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Champagne et décarbonation : le pari gagnant d’Ayala

Champagne. La Maison agéenne a mis en place un programme ambitieux et pragmatique de décarbonation avec l’entreprise rémoise Inital Expertise.

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Photo de Hadrien Mouflard, Cédric Roblet et Stéphane Flandre
Hadrien Mouflard, Directeur général de Champagne Ayala, Cédric Roblet, Secrétaire général de Champagne Ayala et Stéphane Flandre, directeur d’Initial Expertise, devant le chantier de la future cuverie, qui a donné lieu à une réflexion environnementale ambitieuse. (Crédits : BB)

Pour Hadrien Mouflard, la RSE n’est pas un prétexte pour briller sur Instagram ou sur les réseaux. La Maison de Champagne Ayala qu’il dirige s’est en effet donnée pour principe de faire avant de communiquer et c’est donc sur cette base qu’elle a choisi de présenter quelques éléments de sa stratégie environnementale avec plusieurs exemples concrets et en cours de réalisation. « Le développement durable ne fonctionne que si économiquement le projet est viable pour l’entreprise », insiste d’emblée le Directeur général.

Un préalable qui a son importance pour cette Maison de Champagne créée en 1860 et qui a connu un creux dans son développement dans le courant des années 90. Rachetée par la famille Bollinger en 2005, elle s’est depuis remise dans le sens de la croissance. « Nous avons lancé un plan de relance en 2013, à la fois sur le style de nos vins, sur le commercial, le vignoble et les approvisionnements, en incluant aussi, au fil des années, cette démarche environnementale. Et depuis 2017, elle s’est affirmée comme un pilier de notre stratégie », explique Hadrien Mouflard. « L’objectif, c’est d’arriver à cette double dimension, économique et environnementale, étape par étape, année après année, en menant à bien des projets très opérationnels et qui améliorent notre bilan carbone et nos indicateurs ».

C’est ainsi que la Maison Ayala, reconnue pour la pureté de ses vins grâce à la subtile utilisation du Chardonnay, s’assume également comme « une Maison engagée » dans toutes les étapes du process d’élaboration de ses champagnes. « Nous voulons mener à bien des projets qui font sens pour nos équipes, nos consommateurs et nos parties prenantes ».

Le Directeur général a par exemple décidé de passer une grande partie de ses vignobles en agriculture biologique. « Nous avons reçu la certification à la fin de la vendange 2025 sur plus de 7 hectares. Nous faisons des essais. Cela ne veut pas dire qu’Ayala va devenir bio demain mais nous voulons être un acteur leader sur un certain nombre de problématiques et nous pensons que développer une viticulture plus saine et donc plus écologique c’est important ». La Maison travaille aussi avec une centaine de familles de vignerons livreurs de raisins avec lesquelles elle agit dans une démarche plus durable. « L’objectif c’est d’avoir 100% de nos vignerons certifiés HVE, VDC ou Bio. Aujourd’hui, nous en sommes à 75%. Donc on se rapproche de notre objectif, qui est aussi de les amener vers du zéro herbicide ».

Sur son domaine historique aussi, campé sur les hauteurs d’Aÿ-Champagne depuis plus de 160 ans, la Maison veut aller plus loin. Et déploie une stratégie bien réfléchie, pour laquelle elle a fait appel à l’entreprise rémoise Initial Expertise, spécialiste de l’analyse et des préconisations en matière d’optimisation et de performance énergétique. « Notre raison d’être, c’est d’innover dans les nouveaux usages de l’énergie afin de décarboner l’activité de nos clients et de nos partenaires », résume Stéphane Flandre, directeur de l’entreprise, Société à Mission qui compte 25 collaborateurs répartis sur ses agences de Reims, Charleville-Mézières, Epernay et bientôt Bar-sur-Seine.

-90% d’émission de GES

« Nous souhaitons contribuer activement à la transition écologique et à la réduction des gaz à effet de serre (GES) », insiste Cédric Roblet, Secrétaire général de la Maison Ayala. Prenant le contre-pied des accords de Paris qui fixent un objectif chiffré de -40% d’émissions de GES à horizon 2030, la Maison a voulu « faire le travail inverse : nous ne parlons pas d’un chiffre mais d’abord des actions que nous pouvons mener ». Après avoir réalisé un bilan carbone dont il ressort sans surprise en Champagne que la bouteille en représente un tiers - la Maison devrait d’ailleurs bientôt communiquer sur le sujet -, Cédric Roblet relève que le deuxième pilier d’action concerne la performance énergétique des bâtiments et l’énergie consommée sur ses sites. « C’est même notre pilier majeur. Grâce au travail réalisé avec Initial Expertise, ça n’est pas -40% que nous pouvons réaliser mais -90% ! Pour parvenir à ce résultat extrêmement significatif, des actions très concrètes peuvent être menées : mieux isoler nos bâtiments, avoir une meilleur maîtrise de nos outils et consommer mieux. Cela veut aussi dire changer notre mix énergétique pour passer à 100% d’énergie décarbonée en arrêtant les énergies fossiles comme le gaz et en se concentrant sur l’électricité. »

