Catherine Vautrin : « Le sujet-clé c’est l’employabilité »
Travail. Entretien avec Catherine Vautrin. La ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités est en charge de la totalité des comptes sociaux du pays, qui représentent une dépense sur deux de l’Etat.
Depuis son bureau de la rue de Grenelle, la ministre du Travail, de la Santé et de la Solidarité pilote plusieurs réformes de fond, dont celle de l’assurance chômage. Entretien.
Petites Affiches Matot Braine : Dans son discours de politique générale, le Premier ministre a déclaré vouloir "désmicardiser la France”. En tant que ministre du Travail, où en êtes-vous dans la poursuite de cet objectif ?
Catherine Vautrin : Notre sujet, c’est d’abord de mettre en avant l’émancipation par le travail. En d’autres termes, on veut reconnaître le travail. Depuis 2021, il y a eu 7 augmentations du SMIC, soit une augmentation globale de 13 %. Mais les salaires qui sont juste au-dessus n’ont pas suivi la même courbe.
Une partie de nos concitoyens considère que la situation est plus difficile parce qu’ils sont suffisamment à l’aise pour ne jamais bénéficier d’aucune aide, en revanche pas suffisamment pour ne pas compter. Deux économistes, Antoine Bozio et Etienne Wasmer, ont été missionnés pour objectiver les problèmes et pour nous proposer des options. Ce rapport sera rendu fin juin et à partir de là, nous serons en capacité de faire des propositions. Notre cible, c’est la population qui est juste au-dessus du SMIC.
De nombreux chefs d’entreprise estiment que si on baissait les charges, on valoriserait mieux le travail.
Catherine Vautrin : J’ai lu la lettre du Medef adressée à tous les parlementaires, qui traitait davantage de l’assurance chômage et avec notamment un sujet de baisse de charges et un sujet de baisse de CVAE, mettant en avant une baisse de production de la France. Nous n’en sommes pas là. Aujourd’hui, il n’y a pas de solution tranchée, donc je ne ferai aucune annonce sur le sujet à ce stade-là.
Il y a aussi une question qui a souvent été évoquée, c’est celle des branches qui sont encore en-dessous du SMIC...
Catherine Vautrin : Personne n’est payé sous le SMIC, mais l’augmentation du SMIC tasse l’échelle des salaires en créant un point d’accumulation au niveau du SMIC et offre peu de perspectives d’évolution aux salariés qui se trouvent en bas de la grille. Nous avons besoin de travailler sur le sujet, parce que, dans certaines branches, les systèmes de classification n’ont pas été revus depuis très longtemps, alors qu’ils devraient l’être régulièrement. L’évolution des salaires ne se fait pas parce que les grilles n’ont pas évolué. C’est pour favoriser la progression des salaires que nous travaillons.
On parle évidemment en ce moment d’un ralentissement de l’activité quand, dans le même temps, de nombreuses entreprises et secteurs d’activité cherchent de la main d’œuvre. Comment mettre fin à ce paradoxe ?
Catherine Vautrin : C’est tout notre sujet. Au moment où on se parle, il y a 350 000 emplois non pourvus dans les entreprises de plus de 10 salariés. Avec la mise en place de France Travail, nous allons chercher des bénéficiaires du RSA qui, pour nombre d’entre eux, n’ont pas travaillé depuis longtemps. Il s’agit de les rencontrer, de faire un point de situation en regardant tous les freins à l’emploi - ça peut être la garde d’enfant, le logement, le transport - puis on détermine avec eux leur projet et les formations nécessaires. Il faut pouvoir tenir compte des aspirations exprimées. Ces personnes peuvent ensuite être placées en immersion dans des entreprises partenaires, ce qui leur permet de retourner vers l’emploi tout en découvrant le métier qu’ils ont choisi. En parallèle, on développe les formations liées aux métiers en tension.
Quels sont les premiers résultats de cette expérimentation lancée en début d’année 2024 ?
Catherine Vautrin : Sur une première cohorte de 5 000 personnes, 40% étaient en emploi au bout de quelques mois. On voit donc que cela fonctionne de façon extrêmement intéressante, d’autant que cela permet vraiment d’aller chercher des gens qui étaient très loin de l’emploi. Nous avons débuté avec 18 départements et le mois dernier, nous avons décidé de l’étendre à 47 départements, soit un département sur deux dans l’Hexagone. Les premiers retours des personnes accompagnées sont positifs. L’approche globale de leur situation et la meilleure coordination des personnes qui les accompagnent sont identifiés comme des facteurs clés.
