À la Foire de Châlons, les agriculteurs en première ligne
Agriculture. La Foire de Châlons-en-Champagne sonne la reprise de la rentrée économique et politique. Elle est aussi une vitrine pour les agriculteurs ainsi qu’un lieu de débats sur les sujets agricoles du moment… et ils sont nombreux !

Ce n’était pas les vacances pour tout le monde. Car si les agriculteurs espéraient souffler un peu durant les mois de juillet et août – médiatiquement du moins – la loi Duplomb a été l’invitée surprise de l’été, venant relancer la défiance de certains concitoyens à leur égard et rappeler l’inégalité, au sein même de l’Europe, de l’utilisation des pesticides.
Un coup de projecteur ciblé sur l’acétamipride jugé réducteur par Hervé Lapie, président de la FDSEA de la Marne et vice-président de la FNSEA qui insiste sur l’ensemble des mesures contenues dans la loi Duplomb : « Il n’y a pas que le sujet de l’acétamipride. La loi Duplomb a beaucoup été réduite à ça, mais globalement elle répond à l’ensemble de nos revendications syndicales depuis un an et demi pour simplifier la vie des agriculteurs. Nous avons obtenu des allégements sur la suppression du conseil stratégique qui ne servait à rien et coûtait cher, la simplification des mesures d’élevage, et un retour à une harmonisation européenne. Il y a aussi l’accélération du déploiement de l’assurance prairie, où il y avait des failles dans le dispositif, et la question du stockage de l’eau. »
Concernant l’harmonisation européenne. « Dans un marché unique, il faut des règles uniques », martèle Hervé Lapie qui prend donc l’exemple de l’acétamipride contre lequel la pétition citoyenne a récolté 2,1 millions de signatures, conduisant le Conseil constitutionnel à censurer sa réintroduction. Mais loin d’être dogmatique, l’éleveur porcin précise : « Nous n’avons jamais été hostiles à supprimer des molécules quand elles sont dangereuses. C’est aux scientifiques de se prononcer sur ce sujet, mais si c’est autorisé ailleurs, pourquoi ce serait interdit en France ? Ça nous met en distorsion de concurrence. »
Du côté de la Coordination rurale, la présidente nationale, Véronique Le Floc’h indique également prendre acte de cette décision mais alerte sur le principe de concurrence déloyale : « Typiquement, les produits comme le Nutella utilisent des noisettes qui viennent d’ailleurs, en grande partie de Turquie. En France, nous ne sommes autosuffisants qu’à hauteur de 12 % en noisettes. Pour nous, ces aliments ne doivent plus être vendus puisqu’ils utilisent des produits d’importation élaborés à partir de molécules non autorisées non seulement en France mais aussi en Europe ! Nous sommes prêts à respecter les lois, nous l’avons toujours fait. Mais nous ne pouvons pas accepter une concurrence déloyale qui est voulue et encouragée par nos politiques. »
Une opposition toujours farouche au Mercosur
Une concurrence vouée à s’accroitre avec la signature du compromis, fin 2024, du traité du Mercosur, entre l’Argentine, le Brésil, le Paraguay, l’Uruguay et la Commission européenne, compétente en matière commerciale. Une signature certes mais pas une ratification : « La France, avec son président, a la possibilité d’opposer son veto. On attend qu’il martèle qu’il est contre l’accord et qu’il refuse toute négociation », veut croire Hervé Lapie.
Car cette concurrence s’accompagne de normes complètement différentes entre la France et les pays d’Amérique du Sud. « On ne peut pas nous imposer des contraintes et importer des aliments qu’on n’a pas le droit de produire chez nous. La volaille, en Amérique du Sud, est produite avec des activateurs de croissance interdits en Europe depuis 20 ans. Le maïs ? Plus de 20 molécules interdites en Europe mais autorisées là-bas. Le miel : 45 000 tonnes importées dans l’accord, alors qu’on en produit 20 à 30 000 en France », rappelle-t-il arguant que « le pire, c’est que ce sont des productions que l’on fait déjà chez nous : viande bovine, volaille, porc, sucre, éthanol, miel. Ce ne sont pas du café, du cacao ou du coton. »
Car l’agriculture répond à toute une filière, du sol jusqu’à l’usine de transformation. « Avec les modifications de la nouvelle PAC, l’agriculture est condamnée, pour servir les intérêts de l’industrie agroalimentaire, automobile et autres. C’est un très mauvais signal. Seulement entre 3 et 7 % des produits importés sont contrôlés. On préfère contrôler les agriculteurs plutôt que les importations. Ce n’est pas encourageant, ni pour ceux qui sont en place, ni pour ceux qui voudraient s’installer », martèle Véronique Le Floc’h.
