

Enfin, si rien ne change et que les températures s’emballent, on pourra atteindre les 5 degrés d’augmentation en 2011. « À +5 degrés, honnêtement, on n’a pas de scénario d’adaptation », assène-t-il. Outre les conséquences sur le quotidien, les étés caniculaires, le manque d’eau, la question des réfugiés, certains chiffres ne trompent pas : « Pour chaque degré d’augmentation, on perd 10 % de rendement agricole ».

Du côté des animaux, le constat n’est pas plus réjouissant : Espèces invasives, surexposition, pollution, urbanisation… les causes ne manquent pas, pour des conséquences catastrophiques : « On a déjà un million d’espèces qui sont menacées d’extinction. On a perdu 70% des populations d’animaux vertébrés depuis les années 70. 30% des oiseaux depuis 15 ans et 75% des insectes volants en Europe depuis 30 ans ».

La croissance en question

Nous sommes donc parvenus au bout d’un modèle, celui qui considère que le monde vivant est un champ de ressources que nous pouvons exploiter pour pouvoir faire de la croissance économique, estime Cyril Dion.

« Si nous ne sommes pas capables de remettre en question ce modèle-là et que nous nous contentons d’aménagements à la marge, c’est-à-dire comme le propose par exemple le gouvernement avec la planification écologique, de remplacer les voitures thermiques par des voitures électriques et les chaudières à fioul par des pompes à chaleur, il n’y a aucune chance qu’on s’en sorte ».

Face à un public composé de nombreux étudiants et d’indicateurs du monde économique, le discours peut chagriner. Il fait surtout voler en éclats quelques certitudes, tout en assénant que les bonnes volontés ne suffiront pas, loin de là. « Si vous êtes entrepreneur, si la RSE consiste à réduire un peu,c’est-à-dire avoir une petite flotte de voitures électriques, faire un peu de covoiturage, prendre son vélo de temps en temps et faire des économies de photocopieuse, vraiment, on ne va pas y arriver ».

Pour Cyril Dion, la question de la croissance en entreprise est donc fondamentale. Crucial même. Il prône un changement de paradigme. Avec l’exemple de La Poste, acteur engagé dans la décarbonation. « Ils sont vraiment de bonne volonté, ils font vraiment du bon boulot et ils y vont avec de très gros investissements. Donc, ils remplacent leurs camions thermiques par des camions électriques, ils font le dernier kilomètre en vélo, ils font en sorte que les camions soient beaucoup plus remplis pour qu’il y ait moins de camions sur les routes, en faisant en sorte que les colis soient plus petits, parce qu’il y a souvent des colis avec plein d’air dedans. En rangeant mieux les camions... » Avec un résultat probant : « Ils réduisent considérablement l’intensité carbone de chaque colis, c’est-à-dire que chaque colis émet beaucoup moins de carbone qu’avant ».

Une joie de courte durée car, face à la réduction de l’empreinte carbone, l’entreprise connaît une explosion du nombre de colis à livrer avec une estimation à plus 100% de colis en 2030. Autrement dit, des émissions de gaz à effet de serre qui vont continuer de progresser...

Produire de la richesse en utilisant infiniment moins d’énergie et en restant dans le même système d’économie capitaliste reste donc largement insuffisant pour améliorer la situation. La solution avancée par les scientifiques ? La sobriété. « Mais pour qu’on ait une société prospère qui est infiniment plus sobre en matière et en énergie, ça nous demande un nouveau logiciel. ça nous demande de penser le monde différemment. À partir de là, ça va commencer à s’améliorer ».

La biosphère d’abord

Battant en brèche l’idée selon laquelle les oxymores « développement durable » et « croissance verte » peuvent être apporteurs de solutions, il développe son raisonnement : « Le développement durable, c’est trois grands éléments : l’environnement, l’économie et le social. Ils sont équivalents et à l’endroit où ils se rejoignent, c’est le Graal, la durabilité. Sauf que dans la vraie vie, il y a la biosphère. Et c’est parce que la biosphère existe que tout le reste peut exister, notamment les humains. Et c’est parce que les humains existent qu’ils ont pu inventer des modalités de production et d’échange de richesse ». Faire passer l’économie avant la biosphère, cela relève donc de l’absurdité. « Si cette planète devient partiellement inhabitable, on ne pourra plus faire de l’économie. Il ne faut pas être sorti de Sciences Po Reims pour comprendre ça. Et pourtant, on continue… »

Parmi les théories élaborées par les scientifiques pour améliorer les choses, Cyril Dion avance celle développée par la chercheuse Isabelle Delannoy : l’économie symbiotique. C’est l’idée que nous devons viser une sorte de symbiose entre l’intelligence humaine, ce que les écosystèmes sont capables de faire par eux-mêmes, et la technosphère, c’est-à-dire les outils, et faire rentrer en symbiose - plus qu’en coopération ou en conjonction - ces trois éléments.

Avec un exemple concret, celui de la permaculture, qui, au-delà de proposer une production satisfaisante, permet d’assurer un équilibre économique et aussi de régénérer l’écosystème. Un modèle duplicable au secteur de l’automobile par exemple, selon les recherches d’Isabelle Delannoy qui estime qu’en louant et en mutualisant les voitures plutôt que d’en posséder, en les fabriquant avec des pièces biodégradées, dégradables, réparables, remplaçables, recyclées et recyclables à l’infini, en alimentant les usines avec des énergies renouvelables, on parviendrait à réduire de 90% l’extraction de matière...

« On prélèverait dix fois moins à la nature et on lui permettrait de se régénérer. Ainsi, on améliorerait la qualité de l’air et notre santé. En relocalisant les activités, on régénérerait aussi l’emploi et les inégalités en réalité. Un autre monde ».

Un modèle à inventer

Connaissant le problème, ses conséquences mais aussi les solutions presque 45 ans après les premières grandes alertes sur le changement climatique, la situation est de plus en plus grave. « Pourquoi est- ce qu’on n’y arrive pas ? », s’interroge l’écrivain qui dispose évidemment d’éléments de réponse : « La première raison, c’est que nous ne croyons pas ce que nous savons. L’autre grande problématique c’est que nous sommes dans un système démocratique défaillant et qu’aujourd’hui, nos démocraties représentatives se montrent incapables de faire face à l’enjeu climatique. Pour une raison principale, qui est que l’essentiel aujourd’hui des décisions publiques sont orientées par des intérêts privés », soulignant entre autres le lobbying de l’industrie pétrolière qui a financé des études pour d’abord démonter les arguments des lanceurs d’alerte au sujet du changement climatique puis, pour dire peut- être que le changement climatique n’est pas d’origine humaine.

Cyril Dion estime alors que pour faire bouger les lignes trois éléments doivent être réunis : Il faut en premier lieu de nouveaux récits, portés « par des entrepreneurs, des pionniers, des gens qui inventent un autre modèle », des rapports de force et des circonstances historiques, espérant à voix haute que l’Humanité soit aujourd’hui arrivée à la conjonction de ces trois éléments pour qu’enfin le monde change.

« Bien sûr, on ne pourra pas promettre à nos enfants que le monde va changer du tout au tout, du jour au lendemain, mais on pourra leur promettre qu’il existe des solutions, leur promettre que des femmes et des hommes se lèvent par milliers tous les jours, leur promettre que si on met toute notre énergie, si on se rassemble, on a tous le pouvoir de changer le monde ».