Un sujet qui a un lien direct avec celui de l’assurance chômage qui est un autre de vos dossiers importants du moment…
Catherine Vautrin : Le maître-mot de l’assurance chômage c’est que plus la personne reste longtemps au chômage, plus elle perd son employabilité. Les DRH sont unanimes sur le sujet : on perd le savoir-être, on perd les compétences et c’est un énorme gâchis. Donc l’acte 1, c’est de former pour préserver l’employabilité. C’est vraiment l’élément majeur.
Ça paraît simple. On se demande pourquoi personne n’y avait pensé plus tôt ?
Catherine Vautrin : On a vécu longtemps une période de chômage de masse. Ce n’est plus le cas. Je rappelle quand même que c’est cette majorité qui, depuis 2017, a ramené plus de 2 millions de personnes dans l’emploi. Les enfants du baby-boom vont partir en retraite et on a donc absolument besoin d’organiser cette succession pour faire tourner nos entreprises. Quand on parle de réindustrialisation, on a de très beaux projets dans différents domaines, qui s’agisse de l’industrie pharmaceutique pour notre souveraineté, qu’il s’agisse du domaine automobile avec tout ce qui va se faire au Havre ou autres… ce sont des milliers d’emploi qui seront bientôt à pourvoir.
Dans ces perspectives, il faut absolument, qu’on ait de la main d’œuvre formée. Je l’ai vécu comme présidente de la Communauté urbaine de Reims, la première question posée par les entreprises qui veulent s’installer sur un territoire c’est : quelle est la qualité du bassin d’emploi ? Cette notion d’employabilité est vraiment majeure c’est cela qu’il faut réellement travailler aujourd’hui.
L’emploi des seniors est plus que jamais au cœur de l’attention avec la réforme des retraites et l’allongement du temps de travail…
Catherine Vautrin : L’emploi des seniors, c’est un enjeu de compétitivité, mais c’est aussi un enjeu de fraternité vis-à-vis de nos concitoyens qui sont au chômage et qui veulent retravailler. Ça n’est pas parce qu’on est en deuxième partie de carrière qu’on n’est pas employable. Tout le sujet, c’est comment on fait en sorte de maintenir les personnes dans l’emploi et comment on accompagne ceux qui ont perdu leur emploi à en retrouver un.
Et il y avait d’ailleurs, dans la réflexion des partenaires sociaux, quelque chose que je trouvais très intéressant, qui était un bilan à mi-carrière qui était un bilan que j’appelle à 360 degrés, qui avait comme particularité de pouvoir faire un point avec la personne. L’enjeu est de voir quelles sont à la fois l’usure personnelle et les aspirations du salarié, pour voir comment celui-ci pouvait se projeter sur les 20 dernières années. Parce que finalement, à 40-45 ans on est à mi carrière. La question, c’est : concrètement, comment je peux anticiper, quelles sont les opportunités ?
J’ai rencontré des entreprises qui ont de vrais programmes extrêmement intéressants, comme L’Oréal, par exemple, qui a un important programme senior, avec de l’accompagnement des gens qui arrivent, avec des capacités de formation, des bilans de santé… La finalité c’est avoir le bon emploi tout au long de la vie, tout comme avoir la bonne santé tout au long de la vie. C’est très important de parvenir à articuler tous ces éléments.
Où en est-on dans les discussions des partenaires sociaux ?
Catherine Vautrin : La négociation paritaire sur le pacte de la vie au travail a échoué et je le regrette. À partir du moment où il n’y a pas d’accord, il y a deux sujets. L’augmentation du taux d’emploi des seniors reste évidemment une priorité forte du Gouvernement, et nous allons continuer à y travailler en concertation, en nous inspirant des travaux des partenaires sociaux.
Sur l’assurance chômage, il faut avoir en tête que les règles actuelles d’indemnisation des demandeurs d’emploi s’arrêtent le 30 juin. Nous devons donc agir en responsabilité, et rapidement, pour organiser la suite. Nous prendrons donc un décret de carence.
L’objectif premier, je le rappelle, c’est le retour rapide des demandeurs d’emploi à l’emploi. Nous allons voir sur quels paramètres de l’indemnisation du chômage nous allons travailler pour favoriser ce retour.
Favoriser l’employabilité des seniors c’est aussi casser cette habitude de certaines entreprises de proposer des pré-retraites à partir d’un certain âge ?
