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Blanchiment : les cryptos dans le viseur des autorités

Cybersécurité. Pour mieux lutter contre le blanchiment d’argent ou le financement du terrorisme alimenté par les cryptomonnaies, le ministère de la Justice mobilise, sensibilise et forme magistrats et enquêteurs.

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(Crédits : SHUTTERSTOCK)

Avec plus de 25 000 crypto-actifs recensés dans le monde, l’acquisition et l’utilisation des cryptomonnaies devient de plus en plus accessible. Mais comme toute nouvelle technologie, notamment en raison de son caractère numérique, elle fait l’objet d’une surveillance particulière de la part de la Justice. Ainsi, la circulaire de politique pénale générale du Garde des Sceaux du 27 janvier 2025 demande à tous les magistrats de mettre la lutte contre le blanchiment des produits de l’ensemble des organisations criminelles parmi leurs priorités. Blanchiment issu du trafic de stupéfiants et des réseaux de cambriolages mais aussi via les cryptomonnaies et les actifs numériques. Ce phénomène de blanchiment se développe de plus en plus et permet aux délinquants de bénéficier des produits de leur délits dans un relatif anonymat.

« Posséder des cryptos est légal et leur utilisation est légale. La problématique c’est le mésusage, c’est-à-dire l’utilisation que vont en faire les délinquants pour récupérer des fonds avec une traçabilité compliquée pour les enquêteurs », précise Dominique Laurens, Procureure générale près la Cour d’Appel de Reims. « Sur notre ressort, nous n’avons pas encore de saisie-confiscation des cryptomonnaies. Mais c’est un vrai sujet de préoccupation car on voit bien que les délinquants sont jeunes, au fait des axes de blanchiment d’argent sale, rapide et efficace et ils n’ont pas de réserve par rapport aux cryptos ».

Dans le monde et aussi en France, les pratiques se multiplient et les forces de l’ordre comme les autorités judiciaires sont de plus en plus vigilantes face à ce phénomène.

Former Pour Mieux Lutter

Photo d'un séminaire de formations aux crypto-monnaies
Une soixantaine de magistrats et d’enquêteurs se sont réunis à Reims à l’initiative de la Cour d’appel pour un séminaire de formations aux crypto-monnaies. (Crédits : BB)

C’est pourquoi la Cour d’Appel de Reims a organisé un séminaire intitulé « Cryptos et monnaies numériques - Renforcer les connaissances et harmoniser l’interprétation des dispositifs législatifs et réglementaires relatifs à l’usage des cryptomonnaies ».

Animé par les interventions de représentants de l’Administration centrale du ministère de la Justice et du Parquet de Paris, spécialisés dans la lutte contre la cybercriminalité, la criminalité organisée, le blanchiment et le terrorisme, le séminaire s’adressait aux magistrats du siège et du parquet des tribunaux judiciaires et de la Cour d’appel de Reims, des enquêteurs de la police nationale et de la gendarmerie nationale, de l’Aube, de la Marne et des Ardennes, sans oublier des enquêteurs du groupe interministériel de recherches de Reims. Une soixantaine de personnes ont ainsi passé une journée à écouter et à échanger avec des experts des crypto-actifs et des juristes spécialisés dans la lutte contre cette criminalité.

« L’idée est d’avoir un premier niveau de formation de base pour l’ensemble des policiers, gendarmes et magistrats pour savoir comment on va repérer l’utilisation de cryptomonnaie par un groupe de délinquants », note la Procureure générale.

Selon une étude publiée par le cabinet d’audit et de conseil KPMG, 12% des Français, soit 6,5 millions de personnes, possédaient des crypto-actifs en 2024. Ils présentent un intérêt particulier pour les délinquants qui souhaitent faire disparaître le bénéfice qu’ils retirent de leurs crimes et délits. « L’objectif pour eux est de répartir le bénéfice de leur trafic entre l’argent liquide « classique » et la cryptomonnaie qui est intéressante pour eux, puisqu’elle offre un espace permettant de faire disparaître en une seconde les crypto-actifs et éviter qu’ils ne soient capturés par les services de police ou de gendarmerie, par exemple lors d’une perquisition ». L’enjeu pour les enquêteurs est donc de repérer au plus vite une clé USB ou une application sur un smartphone, avant que le délinquant ait eu le temps de les faire disparaître. Il s’agit donc pour eux de disposer des outils pour les identifier et d’agir le plus rapidement possible.

Marion Camaro est cheffe du département juridique de l’Agrasc (Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués). « Les cryptomonnaies sont des biens meubles corporels, elles font partie des actifs que gère notre agence, souligne-t-elle. Lorsqu’un mis en cause se fait appréhender avec des cryptomonnaies, elles arrivent chez nous, nous les gardons le temps de l’enquête et elles sont ensuite soit restituées, soit confisquées et donc revendues ». En cas de confiscation et de revente, le produit de ces ventes sera alors reversé au budget de l’Etat, au fonds de concours ou même… pour payer ce type de séminaire de formation organisé à Reims !

De Plus En Plus De Saisies

Fondée en 2010 et placée sous la double tutelle du ministère de la Justice et du ministère du Budget, l’Agrasc intervient dans les procédures pénales et a reçu la première saisie de cryptomonnaie réalisée par les magistrats français en 2014. « Nous saisissons de plus en plus mais il est difficile de donner un montant puisque nous avons dans notre portefeuille plus de 300 cryptos différentes avec toutes des cours différents et volatiles. En se basant sur les cours au moment de la saisie, depuis 2014, les magistrats ont saisi pour environ 90 millions d’euros de cryptomonnaies », souligne la magistrate. Un montant qui doit être sans doute revu à la hausse, au regard de l’évolution de la valeur de certaines cryptos. À titre d’exemple, le Bitcoin valait 40 000 euros début 2024, il en vaut aujourd’hui 95 000.

« Nous saisissons de plus en plus de cryptos », note Marion Camaro. « Les enquêteurs saisissent de plus en plus pour deux raisons : les délinquants vont de plus en plus vers la crypto et les enquêteurs sont de mieux en mieux formés, donc les identifient mieux lors des perquisitions ».

Si les plate-formes distribuant des cryptos en France sont contrôlées par l’Autorité des Marchés Financiers (AMF), qui édite d’ailleurs des listes noires des sites ne respectant pas ces obligations, cela n’est pas toujours le cas dans le reste du monde, ce qui ne facilite pas la tâche des enquêteurs. Ceux-ci disposent néanmoins d’outils techniques et d’investigations pour remonter la trace des cryptos sur la blockchain, qui est la technologie numérique de stockage et de transmission d’informations.

Et si la technologie se développe, la Banque de France continue d’alerter sur les trois principaux risques auxquels s’exposent les investisseurs : le risque de bulle spéculative (et donc de pertes importantes) en raison de la volatilité des cours, le risque de piratage informatique (la conservation des crypto-actifs n’offrant aucune protection en matière de sécurité des avoirs) et donc le risque de participer au blanchiment des capitaux puisque, par leur caractère anonyme, les crypto-actifs favorisent le contournement des règles relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et peuvent participer au financement du terrorisme ou d’activités criminelles. À savoir avant de se lancer.