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BHV de Reims : un nouveau nom et de nombreuses questions

Commerce. Exit les Galeries Lafayette, place au BHV. C’est sous une nouvelle enseigne que se dresse désormais l’iconique grand magasin rémois. L’arrivée de Shein a déclenché l’ire de la marque parisienne, alors que SGM tente, à l’échelle de l’Hexagone, de redresser la barre de dix magasins à la santé financière fragile, avec une stratégie controversée.

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Photo BHV de Reims
Malgré les décorations, l’esprit n’est pas à la fête au désormais BHV de Reims, avec encore de nombreuses interrogations avant l’arrivée de Shein. (Crédits : ND)

C’est une drôle d’ambiance qui règne au sein de celui qu’il faut désormais appeler le BHV. D’un côté, des corners qui se sont vidés à la vitesse de l’éclair, notamment avec le départ du groupe SMCP, propriétaire des marques Sandro, Maje, Claudie Pierlot et Fursac, de l’autre, les décorations de Noël et les promotions affichées dans le cadre du Black Friday, comme si de rien n’était… Il faut dire que la situation est complexe. Remontons un peu en arrière pour mieux comprendre les choses.

En mai 2022, le groupe SGM (Société des Grands Magasins), porté par la fratrie Frédéric (président) et Maryline Merlin (directrice générale déléguée) rachète sept Galeries Lafayette de province, dont celui de Reims. L’objectif ? Redynamiser des magasins en perte de vitesse, mais emblèmes du commerce de centre-ville. « Notre concurrent, c’est toujours la périphérie », assurait alors Frédéric Merlin. « L’opération immobilière est intéressante car les emplacements sont excellents », soulignait aussi celui qui applique à la lettre la maxime de tout professionnel de l’immobilier. Avec plus de 650 collaborateurs et 80 000 m2 de surface commerciale, l’enjeu est énorme.

À ce moment-là, SGM est alors propriétaire des murs et est franchisé Galeries Lafayette. Les marques à l’intérieur du magasin sont, elles, exploitées sur le modèle de la concession : elles louent un espace, emploient leur personnel, le chiffre d’affaires effectué sur le corner est encaissé par le grand magasin, puis une partie (après commission) est reversée à la marque, selon ce qui a été négocié. Pour la marque, être présent dans un grand magasin est un avantage en termes de visibilité et de légitimité mais également un moindre risque que d’ouvrir sa propre boutique : le coût d’entrée est plus faible que pour un point de vente indépendant et elle peut tester un concept, des collections ou une présence sans bail lourd.

Un démarrage colossal malgré les critiques

Mais alors que SGM essayait de trouver un rythme de croisière – perturbé pas de lourds délais de paiement aux marques hébergées dans les corners et attribués, selon le groupe, « plutôt à des problèmes logistiques et techniques que financiers » – la jeune foncière, créée en 2018, annonce avec fracas l’arrivée du géant chinois de la fast fashion, Shein. Levée de bouclier générale et désormais bras de fer entre l’État français et la marque aux 25 millions de clients français revendiqués qui, malgré les polémiques, s’est installée le mercredi 5 novembre au sein du BHV parisien, au coeur du quartier du Marais.

Or, si Shein cristallise les oppositions des institutions, des associations de commerçants et d’un grand nombre de citoyens, cela ne l’a pas empêché de faire un démarrage colossal avec « 50 000 visiteurs sur les quatre premiers jours et 8 à 10 000 visiteurs par jour depuis », annonce la société SGM, jointe par téléphone. « L’ouverture de la marque au BHV a été un réel succès même si nous avons entendu les remarques, sur les prix notamment, jugés trop élevés sur certains articles. Et ce sont ces ajustements que nous comptons faire en province. »

Bien que l’ouverture du corner Shein ait été initialement annoncée pour le 18 novembre à Reims, sa future implantation n’est pour l’instant matérialisée que par un ruban rouge interdisant l’accès au sous-sol du magasin, aucune nouvelle date n’ayant été communiquée. « Nous réfléchissons à l’agencement des 300 m2 de surface en moyenne au regard de notre expérience parisienne », indique sobrement la SGM, sans mentionner l’action judiciaire menée par douze fédérations du commerce et plus de 100 marques pour concurrence déloyale le mercredi 19 novembre, soit 15 jours après le lancement d’une autre procédure judiciaire, par le gouvernement cette-fois-ci, pour tenter de suspendre le site du géant asiatique après la découverte de la vente en ligne de produits à caractère pédopornographiques.

De nouvelles marques en remplacement des historiques ?