Et si le syndicat, qui veut « des prix mais pas des primes », s’est à l’origine constitué contre la Politique agricole commune, il souhaite aujourd’hui un rééquilibrage des relations entre agriculteurs, producteurs et industriels. « Nous avons toujours des prix bas, des aides qui baissent, des contraintes qui augmentent et une inflation qui explose », estime la présidente nationale de la Coordination rurale. « Cultiver l’indépendance pour récolter la liberté est notre crédo. Cela signifie lutter contre la domination de l’Europe, de l’agro-industrie et de la finance. Nous voulons rester des paysans auxquels on fait confiance, capables de produire. Mais si on nous retire des moyens sans en donner d’autres, on perdra tout. »
60% du territoire champardennais occupé par des surfaces agricoles
En Champagne-Ardenne comme ailleurs, les filières sont installées depuis des décennies avec des millions d’euros d’investissement chaque année. En effet, plus de 60 % du territoire est occupé par les surfaces agricoles utiles (environ 1,54 million d’hectares), ce qui en fait l’une des régions les plus fortement agricoles de France. Elle se distingue notamment par ses grandes cultures faisant d’elle la 2e productrice nationale de blé tendre, orge, betteraves sucrières, luzerne déshydratée, pois protéagineux, oignons et colza : « Les agriculteurs produisent ce qui se vend, adapté à leur sol, leur climat, et au marché. Dans la Marne, on a beaucoup d’agroalimentaire : orge, blé, betterave pour le sucre et l’éthanol… Les filières sont déjà installées. On ne va pas produire ce qui n’a pas de marché. La betterave, notamment, valorise bien les sols crayeux de Champagne. Une fois qu’on est lancé dans une production, avec du matériel et des investissements, on ne peut pas changer du jour au lendemain », indique Hervé Lapie, lui-même à la tête d’une exploitation porcine dans la Marne.
Car développer de nouvelles variétés prend du temps, pour les betteraves par exemple, une variété résistante aux pucerons, « c’est 10 à 15 ans de recherche ». Tout comme faire une transition en bio qui prend au moins quatre ans.
Recul du bio
Un temps long qui ne correspond souvent pas au temps politique. Ainsi, les annonces de réduction drastique de budget de l’Agence bio – passant de 18 millions d’euros en 2024 à 8,6 millions d’euros en 2025 – si elles sont comprises dans un souci d’économies de la part de l’État, doivent répondre à un certain pragmatisme selon la FNSEA. « Nous avons clairement demandé le maintien de l’Agence. Sur le bio, nous avons accompagné la filière en crise grâce à des aides depuis deux ans. Mais il faut avoir un discours de vérité : si le marché ne peut rémunérer que 10 à 15 % en bio, inutile de vouloir forcer à 30 %. Les agriculteurs sont pragmatiques : ils iront vers le bio si c’est rémunérateur. »
En France, la part de la consommation bio diminue depuis quelques années, passant de 6,4 % en 2021 à 5,6 % en 2024. Et en 2023, la part des surfaces agricoles en bio, a, pour la première fois, reculé. Pour soutenir cette filière fragilisée, Hervé Lapie rappelle l’engagement des collectivités à ce sujet en matière de restauration collective. « La consommation de bio a baissé ces dernières années. Certaines filières redémarrent, d’autres non. Par exemple, en betterave ou en porc, le marché bio est très compliqué : la carcasse entière n’est pas valorisée, seulement certaines pièces comme le jambon. En revanche, en légumes, la situation s’améliore, et en céréales, les cours du blé bio reprennent des couleurs », précise-t-il.

« En France, le lait bio est payé moins de 50 centimes le litre au producteur, alors qu’aux Pays-Bas il est payé 74 centimes, et en Belgique 68 centimes. Cela signifie qu’en France, le bio est vendu plus cher aux consommateurs mais payé moins cher aux producteurs avec une marge qui va dans les mains des industriels et des distributeurs », dénonce pour sa part Véronique Le Floc’h.
Tous ces sujets seront abordés au sein de la Foire de Châlons, aussi bien sur les stands des syndicats agricoles qu’auprès des politiques. Entre 2010 et 2020, la France a perdu 100 000 fermes.