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L’Aéroport de Vatry réduit sa voilure pour réussir sa privatisation

Equipement. Modification du mode de gestion, en cours avec un prestataire en assistance juridique, conseil et accompagnement et remise en cause de la pertinence de l’EPIC, le Conseil Départemental de la Marne entame un grand toilettage d’été pour rendre plus présentable l’aéroport de Vatry aux futurs acquéreurs.

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Photo de l'Aéroport de Vatry
Depuis 2017, année pleine de la mise en place de l’EPGAV, la moyenne annuelle de fret s’établit à 17 350 tonnes et celle des voyageurs à 70 360 places. (Crédit : CD51)

Dans l’immédiat, la dernière séance plénière du Conseil Départemental a pris acte des mesures d’urgence : réduction du tiers des salariés (38 sur 116), pour adapter le personnel à la forte baisse d’activité, avec une charge en baisse de 43% et un budget prévisionnel 2023 (9,9 M€) en baisse de 37% par rapport à 2022.

Face à un déficit devenu structurel, les subventions d’exploitation (5,3 M€) sont en hausse de 35% et couvrent désormais 53% des recettes.

L’aéroport de Vatry coûte de plus en plus cher et son actuelle activité en berne, impactant les finances de l’EPGAV, Etablissement Public de Gestion de l’Aéroport de Vatry, pousse le Président du Conseil Départemental de la Marne à prendre des décisions dès cet été : « Il s’avère indispensable de mener une réflexion sur la possible modification de son mode de gestion et potentiellement de son repositionnement ».

D’où l’aide supplémentaire de 450 000 euros en section investissement, apportée à l’EPIC, l’Etablissement Public Industriel et Commercial, ce dernier mis en place par le Département de la Marne, le 8 juillet 2016.

Des subventions pour mieux vendre Vatry

Pour Christian Bruyen : « Cette nouvelle subvention mise à permettre un contexte favorable à l’engagement possible de partenaires privés dans la gestion de l’aéroport et l’étude menée quant à la modification ». D’ores et déjà, le Département de la Marne a fait appel à une mission d’assistance juridique de conseil et d’accompagnement quant aux possible modes de gestion pour l’avenir.

Cette prestation est en cours depuis le début de ce mois. Par ailleurs, Vatry devrait accueillir un nouveau Directeur dans le courant de l’été. Pour le Président Bruyen : « Le mode de gestion en EPIC montre aujourd’hui ses limites dans le développement du quotidien de l’aéroport dans son activité commerciale ».

Aujourd’hui, Christian Bruyen fait du benchmarking au Benelux, s’apprête à rencontrer, à deux reprises, des futurs investisseurs chinois et toilette l’équilibre financier de l’EPGAV, condition indispensable à l’accueil de nouveaux partenaires. Le temps presse, le Président étant aussi orienté vers sa probable élection aux prochaines sénatoriales du 24 septembre.

La fin du modèle Etablissement Public Industriel et Commercial

C’est donc vraisemblablement la fin de l’EPIC, une forme de gestion d’ailleurs relativement rare pour un aéroport en France. De fait, sur les 171 aéroports membres de l’UAF, l’Union des Aéroports Français, cinq d’entre eux sont gérés par des EPIC : Vatry, Metz-Nancy-Lorraine, Châteauroux, Albert-Picardie et Bâle-Mulhouse.

Les autres formes de gestion sont des syndicats mixtes, des collectivités territoriales, des sociétés, des associations ou des chambres de commerce et d’industrie. Toutes formes de gestion confondues, seulement 9% des aéroports français sont rentables.

Les pistes d’avenir étaient ambitieuses à l’ouverture, voici 23 ans, avec une projection d’activité de 150 000 tonnes de fret par an en 2010, à comparer au bilan 2022 de 17 950 tonnes, huit fois moins que cette perspective qui correspondait cependant à la capacité de l’aéroport.

L’activité aéroportuaire de Vatry a connu deux années fastes : 2008 avec un fret de 40 455 tonnes et 2016 avec près de 135 000 voyageurs. Depuis 2017, année pleine de la mise en place de l’EPGAV, la moyenne annuelle de fret s’établit à 17 350 tonnes et celle des voyageurs à 70 360 places. Ex 7e aéroport français de fret, Vatry recule de deux places en un an.

Et cependant, conforté dans son rôle de défense d’un équipement structurant de son territoire, le Département de la Marne, dont l’exploitation d’un aéroport n’est pas une compétence obligatoire, ose le pari de 120 000 tonnes de fret (Conseil d’Administration du 28 juin 2022). Six mois plus tard le bilan 2022 est de 18 474 tonnes.

N’importe quelle entreprise privée d’un modèle économique classique n’aurait pu survivre. L’Aéroport de Vatry, avant même l’instauration de l’EPGAV, a toujours été une entreprise subventionnée par l’argent publique.

À propos de l’approbation de la convention annuelle de financement entre la Région Grand Est et l’EPGAV, le PV du Conseil d’Administration de l’EPIC, en date du 10 mars 2023, publie le bilan des aides publiques en faveur de la nouvelle structure depuis sa mise en place.

En cinq ans, Vatry a bénéficié de 17,4 M€ d’aides des collectivités (56% du Département, 29% de la Région Grand Est et 14% de la Communauté d’Agglomération de Châlons-en-Champagne).

Dans cette même délibération, le budget prévisionnel de 2023 de Vatry annonce un total de 4,1 M€ de subvention, dont 3,1 M€ assumés par le Département de la Marne. à ces subventions des collectivités s’ajoutent des subventions d’Etat attribuées aux aéroports de petites tailles.

60 millions d’argent public en 23 ans

Au vu des résultats de 2022, Vatry baisse la voilure. Les dépenses d’exploitation 2023 passent de 15,2 à 9,9 M€, soit une baisse de 35% et les dépenses d’investissement de 870 000 à 250 000 euros, soit une baisse de 71%. Tant pis pour le modèle économique, dans cette projection, quasi-confirmation de certains bilans antérieurs, les subventions représentent 53,2% de l’activité et le chiffre d’affaires 46,8%.

La projection des ventes et prestations est estimée à -59% et les subventions à +36%. Pour information, les ressources des EPIC sont en règle générale essentiellement alimentées par les redevances payées par les usagers. Et comme ce n’est pas le cas actuellement pour Vatry, c’est le contribuable qui paie.

Les dettes de Vatry sont compensées par les collectivités, en l’occurrence, la Région, l’Agglomération de Châlons-en-Champagne et le Département de la Marne. Depuis sa création l’aéroport de Vatry a bénéficié de près de 60 M€ de subventions publiques. Et comment faire autrement ?

À une question de Jean-Pierre Fortuné, Conseiller départemental et Maire de Tinqueux, sur « encore des subventions ? », la réponse de Christian Bruyen et de Jean-Marc Roze, lors de la dernière séance plénière du Conseil Départemental est sans ambigüité : « C’est cela ou on arrête ! » Le spectre se dresse. Stopper l’activité de Vatry, ne serait-ce que provisoirement, c’est précipiter sa mort, or l’outil, paroles d’experts, est au top.

Plutôt subventionner que fermer, c’est la politique du Conseil Départemental. Il a coûté cher et coûte encore, et surtout en argent public. Mais, est-il possible de mettre un aéroport en jachère ? La réponse de la Marne est évidemment non.