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Cristal Union, champion de la décarbonation

Industrie. Le groupe coopératif est engagé sur la voie de la neutralité carbone et des économies d’eau et d’énergie. Une manière de tordre le cou à l’image d’activité énergivore et émettrice de GES qui continue de coller à la peau de certains industriels.

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Photo de l'usine de Cristal Union
En 2030, le groupe Cristal Union devrait atteindre -35% d’émissions de CO2 et -10% d’énergie consommée sur l’ensemble de ses sites par rapport à 2015. (Crédit : BB)

Les dirigeants de Cristal Union n’avaient pas vraiment apprécié d’avoir été convoqués à l’Elysée parmi les 50 industries les plus polluantes fin 2022. Deux ans quasiment jour pour jour après cet entretien avec le Président de la République, qui avait débouché sur un engagement de réduction de 45% des émissions de gaz à effets de serre d’ici 2030 et une neutralité énergétique à l’horizon 2050, le groupe coopératif avance un bilan d’étape plus que conforme aux prévisions, d’autant que sa démarche était déjà engagée bien avant 2022. « Notre objectif est donc d’être autonomes en eau sur tous nos sites industriels dès 2030 et autonomes en énergie en 2050 », souligne Pascal Hamon, Directeur industriel du groupe Cristal Union.

Pour une activité comme celle de Cristal Union, qui traite la chaîne de production de la betterave du champ jusqu’au carré de sucre, les enjeux sont colossaux. Quelques chiffres pour s’en convaincre : le groupe qui compte 13 sites en France, traite pas moins de 40% de la surface betteravière du pays, grâce à l’approvisionnement de 9 000 coopérateurs principalement situés dans le Nord-est de la France. Au cours de la campagne qui se déroule de la mi-septembre à la mi-janvier, la sucrerie de Bazancourt reçoit et traite pas moins de 3 millions de tonnes de betteraves issues de 34 500 hectares de surfaces, pour obtenir 330 000 tonnes de sucre et 420 000 tonnes de pulpe.

Des betteraves qui sont récoltées, transportées sur le site, lavées et découpées, puis transformées en sucre après filtration, évaporation, cristallisation, essorage et séchage à air chaud. Quant à la distillerie, elle reçoit les jus sucrés issus de la sucrerie, ainsi que du blé (450 000 tonnes de blé transformé) - pour les transformer principalement en alcool et en biocarburants -, mais aussi des produits destinés à l’alimentation animale, du CO2 et des vinasses (utilisés pour l’amendement agricole). Autant d’étapes qui nécessitent d’importantes quantités d’eau et d’énergie pour traiter ces 23 000 tonnes de betteraves par jour, sur un site ouvert 24 heures sur 24.

L’eau, source de toutes les attentions

L’eau est justement un enjeu majeur pour un groupe comme Cristal Union. En premier lieu car la betterave en contient pas moins de 75% ! « Toute l’eau extraite de nos betteraves est réutilisée ou valorisée », souligne Pascal Hamon. Elle est donc réinjectée dans le process industriel et le surplus est envoyé dans des bassins pour être ensuite utilisé en irrigation ou en épandage dans les champs voisins.

« Nos sucreries seront autonomes en eau dès 2025 et nos distilleries en 2030 ». En effet, si les distilleries ne produisent pas d’eau, elles en consomment pour la fermentation. Celles de Bazancourt et d’Arcis-sur-Aube, qui sont adossées à des sucreries du groupe, bénéficient des synergies mises en place pour pouvoir utiliser l’eau excédentaire. Pour les distilleries autonomes, un gros travail de recyclage et de baisse de consommation est réalisé dans toutes les étapes de leur production pour atteindre cette autonomie en 2030. Si l’eau ne présente pas un enjeu économique majeur, elle est en revanche une ressource précieuse car elle peut se faire rare, comme en 2022, quand les arrêtés de sécheresse ont interdit les sites industriels de puiser dans les nappes. Pour ne pas être confronté à un arrêt de son activité par manque d’eau, le groupe mise donc sur son autonomie. « À Arcis, nous avons stocké 700 000 m3 d’eau propre en 2023 qui ont pu être réutilisés en distillerie pendant l’inter-campagne en lieu et place du forage », explique Pascal Hamon. À Bazancourt, 30 hectares de bassins servent à stocker puis traiter l’eau de toute la plaque qui est ensuite réutilisée.

