Une vendange 2023 « douce-amère »
Champagne. Trois semaines après la fin de la vendange, les experts de la FDSEA et du Comité Champagne dressent un bilan agronomique et économique du cru 2023 avant l’heure de vérité du passage en cuverie.
Dans le Top 3 de l’histoire de la Champagne en termes de volumes, la vendange 2023 restera dans les livres pour d’autres raisons encore, qu’elles soient agronomiques ou de leçons en matière d’organisation logistique et de vigilance. Au niveau du rendement, 132 000 tonnes de marc ont été enregistrées cette année dans les distilleries, ce qui, remis au nombre d’hectares de l’appellation, correspond à 16 000 kg récoltés par hectare.
Considérant que les Champenois ont effectué entre 5% et 15% de tri en raison de l’oïdium et n’ont pas récolté environ 20% de leurs raisins [1].
« Ce rendement exceptionnel, qui est un des plus hauts de ces 50 dernières années, n’est pas causé par le nombre de grappes au mètre carré, puisqu’on a constaté une moyenne de 9,3 grappes par m2, ce qui est dans la moyenne attendue, entre 9 et 10 grappes au m2. En revanche nous avons eu un phénomène de grappes très bien conformées avec 150 baies par grappe de moyenne et un poids de baies de 1,6 gramme de moyenne observé en août », souligne Sébastien Debuisson, Directeur Qualité & Développement Durable, au Comité Champagne. Résultat : des grappes énormes, plus grosses de 50% par rapport à celles observées habituellement en période de vendange. « 220 grammes de moyenne c’est tout à fait exceptionnel, c’est presque 100 grammes de plus que la moyenne décennale ».
Pas de problème d’acidité
Pas de gel ou presque, pas de grêle, peu de maladie, de l’eau et du soleil… toutes les conditions ont été réunies pour obtenir un tel résultat. Avec un autre facteur, celui du rattrapage de la nature. Ainsi, certains secteurs qui avaient connu une absence de grappe au cours des années précédentes, sont ressortis parmi ceux dont le rendement était particulièrement élevé.
« Quand la vigne a de la réserve et peut s’exprimer, elle s’exprime », précise le spécialiste champenois. Et au niveau météorologique, les conditions d’expression étaient elles aussi favorables en amont de la vendange.
Les degrés ont été au rendez-vous malgré quelques frayeurs et l’acidité s’est révélée à un niveau plutôt satisfaisant. Ce qui fait dire à Sébastien Debuisson : « En 2023 l’acidité n’est pas un problème. On a un équilibre à l’ancienne ».
Un équilibre obtenu grâce à une grande souplesse de tous les acteurs car si en amont les conditions ont été favorables, c’est lors de la récolte que les choses se sont compliquées, accélérées par des températures très élevées lors de la vendange. « La vigne n’a pas souffert pendant la période végétative mais le stress au moment des vendanges a provoqué un échaudage, le développement de la pourriture acide, une altération solaire et une baisse du poids de la baie (de l’ordre de 15 à 20% de baisse de potentiel de poids entre le début et la fin des vendanges) », souligne le responsable.
« Cela n’a eu que très peu de conséquences sur les Chardonnay mais a provoqué du flétrissement, de la pourriture acide et des grappes molles pour les Pinot et les Meunier ». Pour la première fois, le Comité Champagne a dû gérer des demandes de dates de vendanges pouvant aller jusqu’à 6 ou 7 jours d’écart entre deux villages limitrophes. « D’habitude nous refusons ces demandes, mais au vu des conditions on a choisi de laisser la responsabilité aux acteurs, en envoyant des cartes aux vignerons avec les secteurs verts, oranges et rouges pour les sensibiliser ».
Les déclarations anticipées ont elles aussi été légion : 1 809 ont été enregistrées (contre 836 en 2022), dont 957 pour état sanitaire et 852 pour des degrés supérieurs à 10% vol. « La logistique a joué un grand rôle cette année. On sait que les vignerons sont capables de se responsabiliser. Il faut aussi leur donner les bons messages et apporter de la cohérence. Cette stratégie a bien fonctionné, j’en veux pour preuve les degrés qui ont tous été atteints, parfois dans la douleur mais ils ont été atteints. C’est parfaitement en lien avec les ambitions que nous nous sommes fixées ».
Chardonnay prometteurs
Résultat, au pressoir : des Chardonnay presque parfaits, et un bilan plus mitigé en ce qui concerne les Pinot et les Meunier, finalement ni bons ni mauvais. Ce qui rend la vendange difficile à qualifier. « C’est un oxymore, avec à la fois de la satisfaction et de la déception, de la joie et de la peine, du degré, de la qualité et de la pourriture », poursuit Sébastien Debuisson qui la qualifie de « vendange douce-amère ». « Elle a été un peu difficile, il a fallu se battre et c’est pour cela que c’est un vrai millésime champenois ». S’il est encore tôt pour tirer les conclusions de la qualité des vins de l’année, comme dans les vignes, en cuverie les volumes seront sur le podium de l’histoire de la Champagne.
Au niveau de la qualité, les Chardonnay devraient donc donner de belles satisfactions. « Pour les Meunier et les Pinot ça n’est pas la catastrophe annoncée ni une année comme 2017 », rassure Sébastien Debuisson. Le millésime 2023 est donc plus que jamais entre les mains expertes des chefs de caves champenois.
[1] Le rendement commercialisable fixé par l’interprofession était de 11 400 kg/ha, sans compter la réserve individuelle (10 000 kg/ha), le Comité Champagne estime que le rendement agronomique champenois de la vendange 2023 est largement supérieur à 21 000 kg par hectare.