Bon rendement mais prix en baisse, betteraves, une filière sous tension
Agriculture. L’année aurait pu être exceptionnelle si la jaunisse n’était pas venue jouer les trouble-fête. Dans un contexte général tendu, les producteurs de betteraves comptent sur le rendement alors que la concurrence européenne et extra-européenne fait rage.
Les années se suivent et ne se ressemblent pas pour la filière de la betterave sucrière, tant au niveau des rendements que des prix du marché. Cette instabilité demande une extrême agilité des producteurs dans un contexte « peu favorable au monde de la grande culture », estime Franck Sander, président de la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB). « Les charges ne cessent d’augmenter quand les prix de vente baissent ce qui conduit à une extrême tension des marchés », poursuit-il. Pour illustrer son propos, outre la pression sur les coûts de l’énergie et de la masse salariale, il prend l’exemple de l’augmentation de la taxe carbone et des produits azotés au 1er janvier 2026. Cette tension se retrouve sur le terrain, avec les deux derniers groupes familiaux sucriers qui ont arrêté leur activité, « l’un des deux a vendu à une coopérative », annonce Franck Sander qui alerte ainsi sur « un contexte morose ».
Un rendement national à 91 tonnes/HA
Un paradoxe, car la campagne 2025 est plutôt bonne. « Nous avons eu globalement de la chance », livre Nicolas Rialland, Directeur Général de la CGB. « Des semis très précoces ont permis de gagner un mois de végétation avec des précipitations qui sont arrivées au bon moment », indique-t-il. Une météo favorable qui permet un rendement national moyen de 91 tonnes à l’hectare (contre 80 tonnes / ha en 2024), avec cependant de fortes disparités, « de 104 tonnes en Belgique et dans les Hauts-de-France à 80 tonnes en Champagne ».
Des chiffres qui s’expliquent par l’apparition de la jaunisse une fois de plus cette année. « La recherche progresse mais n’offre pas encore de solution viable économiquement », déplore le Directeur général qui explique avoir sollicité des indemnisations dès les premières pertes importantes à cause de la maladie. Conséquence directe de ce manque d’alternative pour les producteurs, des abandons de production et donc des surfaces toujours en baisse. « Avec 396 000 ha semés (-3,4 % par rapport à 2024), la production 2025 atteint 36 millions de tonnes de betteraves à 16°, transformées dans 19 sucreries permettant de produire 4,3 millions de tonnes de sucre et 8,7 millions d’hectolitres d’alcool et d’éthanol. Un bon rendement mais en deçà du potentiel », fait savoir Nicolas Rialland. Car après une baisse durant 7 années consécutives, le rendement est cette année en hausse. « On demande beaucoup aux variétés : de la tolérance, de la résistance et un bon rendement. » Mais dans le même temps, les charges explosent, « de l’ordre de + 32% sur ces cinq dernières années, proches des 2 900 € par hectare », et les prix fluctuent du simple au triple.
Une concurrence au sein même de l’Europe
« Cette année, le prix de la tonne de betterave devrait être aux alentours de 30 à 35 € la tonne », annonce Franck Sander. Seul Saint Louis Sucre a dévoilé, à date, sa stratégie, à savoir « une rémunération attractive contre une baisse des surfaces ». Une volonté accueillie plus que tièdement par les producteurs, mais qui s’explique par une concurrence toujours intense des pays européens et extra-européens.
« On constate une évolution disparate des surfaces depuis une dizaine d’années avec une stabilité en France ces cinq dernières années sous quotas quand d’autres augmentent fortement comme la Pologne avec +35 % », rappelle le Directeur général de la CGB, qui souligne : « Nous considérons qu’il doit y avoir des ajustements de surface car le marché européen est à la peine mais que ce n’est pas en France que cela doit être fait ! » Et Franck Sander de rebondir : « On sacrifie nos agricultures à cause des importations, nous ne pouvons pas l’accepter », lance-t-il, appelant à joindre la mobilisation prévue le 18 décembre prochain initiée conjointement avec la FNSEA. « Dans le contexte de la PAC 2028, nous appelons à un sursaut de la Commission européenne et demandons un rééquilibrage entre dérégulation totale et interventionnisme excessif qui reposerait sur trois points : Actualiser les références de prix ; Automatiser et améliorer les outils existants (soutien au stockage privé, conversion de sucre en éthanol) ainsi que suspendre les importations destructrices de valeur, même dans le cadre d’accords existants. » Des demandes liées aussi bien au Mercosur qu’à l’importation massive de betteraves en provenance d’Ukraine (passées de 20 000 tonnes avant le conflit, à 700 000 tonnes lors de la campagne 2023-2024 pour une limitation à 100 000 tonnes lors de la campagne 2024-2025.)
400€/T sortie usine
Conséquence directe, un effondrement direct des prix spots. « En réaction au bon rendement européen, le marché spot frôle les 400 €/t sortie usine, un niveau pas vu depuis 2020 », insiste Nicolas Rialland. « Depuis la fin des quotas, la volatilité du marché du sucre européen devient impossible à gérer, elle est encore accentuée par l’ouverture aux marchés mondiaux, il est impossible de conserver une filière saine dans une telle situation », affirme Franck Sander.