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Blandin se tourne vers un avenir plus « vert »

Industrie. Les Établissements Blandin, spécialisés dans l’extraction et la vente de granulats alluvionnaires, sont confrontés à une profonde mutation de leur filière entre des ressources plus rares et une règlementation plus stricte. C’est pourquoi, ils donnent aujourd’hui une seconde vie à leur plus grand site en y accueillant le plus vaste parc solaire flottant d’Europe.

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Photo des sept étangs
Sept étangs sur 127 hectares accueilleront le plus grand parc solaire flottant d’Europe. (Crédit : DR)

L’avenir des carriers n’est pas des plus sereins. Il faut dire que la filière est une des plus surveillées en raison de son impact écologique fort sur les sols. Une mutation qui va de pair avec celle des matériaux utilisés pour le bâtiment. Véritable entreprise familiale, les établissements Blandin ont été fondés dans les années 20, par Eugène Blandin avec comme spécialité l’extraction de sables et de graviers.

Si, au début du XXe siècle, l’entreprise possède de nombreuses carrières dans tout le Nord Est de la France, au fil des ans, elle resserre son activité sur la Champagne et plus particulièrement dans la région de Châlons, à Recy, avec six gisements sur un périmètre d’une centaine de kilomètres. « Dans notre métier, il y a deux grands types d’activités : l’extraction de roche massive et l’extraction de tout venant, d’alluvions. Nous faisons ce deuxième métier », précise Mathilde Blandin, Directrice générale et quatrième génération à la tête de l’entreprise.

La spécificité de cette activité est que l’extraction se fait à faible profondeur, entre 3,5 et 4 mètres, contre une dizaine de mètres pour la roche massive. « Il faut donc beaucoup de superficie pour extraire plusieurs kilos de produits. » Les Établissements Blandin sont en conséquence en recherche permanente de nouveaux terrains pour creuser, une carrière ayant une durée de vie d’une trentaine d’années.

Deux possibilités s’offrent alors aux carriers : faire de la prospection géologique avec tous les accords nécessaires des communes, sur des sites très particuliers comme les bords de Marne où les alluvions sont naturellement présentes ou prospecter auprès de propriétaires terriens, la majorité étant des agriculteurs. « Aujourd’hui, nous sommes confrontés à des refus de communes de prospecter sur leur territoire, avec comme crainte le bruit, la poussière, la pollution », liste Guillaume Penart, Directeur d’exploitation et de foncier chez Blandin.

« Chaque commune a son PLU et si on ne peut pas interdire une carrière, en revanche, on est libre de ne pas l’autoriser à s’implanter. À cela, bien sûr, se rajoutent de nombreuses contraintes hydrauliques (proximité avec un cours d’eau, protection d’une zone environnementale classée) mais aussi archéologiques. » Car pour chaque site d’extraction, des fouilles doivent auparavant avoir lieu. Ce qui amène souvent à « sacrifier entre 20 et 25% de la parcelle prévue ».

Complexité des règlementations

Or, dans le même temps, l’entreprise a déjà lancé des études d’impact, qui peuvent non seulement durer jusqu’à deux ans mais aussi coûter jusqu’à 100 000 euros, « des dépenses nécessaires avant même d’être certain d’avoir une autorisation finale », précise Guillaume Penart.

« Le métier de carrier exige une vision à très long terme, sur au moins les trente prochaines années », souligne pour sa part Antoine Blandin, frère de Mathilde et Président des Établissements Blandin et de Marne Béton, entité née en 1975. Une complexité des règlementations qui vient freiner les transactions. « Une hérésie car beaucoup d’agriculteurs qui partent à la retraite n’ont pas de repreneurs. Or le prix d’un terrain de granulats alluvionnaires pour faire de l’extraction est cinq à six fois plus élevé que celui d’un terrain destiné à de l’exploitation agricole », indique Mathilde Blandin.

Un joli caillou

La majorité des produits extraits et transformés par l’entreprise ont comme destination le bâtiment, les travaux publics, les entreprises de négoce de béton mais aussi le secteur de la décoration et les paysagistes.

« Notre caillou est naturellement blanc et le process fait que nous en avons des coupes intéressantes. Nous avons choisi non pas de faire de la quantité avec des déchets mais plutôt de la qualité. On rend des produits très propres », fait savoir la jeune femme.

La propreté des produits, tout autant que celle des sites est importante pour l’entreprise marnaise. « Nous ne faisons pas de l’extraction de roche massive, nous n’utilisons pas d’explosifs et la préservation de l’environnement compte pour nous. Cela fait partie de nos valeurs », insiste Antoine Blandin.

« Un volet important de notre activité consiste d’ailleurs en la remise en état des sites », explique Guillaume Penard. « Les enjeux et contraintes sont minutieusement listés, tout ceci est étudié. Une fois la carrière arrivée à son terme d’exploitation, elle redevient un site naturel avec des étangs. Les poissons y reviennent, amenés par les hérons, via les branchages pour les nids qui peuvent contenir des œufs », développe-t-il.