Ainsi, au niveau de sa zone de production existante, la Maison a effectué plusieurs changements finalement peu coûteux mais à effets immédiats. « Jusqu’à récemment, pour être certains de pouvoir débuter notre activité de dégorgement dès le lundi matin, nous mettions nos bacs de dégorgement en marche dès le vendredi soir (six heures étant nécessaires pour atteindre la température désirée, soit -27 °C degrés, NDLR), ce qui était très énergivore. Aujourd’hui, le groupe froid se met en route de manière automatique, dans la nuit de dimanche à lundi pour être opérationnel le lundi matin. Résultat, nous avons réduit d’un tiers notre consommation d’énergie grâce à ce simple programmateur », souligne Cédric Roblet.

Autre solution mise en place au cours des derniers mois : le déplacement d’un groupe froid de l’autre côté d’un mur pour évacuer la chaleur produite hors de la pièce accueillant les machines de dégorgement et éviter ainsi son réchauffement. « Ces deux opérations nous ont coûté près de 10 000 euros et ont été amorties en un an, grâce aux économies d’énergie réalisées », précise le secrétaire général.

Au niveau de la zone d’habillage située au rez-de-chaussée du site historique de la Maison agéenne - et d’où partent aussi les expéditions - plusieurs aménagements ont également été réalisés sur les conseils des équipes de Stéphane Flandre. Face aux importantes fluctuations saisonnières et aux déperditions de chaleur enregistrées lors des nombreuses ouvertures de portes (à raison de 3 à 10 camions à charger par jour, selon les périodes de l’année), Ayala avait le choix entre différentes interventions. « Nous n’avons pas besoin de changer le système de chauffage ou de réaliser une isolation complète des murs mais de rendre cette zone hermétique. Nous allons donc installer des portes sectionnelles qui vont permettre d’isoler la zone d’habillage et de conserver la chaleur à l’intérieur pendant les expéditions », avance Cédric Roblet. Une solution imaginée par les ingénieurs d’Initial Expertise qui ont analysé le site dans son ensemble. « Notre rôle est de poser un regard neuf sur l’activité de l’entreprise. Nos ingénieurs savent identifier rapidement les déperditions et les gisements d’économies à réaliser », explique Stéphane Flandre.

De la même manière, les grandes baies vitrées ont été remplacées par de nouvelles ouvertures traitées pour filtrer 100% des rayons UV. De quoi réguler la température intérieure entre 19°C minimum l’hiver et 25°C maximum l’été pour préserver l’environnement, le bien-être des opérateurs et la qualité des bouteilles. Au total, un investissement de 150 000 euros pour les portes sectionnelles, les baies vitrées et un nouvel éclairage LED. Un investissement relativement accessible au regard des 40% d’économies d’énergie attendues au niveau du chauffage.

  • (Crédits : BB)
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Une nouvelle cuverie à 5 M€

Mais l’intervention la plus spectaculaire d’Initial Expertise auprès de Champagne Ayala est à retrouver au niveau de la future cuverie. Un bâtiment en cours de construction qui sera semi-enterré dans la craie à moins 15 mètres et dont la conception a fait l’objet d’une réflexion en amont pour respecter la politique de décarbonation de la Maison. Avec des solutions qui vont parfois à l’encontre des idées reçues. « Pour ce type de bâtiment semi-enterré, on pourrait imaginer que la mise en place d’un toit végétalisé est la meilleure solution pour assurer une inertie thermique naturelle », explique Stéphane Flandre. Et pourtant, les calculs des ingénieurs ont révélé que la mise en place d’une double couche d’isolation de 12 cm serait bien plus performante qu’un toit végétalisé de 60 cm, et ce, à plusieurs titre. « Ces 24 cm d’isolant vont multiplier par 10 la résistance thermique par rapport à la terre », précise-t-il. Surtout, les plaques d’isolant étant moins lourdes que la terre, le bâtiment nécessitera moins de renforts en béton, ce qui génère une économie de l’ordre de 50 000 euros.

Les fenêtres seront quant à elles en triple vitrage et une pompe à chaleur sera installée au sein de la nouvelle cuverie pour produire l’eau chaude sanitaire et le chauffage des bureaux, en remplacement de la chaudière à gaz existante. « Dans le cadre de notre objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre, l’installation d’une pompe à chaleur s’est avérée être la meilleure solution », explique Cédric Roblet qui a lancé un appel d’offres auprès de cinq entreprises locales, dont une seule a proposé cette solution-cible pour assurer l’autonomie de la cuverie en eau chaude sanitaire tout en se passant définitivement du gaz. Un investissement de 50 000 euros au sein d’un projet global de 5M€ qui comprendra notamment une cuverie, équipée pour réaliser de la micro-vinification, des caves, un espace de stockage d’1 million de bouteilles supplémentaires, un chai et un espace d’accueil oenotouristique. Un projet qui devra être terminé au cours de l’été prochain pour accueillir les cuvées de la vendange 2026.

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