« Nous ne sommes pas consommateurs d’eau mais utilisateurs : nous la rendons après l’avoir utilisée », précise Stéphane Clément, le directeur de la sucrerie. L’eau utilisée pour le lavage des betteraves est ensuite utilisée par la distillerie Cristanol voisine, épurée biologiquement puis épandue via un réseau enterré dans les champs de la région, identifiés avec les services de l’Etat. L’utilisation de l’eau se fait elle aussi plus vertueuse. « Nous sommes passés de 2 millions de m3 utilisés chaque année à 1 million de m3 en 2023. Pour 2024, nous serons à moins de 700 000 m3 », explique Thierry Caron, directeur de la distillerie.

Du transport au process

Côté décarbonation, le groupe agit sur l’ensemble de la chaîne de valeur, dès les pratiques agricoles de ses coopérateurs. Le transport fait lui aussi l’objet de mesures de réduction des GES grâce notamment à l’utilisation des camions de 44 tonnes (au lieu des 40 tonnes) qui permet de réduire le nombre de rotations sur les routes. « Nous travaillons sur une expérimentation avec des camions de 48 tonnes avec les autorités. Bazancourt est un site pilote », poursuit Pascal Hamon.

Grâce à une approche multimodale du transport aval, le groupe réduit également son empreinte carbone. « Nous développons le transport par train. C’est le cas par exemple pour les envois de sucre vers l’Italie qui se font depuis la Marne et l’Aube à 100% par le train ».
Cristal Union agit aussi sur le déterrage des betteraves avant leur mise en benne afin d’éviter de transporter ce qui peut représenter plus de 20% du poids total de la marchandise par temps humide.

Certaines de ces démarches ayant été engagées depuis plusieurs années, les premiers résultats sont déjà enregistrés, avec une trajectoire qui prévoit -24% d’émissions de gaz à effets de serre entre 2019 et 2030. Pour y parvenir, le groupe prévoit 15% d’émission de CO2 entre 2010 et 2020 et -8% d’énergie consommée sur la même période. En 2030, Cristal Union devrait atteindre -35% d’émissions de CO2 et -10% d’énergie consommée par rapport à 2015. « Pour y parvenir nous sommes passés au gaz, qui est l’énergie la plus vertueuse en matière de rejets et nous n’avons plus de site fonctionnant au charbon depuis août 2023 », précise le directeur industriel. « Nous investissons 100 M€ par an sur nos sites pour décarboner et économiser l’énergie ».

Des sauts technologiques

À Bazancourt, les fours de déshydratation de la sucrerie alimentés par de la biomasse bois locale permettent ainsi d’économiser 65 000 tonnes de CO2 par an. La chaudière biomasse permet quant à elle de fournir 40% des besoins énergétique de la distillerie Cristanol. À la sucrerie de Sillery, les travaux réalisés sur l’atelier d’évaporation vont permettre de réduire de 5% l’énergie consommée en 2025 par rapport à l’année 2024. Des investissements qui passent par des sauts technologiques, comme sur le site pilote de Sainte-Emilie (Somme) où le système de séchage des pulpes de betteraves à partir de l’énergie fatale va permettre de réduire de 40 000 tonnes les émissions de CO2. Un procédé à 40M€ qui permet de réutiliser l’énergie émise par le site pour le séchage. À Arcis-sur-Aube, le site pilote pourrait quant à lui être auto-alimenté en énergie par les pulpes de betteraves dès 2030 grâce à un investissement de 150 millions d’euros.

« Nous allons même encore plus loin dans les économies d’énergies que nous avions prévu de faire. Notre engagement était à -30% en 2030, nous en sommes déjà à -29%. Mais pour atteindre l’autonomie énergétique, il faudra que nous devenions producteurs d’énergie. C’est un métier que nous sommes en train d’apprendre, avec des investissements colossaux ». Car si le groupe prévoit d’assurer l’électrification de certains sites via le développement de centrales photovoltaïques flottantes par exemple, il aura besoin d’autres sources d’énergie. La bonne nouvelle c’est qu’il possède déjà ce potentiel énergétique en interne, grâce à la pulpe, aux vinasses et au CO2. Des sources d’énergie issues de la biomasse de grande valeur à l’heure où le monde industriel se tourne vers de nouvelles alternatives. Et dans la course à l’approvisionnement, Cristal Union se positionne d’ores et déjà en première ligne.