Un écrin pour la langue française à Villers-Cotterêts
Patrimoine. Inaugurée le 30 octobre par Emmanuel Macron, la Cité internationale de la langue française est le plus important projet porté par un Président de la République en dehors de Paris.
Près de 5 ans de travaux, un budget de 210 millions d’euros, 23 000 m2 de domaine à restaurer, 265 000 ardoises, 220 entreprises, 600 compagnons, 65 corps de métier mobilisés... pour célébrer la langue française et lui donner l’écrin qu’elle mérite, Emmanuel Macron n’aura pas lésiné sur les moyens. Venu inaugurer en personne la Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts (Aisne) qu’il a lui-même initiée dès 2017, le Président de la République qualifie même le projet de « rêve fou ».
Il faut dire, que lors de sa visite de ce qu’il reste du Château de Villers-Cotterêts en 2017, il ne reste pratiquement rien de ce qui a fait de cette bâtisse un des symboles de l’unité française. Abandonné depuis 2014, après avoir tour à tour abrité, au cours des siècles, une caserne, un hôpital militaire, un asile pour mendiants, un hospice, la Kommandantur allemande lors de la Seconde Guerre Mondiale, et, plus récemment, une maison de retraite. Pourtant, construit dès 1532 pour François 1er, ce dernier en avait fait un lieu de chasse et de séjours réguliers pour ses gouvernements.
C’est surtout ici même que le Roi de France signera l’un des textes fondateurs de l’unité française aux yeux de nombreux historiens : l’Ordonnance de 1539, qui impose que tous les actes du Royaume soient désormais « prononcés, enregistrés, délivrés aux parties en langage maternel français et non autrement ». Cette Ordonnance, qui est l’un des textes juridiques les plus anciens en vigueur en France, impose donc la langue française à une époque où le latin était encore courant dans les écrits.
« Le français devient alors, par cette ordonnance, la langue de nos lois, de nos textes, la langue de la justice, et elle devient alors symboliquement et réellement ouverte à la compréhension de tous et non plus réservée simplement aux clercs et aux lettrés », souligne Emmanuel Macron. Un morceau d’Histoire qui explique la volonté présidentielle, non seulement de réaliser pour la première fois un monument consacré à la langue française, mais aussi de le concrétiser dans ces lieux.
« La langue française est un ciment »
Au-delà du projet architectural et patrimonial, la Cité internationale de la langue française de Villers-Cotterêts revêt d’autres enjeux, et c’est bien le message que le Président est venu passer en personnes devant un parterre de quelque 500 invités et une presse très nombreuse, tous réunis sous l’imposante tente dressée dans la cour du Château pour écouter le discours présidentiel à l’abri des éléments, qui étaient bien de saison automnale ce jour-là...
Malgré une actualité internationale chargée et un contexte national tout aussi lourd - l’inauguration était initialement prévue le 19 octobre mais avait dû être reportée en raison des obsèques de Dominique Bernard, le professeur de français assassiné le 13 octobre dernier, NDLR -, Emmanuel Macron assume sa présence à Villers-Cotterêts et plus encore, veut donner à ses paroles une résonance toute particulière, dans ce contexte.
« La langue française bâtit l’unité de la nation et la langue française est une langue de liberté et d’universalisme. Ces deux raisons, dans le moment que nous vivons, suffisent à justifier l’importance de ce projet et du moment que nous partageons. Notre unité d’abord, à un moment où les divisions reviennent, les haines ressurgissent où on voudrait renvoyer les communautés dos-à-dos, les religions, les origines ; la langue française est un ciment. C’est un ciment. Et elle explique très bien notre rapport tout à la fois à la Nation qu’à la République. Elle est ce qui nous forge », a lancé le Président de la République.
« Mais surtout, nous sommes un pays qui s’est unifié par la langue. C’est le cœur même du choix politique fait par François 1er en 1539. Face à tous ses royaumes et ses duchés, unifier la langue dans ses textes administratifs, c’était en quelque sorte lutter contre toutes les forces centrifuges, tous les irrédentismes et tous celles et ceux qui voulaient bousculer le royaume. À chaque moment important, la langue a joué ce rôle ».
« Ne pas céder aux airs du temps »
L’occasion aussi de remettre la langue au cœur de l’actualité, à quelques mois de la sortie de la nouvelle édition de l’Académie Française, et de saluer la travail effectué par la vénérable institution : « L’Académie française, à cet égard, est un travail tout à la fois de normalisation, d’uniformisation pour être sûr que les bons mots sont là face à toutes ces langues vernaculaires ou à ces divisions, à ces incompréhensions. Mais elle est un travail façonnant l’unité du royaume et de la nation ».
Au cours de son plaidoyer pour la langue française, le Président n’a pas manqué à la fois de louer l’évolution de la langue à travers les époques et les frontières, d’évoquer son rayonnement international (plus de 320 millions de personnes parlent le Français dans le monde), mais aussi d’adresser un message clair aux militants de l’écriture inclusive, appelant notamment « à ne pas céder aux airs du temps ».
« Il faut permettre à cette langue de vivre, de s’inspirer des autres, de voler des mots, y compris à l’autre bout du monde, de continuer à inventer, mais d’en garder aussi les fondements, les socles de sa grammaire, la force de sa syntaxe. Dans cette langue, le masculin fait le neutre. On n’a pas besoin d’y rajouter des points au milieu des mots ou des tirées ou des choses pour la rendre visible ». Après un précieux détour historique, place donc au retour à l’année 2023 et à certaines réalités de son époque.