(Crédits : ND)

Dans ce tourbillon de polémiques, SGM tente de garder le cap, et, dans un courrier interne rendu public affirme : « L’espace Shein au BHV parisien est un succès commercial exceptionnel avec des performances supérieures à la moyenne du magasin. Le panier moyen dépasse les prévisions et les clients poursuivent leurs achats dans d’autres rayons : le succès profite à tout le magasin. Ce modèle sera bientôt déployé dans nos BHV en région, où la demande est déjà très forte et les projections prometteuses. »

Concernant la fuite de marques historiques, le groupe poursuit : « Ce qui se joue ici n’est pas une question de trésorerie, mais une question d’image. Certaines maisons souhaitent aujourd’hui se distancer d’un commerce plus ouvert, plus populaire, plus ancré dans la vie réelle. C’est leur choix ». Tout en imputant, pour certaines d’entre-elles, leur décision davantage à une baisse de rentabilité qu’à un positionnement de valeurs. En outre, Frédéric Merlin affirme : « Les équipes achats ont signé plus d’une centaine de nouvelles marques, preuve de la confiance du marché et du renouvellement permanent de notre offre. » Sans préciser toutefois le positionnement commercial de ces dernières… Marques haut-de-gamme, abordables ou elles-aussi, issues de la fast fashion ?

Le retail en souffrance

Car la difficulté aujourd’hui est de trouver un équilibre entre l’hécatombe du retail en France (depuis 2020, plus de 3 000 magasins ont fermé leurs portes dans l’Hexagone dont des marques majeures comme Camaïeu, Jennyfer, Esprit, Olly Gan, The Body Shop, Burton of London, Kaporal, etc.) et la sauvegarde de l’attractivité des coeurs de ville. Vincent Mansencal, président des Vitrines de Reims, est en lien quotidien avec la directrice du nouveau BHV et affirme affiner sa position sur le sujet depuis un mois et demi.

« Si ma position sur la question éthique et environnementale de la marque Shein est restée la même – elle doit respecter les normes européennes et françaises – je m’interroge davantage aujourd’hui sur ce que pourrait apporter au centre-ville et au commerce une telle implantation. D’un point de vue économique, on ne peut pas nier que cela correspond aussi à un besoin », indique le patron de la brasserie du Lion. Mais est-ce que mixer les offres au sein d’une même enseigne représentant le luxe et l’Art de vivre à la française est une bonne stratégie ? « Cela fait des années que les marques vont et viennent, il faut que l’on réfléchisse aujourd’hui à notre manière de consommer. La meilleure des solutions est de proposer plusieurs types de produits à des prix très différents. »

Faisant la promotion de ses adhérents, Vincent Mansencal indique ainsi qu’au centre-ville de Reims, plusieurs boutiques indépendantes proposent des articles très abordables mais faisant vivre le commerce local. « Une chose est sûre, il faut conserver de l’attractivité dans le centre-ville. » Car ce que ne souhaite pas le président des Vitrines de Reims c’est voir un centre désertifié et des magasins disparaître. « Cela fait 30 ans que j’entends régulièrement que les Galeries vont disparaître. Je préfère avoir une locomotive pour tous les commerçants plutôt qu’un programme immobilier. Le centre-ville est en mouvement. On attend par exemple une marque qui est très prisée aujourd’hui, Uniqlo. »

Avec un espoir, c’est qu’elle choisisse un emplacement stratégique au centre-ville, comme l’ancien Maxi Bazar, laissé vacant depuis l’échec du projet consistant à y installer un centre d’interprétation du champagne. « Nous avons 16 millions de touristes par an, il faut des boutiques emblématiques pour les accueillir. » Mais Vincent Mansencal refuse de ne pas voir les changements sociétaux de consommation, avec des clients qui se tournent par exemple de plus en plus vers la seconde main. « C’est à nous, commerçants, de réfléchir aussi à d’autres façons de faire, à nous réinventer », soutient celui qui, aujourd’hui, a ouvert un service de bagagerie en plus de son café Restaurant, place d’Erlon et qui lui rapporte en plus, « plusieurs centaines d’euros par mois ».

Identité et patrimoine

Car il en va non seulement de l’attractivité économique mais aussi de la sauvegarde d’une certaine identité. Tout comme la mode s’inspire du passé pour inventer le futur, peut-être peut-on y voir une allégorie dans le destin du BHV de Reims, qui, à sa création était déjà prénommé Grand Bazar, comme il en existait dans de nombreuses villes moyennes de France. Détruit entièrement pendant la Première Guerre mondiale, il fut reconstruit en 1922 et baptisé alors Magasins modernes, puis détruit par deux incendies successifs en 1930 et 1941, pour être définitivement réhabilité dans les années 60. Cette nouvelle dénomination couplée à une nouvelle stratégie commerciale entraînera-t-elle un renouveau de l’établissement ? L’avenir le dira…