Catherine Vautrin : C’est une vraie question et elle appelle celle de savoir comment on peut valoriser et transmettre les compétences. Avec le départ en retraite de la génération du baby-boom on ne peut pas se permettre de perdre ses compétences. Il y a des programmes de compagnonnage avec des plus jeunes, qui doivent être menés, avec un enjeu aussi, celui de valoriser cette deuxième partie de carrière. Je veux promouvoir ces bonnes pratiques.
C’est vrai qu’il y a aussi une différence entre les entreprises, entre les grands groupes, et les petites entreprises, qui ne sont pas toujours équipées des moyens d’accompagnement ou de formation.
Catherine Vautrin : C’est aussi le rôle des branches. Je pense qu’il est important que les branches, les organisations patronales, puissent accompagner les PME, pour qu’il y ait une meilleure information du salarié. Les patrons de PME sont sur tous les fronts, mais leur première richesse, c’est leur personnel, leur équipe.
Ils s’en rendent d’autant plus compte quand un de leurs collaborateurs s’en va. Un des moyens d’anticiper c’est particulièrement de travailler à l’employabilité et à l’évolution du salarié. D’où l’importance de la formation, qui est un sujet majeur. Et la formation va être d’autant plus importante avec les défis qui arrivent, notamment celui qui est lié à l’intelligence artificielle.
L’intelligence artificielle n’est pas une menace, elle peut être une très grande opportunité dès lors qu’elle est anticipée. L’arrivée de l’intelligence artificielle, c’est à-peu-près la même révolution qu’internet. Donc le sujet de la formation est absolument majeur.
Travail, santé, solidarité… Il existe des passerelles assez logiques entre les différents ministères dont vous avez la charge. Comment les articulez-vous ?
Catherine Vautrin : Il y a énormément de passerelles, et notamment, pour les carrières. C’est un sujet qui m’interpelle beaucoup, parce qu’on voit que, dans le domaine de la santé comme dans le médico-social on a du mal à recruter. Avoir la capacité de faire des passerelles c’est donc, par exemple, proposer à une infirmière qui est en milieu de carrière et qui commence à être fatiguée du rythme nuit et jour, par exemple, d’aller pourquoi pas travailler demain en tant qu’infirmière dans un lycée où l’approche est différente et où les contraintes sont différentes. C’est par exemple la puéricultrice qui souffre d’arthrose, qui a du mal à se baisser pour s’occuper des petits, qui, demain, peut-être l’assistante médicale d’un médecin libéral.
Je vais lancer prochainement une campagne sur le sujet des métiers de l’humain qui sont à la fois des métiers du cœur, mais aussi des métiers de la présence et des métiers du soin, qui nécessitent beaucoup d’engagement et pour lesquels il faut absolument qu’on ait une meilleure visibilité sur les évolutions des carrières.
La santé au travail est également un sujet dont vous avez déjà annoncé vouloir vous saisir de manière très sérieuse...
Catherine Vautrin : Oui, c’est un gros sujet. C’est d’ailleurs tellement important que je fais un lien sur les accidents du travail. Nous avons deux morts par jour au travail, c’est inacceptable. C’est un sujet sur lequel j’ai donc l’intention de m’engager parce qu’il y a une nécessité de sensibiliser. Je ne suis pas du tout dans une lecture de contrôle absolu. Je suis dans une lecture de sensibilisation, de responsabilisation et de partenariat pour accompagner les entreprises, et notamment les petites entreprises, parce que nous devons progresser.
« Nous avons deux morts par jour au travail, c’est inacceptable. C’est un sujet sur lequel j’ai donc l’intention de m’engager parce qu’il y a une nécessité de sensibiliser. »
Il y a de plus en plus de prise de conscience des entreprises, mais il y a vraiment une culture de conseil à mettre en place en France. Il faut qu’on aille plus loin, de façon à faire de la prévention. La santé au travail, c’est bien évidemment toute la prévention en matière d’ergonomie, pour éviter les troubles liés aux gestes répétitifs. Encore une fois c’est un sujet absolument majeur car il permet de préserver l’employabilité des équipes. à ce titre, dans le cadre de la réforme des retraites, un fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle, doté de 1 Md€ sur le quinquennat a été créé. Il vise justement à financer des actions de prévention des risques professionnels liés à des facteurs ergonomiques tels que les postures pénibles, les vibrations mécaniques et les manutentions manuelles de charges. Tout l’enjeu de l’année 2024 sera de faire en sorte que les branches professionnelles s’approprient ce nouvel outil.