Les Établissements Blandin, outre le fait de fonctionner en circuit fermé dans le pompage d’eau ont aussi renouvelé leur parc machine pour investir dans des véhicules hybrides, afin de limiter les nuisances mais aussi, limiter les coûts. Côté biodiversité, ils installent des nichoirs à chauve-souris et ré-enherbent les sites. « Nous nous devons d’être exemplaires dans nos pratiques, car nous sommes très contrôlés. Et si demain on fait n’importe quoi, on ne pourra plus ouvrir de carrière. C’est normal. »

Des panneaux solaires flottants sur 127 hectares

Dans la seconde vie des carrières, si beaucoup d’entreprises louent les étangs à des sociétés de pêche ou y développent des activités touristiques, les établissements Blandin ont eu l’opportunité d’être eux, contacté par un des plus gros acteurs des énergies renouvelables, Q ENERGY qui, intéressé par un de leur terrain de 127 hectares, a souhaité y implanter le plus grand parc solaire flottant d’Europe.

« Ce terrain a été acquis en un seul lot dans les années 80 par notre grand-père avec une exploitation qui a commencé en 1983. Une toute petite partie est toujours en cours mais la majeure partie du site initial a été totalement réamenagée », fait savoir Antoine Blandin.

Sept grands plans d’eau composent l’ensemble avec la particularité d’être rectilignes. Des structures flottantes viendront ainsi recevoir les panneaux solaires. D’une capacité installée de 74.3 MWc, la future centrale flottante alimentera en électricité l’équivalent de 37 000 habitants et permettra d’éviter le rejet dans l’atmosphère d’environ 18 000 tonnes de CO2 chaque année.

Élargir l’activité

134 649 panneaux solaires seront installés sur 6 îlots. Pour ce chantier d’envergure, Q ENERGY a conclu un partenariat avec un groupement d’entreprises qui aura en charge la maintenance de la centrale. « La conception des îlots solaires flottants prend en compte les besoins de l’écosystème aquatique environnant. Les matériaux utilisés sont durables et conçus pour minimiser les impacts environnementaux tout en maximisant l’efficacité énergétique. Les structures flottantes qui équiperont le site sont fabriquées par Ciel & Terre en France, permettant ainsi l’essor d’une filière nationale prometteuse », s’exprime Arnaud Goupil, Directeur Régional Solaire chez Q ENERGY.

Photo d'Antoine et Mathilde Blandin, Guillaume Penart
Antoine et Mathilde Blandin, Guillaume Penart (Crédit : ND)

« Cette centrale flottante est la première d’une longue série puisque nos équipes développent actuellement un large portefeuille de près de 300 MW de projets de ce type », poursuit-il.

Seconde vie « verte » pour la carrière et manne financière aussi bien pour l’entreprise propriétaire qui touchera de Q ENERGY un loyer dans le cadre d’un bail de location de 42 ans, que pour les collectivités locales, Département et Région, qui recevront l’équivalent en taxes, sur 30 ans, d’environ 7,5 millions d’euros. Le chantier qui devrait durer 18 mois pour une mise en service prévisionnelle début 2025, a fait l’objet d’un appel d’offres public et permettra à différentes entreprises locales d’intervenir.

« Cela faisait partie de nos demandes dans le cadre de la négociation », insiste la famille Blandin. Les retombées économiques indirectes seront aussi présentes, puisque la plupart des ouvriers du chantier seront logés dans les établissements hôteliers alentours. 60 personnes y travailleront quotidiennement. L’argent perçu par les Établissements Blandin sera « réinvesti dans l’entreprise et l’outil de production. Nous réfléchissons à élargir nos activités, la principale devant se raréfier d’ici 30 ans », confie la Directrice générale.

Une activité de négoce de cailloux colorés pour la décoration devrait ainsi rapidement voir le jour. Quant à la seconde entité du groupe, Marne Béton, spécialisée dans la fabrication et la livraison de béton prêt à l’emploi, elle s’oriente de plus en plus vers le développement durable. « Ce qui est très polluant dans le béton, c’est le composant principal du ciment, le clinker, obtenu après une cuisson à 1 800 degrés. Aujourd’hui, nous venons de signer un contrat en exclusivité avec une entreprise vendéenne, Green Hoffmann qui a mis au point un ciment bas carbone, qui émet quatre fois moins de CO2 que le ciment classique », se réjouit Antoine Blandin.

Les Établissements Blandin, qui comptent aujourd’hui 19 salariés, ont un chiffre d’affaires qui s’élève à 4,5 millions d’euros (10 M€ pour Marne Béton). Ils produisent chaque année 120 m3 de béton et 300 000 tonnes de granulats par an, et regardent vers un avenir différent et plus vert...