Champagne A&J Demière : esprit d’entreprise
Champagne. La magie du champagne ne doit pas faire oublier que le vigneron à la tête d’une exploitation viticole est avant tout un chef d’entreprise. Dans la famille Demière, à Fleury-la-Rivière, c’est une notion que l’on cultive en même temps que le vignoble.
Pour parler champagne, on peut évoquer jusqu’à plus soif la finesse de la bulle, les arômes, la robe, la longueur en bouche, l’alchimie de l’assemblage, l’émotion, la poésie – et bien d’autres choses encore. On peut, et c’est normal. Mais, pour parler champagne, on peut aussi évoquer l’entreprise, les investissements, les marchés, les risques, etc. Histoire de ne pas oublier qu’avant d’être un moment de plaisir pour celui qui le déguste, le champagne est d’abord une démarche entrepreneuriale pour celui qui le produit et doit cultiver sa vigne, élaborer ses vins, trouver les débouchés et la clientèle lui permettant de valoriser son activité. Si le travail du producteur conduit au bonheur du consommateur, il sera temps, alors, de verser dans la subtilité, le dithyrambe et la philosophie.
Depuis 1936
Cet esprit d’entreprise est exactement celui de la famille Demière, à Fleury-la-Rivière, depuis que Fernand Demière l’a instauré en achetant ses premiers pieds de vigne, en 1936, et en créant sa marque. Fernand Demière travaillait alors pour la Maison Burtin où il observait ce qui se faisait, de la vigne à la vinification, et l’appliquait ensuite à son échelle, avec une démarche entrepreneuriale déjà affirmée : j’expérimente, j’échoue, je réussis… Pour trouver les fonds leur permettant de développer leur vignoble, Fernand et son fils, Jack, fondent dans les années 50 une entreprise de prestation (filtration, soutirage, dégorgement, mixtion…). Jack reprendra ensuite la Maison (champagne Jack Demière), avant qu’à la fin des années 90, Audrey, sa fille, et Jérôme, son gendre, ne lui succèdent. Lysandre, leur fils aujourd’hui à leurs côtés, représente la quatrième génération.
Trouver Des Solutions
Le champagne A&J Demière, c’est actuellement 10 hectares exploités autour de Fleury-la-Rivière, 50 % meunier, cépage majoritaire dans ce secteur de la Vallée de la Marne, 30 % de pinot noir, 20 % de chardonnay. 80 000 à 100 000 bouteilles produites en moyenne chaque année. 70 % de la production étant exportés en Europe du Nord, (Finlande, Suède, Norvège, Danemark, Estonie…), Asie (Chine, Corée, Japon, Thaïlande), Australie, USA, Amérique du Sud (marché très porteur), contre 5 % au début des années 2000. « Avec la crise de 2008, il nous a fallu trouver des solutions », explique Jérôme, lui-même fils d’exploitant. Trouver des solutions, c’est-à-dire sortir des frontières nationales, explorer les marchés étrangers, se familiariser avec l’export et, surtout, apprendre l’anglais ! Trouver des solutions, en construisant de nouveaux locaux (chai de production, etc.), en repensant et aménageant un magnifique lieu de réception, en obtenant le statut de négociant (en 2022) pour acheter du raisin à des partenaires vignerons et accroître ainsi le volume de production. Le tout accompagné d’investissements matériels, « pour déployer les outils qui concourent à l’exigence de qualité », indique Jérôme. Bref, trouver des solutions pour se donner les moyens d’avancer. Avec audace.
Aujourd’hui, Lysandre a rejoint ses parents. Son Master Vin & Gastronomie (Neoma BS) lui permet d’aborder en connaissance de cause les questions de marketing et de gestion du secteur. Il maîtrise anglais et l’espagnol et, si l’élaboration des cuvées relève toujours de l’expertise de son père, Lysandre parle avec fierté du travail de la famille Demière et de son champagne.
Hédonisme Et Joie
Le champagne, bien sûr, demeure la finalité. Sans oublier Audrey, qui prend notamment en charge toute la partie administrative, voilà en vérité le véritable ‘‘terrain de jeu’’ de Jérôme, celui sur lequel il exprime toute sa mesure. Et quand il évoque ‘‘son’’ champagne – il faut voir comme ses yeux brillent – c’est un artiste qui parle de sa création ! Si la philosophie maison fait référence au ‘‘cousu main’’, c’est que l’analogie avec la haute couture est prégnante. D’ailleurs, la page d’accueil du site Internet annonce clairement la couleur, ou plutôt l’ambition : Maison de haute vinification.
Cela passe en premier lieu par le terroir exceptionnel de Fleury-la-Rivière et de la rive droite de Vallée de la Marne, source d’iode et de salinité, sur lequel s’exprime à merveille le Meunier – l’exploitation est certifiée Haute Valeur Environnementale. Ensuite… Ensuite, difficile d’entrer dans le détail de 20 cuvées (« Trop ? Non ! Au contraire. Nous ouvrons le choix pour répondre à la demande de nos clients »), réparties en 4 gammes, comme autant de collections ciselées au fil des années : Inspiration, Lysandre, Confidentielle, Diplomatic (la gamme de prix, quant à elle, s’échelonnant de 35 à 82 €). Mais toutes, ou presque, procèdent d’assemblages qui relèvent d’une recherche permanente d’équilibre – pour ne pas dire d’un travail d’équilibriste.
Avant chaque vendange, Jérôme se demande ce qu’il va faire avec le raisin de l’année. L’heure venue de l’égrégore – cette agrégation des énergies, qui est aussi le nom d’une cuvée – il puisera ici dans ses cuves inox, là dans ses foudres et tonneaux, ou dans ses cuves ovoïdes en béton, ou dans sa solera (une vraie solera espagnole, constituée depuis 1978)… Avec toujours cette notion de créativité, tendue vers une forme d’hédonisme à partager (« on ne crée pas pour soi-même »), et de joie (« sans joie, la vie n’a pas de saveur »). On y verra le secret de la signature Demière, toute en fraîcheur, vivacité, profondeur, émotion… Un champagne au caractère atypique qui se revendique ‘‘pour amateurs de grands champagnes’’. Pas moins.
Le futur, la famille Demière l’envisage déjà à travers un coteaux-champenois (commercialisé sous peu), une eau de vie de vin, un ratafia… Vers des vinifications différentes, aussi, dans la perspective, pour Jérôme, de faire ce qu’il n’a pas encore fait. Et entreprendre, encore et toujours.